Crier aide-t-il à la performance ?

crier aide-t-il à la performance
Si vous êtes adeptes des vidéos d’escalade, vous avez sûrement noté la tendance des grimpeurs actuels à crier violemment pendant l’effort. Un peu comme Maria Sharapova sur les courts de tennis, perturbant ses adversaires avec ses 101,2 décibels au compteur. Sauf que s’époumoner dans les voies laisse a priori le rocher de marbre. Alors, pourquoi Sharma et Ondra crient-ils autant sur le caillou ? Éléments de réponse.

Certaines stars du tennis ne sont pas avares de cris, parfois équivoques d’ailleurs, au grand dam des aficionados de la petite balle jaune et des instances dirigeantes de ce sport, qui peinent à légiférer sur ce point. Mais avec ses “Tsaaaaaaaa !” tonitruants, Sharma ferait presque passer les Nadal, Williams et autres Sharapova pour des petites joueuses, si on se place sur le plan de la vocalise, bien entendu…

pourquoi sharapova crie-t-elle sur les courts ?

Crier ou ne pas crier ?

Cette mode du cri, chez les meilleurs grimpeurs du moment, ne laisse pas d’interroger. N’en rajoutent-ils pas un peu, pour rendre plus spectaculaires encore leurs performances ? Ne nuisent-ils pas à la sérénité des lieux, en poussant leurs cris de guerre en plein crux ? N’engendrent-ils pas des générations de grimpeurs bruyants et pénibles, qui crient bêtement dans les voies, comme leurs idoles ? Et si tout cela ne servait à rien ?

À notre connaissance, aucune étude scientifique n’a été menée sur le rôle du cri dans la performance en escalade. En revanche, en tennis, les articles ne manquent pas. Il faut dire que le phénomène est bien connu et a fait couler beaucoup d’encre depuis la finale féminine de Wimbledon en 1992. Monica Seles s’était vu rappelée à l’ordre par l’arbitre et “incitée” à baisser d’un ton dans les échanges qui l’opposaient à Steffi Graf.

La recherche s’est donc penchée sur cette question épineuse : les cris gênent-ils l’adversaire ? Hypothèse soulevée par Martina Navratilova, qui trouvait les cris de Monica Seles bien peu fair play… Les résultats des différentes études furent parfois contradictoires mais tendirent globalement à montrer qu’en effet, au-delà d’un certain nombre de décibels, un bruit parasite pouvait faire baisser la concentration, nuire à la perception de l’impact de la balle et diminuer significativement les temps de réaction.

À corps et à cris

Dans le cadre de l’escalade, ces études ne nous sont pas d’un grand secours pour comprendre les tenants et les aboutissants des cris de Sharma ou d’Ondra. Sur le caillou, les ténors de la varappe ne rencontrent en effet pas d’autres adversaires qu’eux-mêmes, dans cette lutte qui les oppose à une ligne extrême. Et ils n’ont bien sûr personne à perturber (et surtout pas leur assureur). Mais pour interpréter leurs cris, d’autres articles scientifiques relatifs au tennis s’avèrent assez éclairants.

adam ondra yelling

Il se pourrait que crier dans l’échange améliore la puissance des coups, comme le montre une étude britannique, menée par le Pr A. McConnell, de l’Université Brunel, à Londres. En inspirant avant que la balle ne soit touchée et en criant au moment de l’impact, la gorge du joueur se rétrécit. L’expiration est forcée, avec un contrôle du larynx. Un peu d’air se retrouve alors bloqué dans les poumons, ce qui améliore le gainage et l’équilibre.

Question de contrôle du mouvement, donc, et de stabilité du tronc ! Ce sont des problématiques qu’on retrouve bien évidemment en escalade. Les chercheurs précisent que tout ceci passe par des techniques respiratoires qui ne nécessitent pas forcément de crier mais qui s’apprennent et s’automatisent plus facilement avec l’émission d’un son… D’où les hurlements d’Adam Ondra dans ses essais max ? On tiendrait donc peut-être en partie la clef du mystère…

D’autres études ont également montré que crier permettait d’activer le système nerveux, de libérer plus d’adrénaline et de développer plus de force. Chris Rodolico et Sinclair Smith, chercheurs à l’Université des Sciences de Drexel, ont ainsi mis en évidence des gains de force de 10% sur des haltérophiles lorsqu’ils réalisent leur geste en criant. Le même type d’expérience a été tenté sur des golfeurs, là encore avec des gains de distance surprenants.

Crier au miracle

L’explication physiologique n’est évidemment pas la seule hypothèse avancée par les scientifiques. Dans le champ de la psychologie, les chercheurs ont aussi montré que dans bien des cas, le cri était quasi inconscient et ne relevait pas d’une stratégie particulière. C’est alors une forme d’animalité qui s’exprime. Le cri ne fait que révéler que le sportif va au bout de son geste, au bout de son instinct. Il est le signe d’une détermination hors norme.

Mais les psychologues ont aussi cherché à savoir si crier sciemment pouvait améliorer la concentration et le fighting spirit. Et il semblerait que ce soit bel et bien le cas ! Les études ont alors porté sur les arts martiaux, où l’usage du kiai est connu de longue date. Ce cri (du japonais 気, qui se lit “ki” et désigne l’esprit ou la volonté, et 合, qui se lit “ai” et signifie réunir) stimule le cerveau, renforce la concentration et la confiance, permet de rassembler toute l’énergie en un seul mouvement.

Il y a donc fort à parier que les cris de Sharma et d’Ondra soient très proches de ces kiais japonais. Signes d’une implication pleine et entière, tant physiquement que mentalement, dans l’action qu’ils accomplissent. Donc, oui, crier aide à la performance : alors ne vous en privez pas si toutefois votre entourage le supporte 😉

Vous aimerez aussi...

14 réponses

  1. Benji Seppey dit :

    Merci, très interessant ! Ça a toujours été une question pour moi… même si les cris les plus fréquents chez moi sont pendant la chute, mais à ceux là, pas besoin de chercher l’explication 😀

  2. benoit dit :

    Bonjour,
    tout d’abord merci pour cette article.
    Dans mon cas et celui que je remarque, ce phénomène intervient plutôt dans la filiale de résistance. Confirmez vous cette hypothèse? Est-ce plutôt dans ce type d’effort de résistance que nous avons le plus besoin d’auto -motivation et que l’animal s’éveille en nous? ou bien non, au pied d’un bloc le cri nous aiderait tout autant?
    je suppose bien entendu que d’autres éléments interviennent tel que l’engagement dans une voie (voir la fin d’un bloc), et qu’avec les avant bras blindés d’acide lactique l’aléa s’installe dans notre esprit et donc la peur de la chute et celle d’échouer avec, nous avons peut être besoins d’un petit « brame du cerf » pour nous motiver inconsciemment a faire quelques mouvements de plus et espérer la prise salvatrice.

    • Olivier dit :

      Merci Benoît pour votre commentaire. D’accord avec vous ; en bloc toutefois, on peut aussi constater que certains grimpeurs crient (sans doute moins fréquemment qu’en voies) ; le cri ne vient pas en amont mais accompagne clairement le déclenchement du geste.

  3. Simon V dit :

    Il faut aussi souligner que parfois le cri peut tout simplement exprimer la douleur de certain pas extrême. Pour exemple, le crux de change avec Adam Ondra lorsqu’il lolotte a tout va sur des plats, avec les genoux désarticulés. Je crois que le cri est aussi bien un révélateur de sa concentration, que de l’impact physique que de telles contorsions imposent.
    A mon petit niveau il m’arrive de crier de douleur sur des mouvements durs, genre changement de main en bidoigt sur du devers!
    C’est un peu différent mais j’ai aussi tendance à faire la « locomotive » dans les sections rési, c’est à la fois conscient et inconscient et j’ai l’impression que ca ne me sert pas simplement pour l’oxygénation mais aussi pour avoir un tempo dans la voie.

  4. banban dit :

    Petit élément supplémentaire pour dadam 😉 https://www.youtube.com/watch?v=SsnlXRkcbCg

  5. Pierre dit :

    Je sais pas si l’humanité grimpante est bien prête à recevoir cette connaissance et à en faire un usage raisonnable !

  6. catherine dit :

    Et les cris chez la femme qui accouche ? Ont ils été étudiés ? Améliorent ils la performance de cet acte hors norme ?

    • Olivier dit :

      Dsl Catherine, pas d’éléments concrets pour vous répondre ; le rapprochement que vous faites ne me paraît cependant pas incongru.

      • Michael dit :

        En fait c’est la première idée que j’ai eu en voyant le titre de l’article, même si je pratique moi aussi les cris en bloc.
        Les « cris » tels qu’on les voit dans les films, je ne suis pas sûr de leur utilité. Cependant pour les préparations à l’accouchement physiologique (sans péridurale, mais avec une véritable préparation et un respect du corps), beaucoup utilisent les sons, un peu comme les mantras (faire un « oooooo » ou un « aaaaa » suivant la phase de l’accouchement).
        Ceux-ci aident d’une part à s’ancrer dans la réalité, pour traverser les contractions sans « souffrir ». Ccomme ils disent dans Starship Troopers et Rambo, ou chez les Bouddhistes : la douleur, c’est dans la tête !
        Et d’autre part cela permet d’accompagner le travail dans le ventre de la maman, en contractant les muscles du haut ou du bas du ventre (je simplifie, je ne suis pas anatomiste). Et bien ça marche d’enfer !
        Donc même si je n’accoucherai jamais moi-même, hein, je peux confirmer de l’utilité de l’usage des sons, plus ou moins criés suivant les circonstances, pour la concentration et la mobilisation des muscles 🙂

  7. Arbitre des falaises ! dit :

    Les cris pendant l’effort ou la chute ça se comprend et ne se discute pas, mais entendre Adam vociférer pendant 2min après être tombé et assez désagréable. La colère ça se maîtrise, si tout le monde agissait de la sorte (même à moindre niveau), imaginez l’ambiance au pied des falaises ou dans une salle close ! L’arbitre des falaises peut le reprendre !

  8. gianluca dit :

    article au top!
    en élargissant l’argument, j’ai l’impression que taper une petite crise de nerfs bien sonore m’aide parfois à mieux m’activer et à avoir un petit surplus d’influx.
    Je trouve cela utile entre des essais en bloc ou dans les premières phases de travail d’une voie ayant des crux très intenses et « basiques ».

    Est-que cela relève de l’excuse (pour justifier ma crise) ou il y a un possible fondement scientifique?

    exemple https://www.youtube.com/watch?v=kRpJuFBvqn8

  9. LN dit :

    Totalement d’accord avec Simon, pour ma part le cri intervient quand il se rapporte à la douleur. Il aide surement à l’accepter psychologiquement à se convaincre d’aller au delà, tout le monde a bien été un jour confronté à ce mouvement inimitable sur mono saignant/tendineux les pieds à plats, où il ne faut pas faiblir…

  10. Lorenzo dit :

    Je ne pense pas qu’Adam crie parce que la lolotte lui fait mal 🙂

  11. Sylvain dit :

    Bonjour, est-ce qu’il existe une recherche qui dit que l’on doit crié lors une chute, car en se qui me concerne lorsque j’ai fait une chute de 16 pieds en 2003, un sans dessin sans étude dit que n’ai pas crié lors de ma chute, mais se sans dessin ne sait surement pas une chute de 16 pieds dure moins une seconde… Merci si vous-avez la réponse si l’on doit crier lors une chute, imagine que la peur ou la surprise de la chute nous empêche de crier…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.