À la mémoire de Michel Serres, penseur et grimpeur
C’est avec une immense tristesse que nous avons appris le décès du philosophe et académicien Michel Serres, ce samedi 1er juin, à l’âge de 88 ans. L’auteur des Variations sur le corps, des Cinq sens et plus récemment de Petite poucette était aussi, on le sait moins, un passionné d’escalade.
Universitaire de renom, Michel Serres était un grand penseur, un esprit encyclopédique mais aussi un amoureux de la montagne, vibrant au contact du rocher. “Il est mort très paisiblement”, a annoncé son éditeur. Ses anciens élèves se souviennent encore de la façon dont il commençait ses cours : “Mesdemoiselles, Messieurs, écoutez bien, car ce que vous allez entendre va changer votre vie… ”.
Et en un sens, c’était vrai. En tout cas l’entretien qu’il nous avait accordé pour évoquer son plaisir de grimper, avait, sans nul doute, changé la nôtre. Et bien sûr notre vision de l’activité. Nous le republions ici à sa mémoire.
Michel Serres, comment avez-vous découvert la montagne et l’escalade ?
Michel Serres : Simplement, je suis parti avec un groupe dans les Alpes. Quand j’avais 16 ou 17 ans, quelque chose comme ça. Moi, au départ, j’étais fils de marinier, vous voyez, sur les bords de la Garonne. Et j’étais donc plutôt destiné à la mer qu’à la montagne. Mais c’est avec des copains étudiants que j’ai découvert la montagne.
Avez-vous pratiqué l’escalade indépendamment de l’alpinisme ?
Michel Serres : Oui, j’ai pratiqué l’escalade rocheuse en forêt de Fontainebleau, comme tout le monde. Sur les blocs, le samedi et le dimanche avec des amis, pour m’entraîner en prévision des courses que je ferai dans les Alpes, par la suite.
Dans Regards sur le sport, vous parlez des potentialités du corps et écrivez : « Il peut des choses que je ne sais pas encore »…
Michel Serres : Oui et c’est même plus que cela. Je définis le corps par le fait que : « il peut ». Il « n’existe » pas, il « peut ». Car il peut toujours quelque chose d’autre. Il peut inventer, il peut se mettre dans des positions peu naturelles. Chaque fois que vous apprenez un nouveau geste dans un sport par exemple, ce geste-là, vous n’avez pas l’habitude de le faire. Donc le corps le fait de façon assez difficile. Et puis peu à peu, le corps l’intègre et le fait naturellement.
Michel Serres, quel type de potentialités avez-vous exploré au cours de votre pratique de l’escalade ?
Michel Serres : Par exemple, en grimpant, si vous avez une prise qui est un peu en dehors de votre portée, vous vous étirez. Vous vous étirez et finalement vous arrivez à l’attraper ! Il y a une espèce d’étirement supplémentaire qui fait que l’on peut quelquefois accéder à une prise que, à première vue, on pourrait penser inaccessible !
Dans Regards sur le sport, vous parlez des formidables capacités d’adaptabilité du corps, de sa plasticité. Et vous faites un parallèle entre le mouvement de la pensée et la capacité qu’a le corps à percevoir et anticiper…
Michel Serres : Oui, c’est ça ! Lorsque j’ai écrit Variations sur le Corps, je l’ai dédicacé à mes profs de gym et à mes guides. Car ce sont eux qui m’ont appris à penser. Tout le monde a été scandalisé. Et pourtant, si, c’est avec le corps qu’on pense. Le corps peut s’adapter à des situations tout à fait inattendues. Et c’est ainsi qu’on pense, c’est-à-dire en ayant l’intuition de choses nouvelles.
Penser, c’est inventer. Si on n’invente pas, on ne pense pas, on ne fait que répéter. Et le corps peut inventer. Quand vous grimpez, vous êtes bien forcés de vous adapter en temps réel à la situation que vous crée la paroi. Et cette adaptation est une forme d’invention, de petite invention, d’invention circonstancielle. Penser, c’est ça : s’adapter rapidement à une situation donnée.
Retrouvez l’intégralité de l’interview ici
Merci Laurence de ce partage..
Un grand monsieur, merci pour l’interview!
Bonjour Laurence, y aurait il moyen de lire l’intégralité de l’interview ?
Merxi d’avance
Salut Greg, il y a le lien en bas de l’article.