Afraa Mohammad, en route pour les JO de 2028
Afraa Mohammad est apatride. Née en Syrie, mais d’ascendance palestinienne par son grand-père, elle est arrivée en France en 2017. C’est là qu’elle découvre l’escalade. Avec son passé de gymnaste de haut-niveau et de danseuse pro, rapidement, elle progresse. Elle est aujourd’hui la première grimpeuse à intégrer l’équipe olympique des réfugiés. Mais le chemin semble encore long jusqu’aux Jeux de Los Angeles en 2028. Portrait.
C’est une grimpeuse au parcours atypique que nous avons rencontrée à La Fabrique verticale. Afraa Mohammad est née en Syrie et y a grandi. À l’âge de 5 ans, elle découvre la gymnastique et très vite, elle s’y illustre. Elle remporte plusieurs médailles au niveau national jusqu’à ce que son entraîneur réalise qu’en raison de ses origines palestiniennes, elle ne pouvait pas prétendre à la nationalité syrienne.
“J’étais une personne apatride, raconte Afraa, sans nationalité. Cela signifiait que je n’avais pas le droit de concourir au niveau national ou international. Car je n’étais pas considérée comme syrienne. Par conséquent, je n’ai plus reçu de soutien pour mon entraînement et j’ai dû arrêter la compétition vers l’âge de 15 ans. Je me suis alors tournée vers la danse, ce qui m’a aidé à combler le vide laissé dans mon cœur par la gymnastique.”
De la Syrie à la France
En 2017, à l’âge de 18 ans, Afraa fuit la Syrie et elle vient en France pour poursuivre ses études. Elle y décroche un master d’Architecture à l’ENSA – Paris-Est, l’école d’architecture de la ville & des territoires. Un parcours brillant, quand on connaît les difficultés auxquelles peut être confronté une réfugiée. “Le stress d’être seule, de ne pas connaître la langue et de ne pas avoir assez d’argent, a rendu totalement impossible le fait de me réintégrer dans la danse ou dans tout autre sport, raconte Afraa”. Car ce n’était vraiment pas la priorité à ce moment-là.
Ce n’est qu’en 2021 qu’elle reprend le sport et découvre, un peu par hasard, l’escalade. “C’est mon amie Alice m’a invité à essayer et m’a offert 10 entrées dans une salle d’escalade. J’ai immédiatement adoré cette activité et j’ai su que c’était ce que je voulais faire pour le reste de ma vie ! J’ai donc officiellement commencé l’escalade en 2022. Depuis, je n’ai pas arrêté. Et j’ai réalisé mon 1er bloc en 7b en extérieur, en décembre 2023.”
Afraa Mohammad, l’escalade comme passion
À partir de là, tout s’enchaine. En février 2024, Afraa commence à participer à des contests dans les salles, avec plutôt de bons résultats. De fil en aiguille, elle prend conscience de son potentiel et commence à se projeter à nouveau dans le haut niveau, expérience qu’elle avait connue en gymnastique mais, bien sûr, pas encore en escalade.
“Actuellement, mon objectif est de réaliser un 8a en extérieur”, affirme Afraa. Mais surtout, grâce à des rencontres décisives, elle entrevoit la possibilité incroyable de participer aux Jeux Olympiques de Los Angeles 2028. Car Afraa est en effet la première athlète réfugiée en escalade sportive soutenue par l’IFSC.
“C’est une étape significative. Car, jusqu’à présent, l’escalade sportive n’incluait pas d’athlètes réfugiés. Contrairement à d’autres sports qui ont établi des équipes olympiques de réfugiés. Comme la natation, le judo, le cyclisme et même le breaking. Pour tout cela, je suis extrêmement reconnaissant à Paola Gigliotti, de l’IFSC, à Colette Armitage, de l’UNHCR, pour leur soutien continu qui me permet d’envisager ce projet.”
Un long chemin jusqu’aux Jeux de 2028
Paola Gigliotti, médecin et membre honoraire de l’IFSC en charge des affaires humanitaires et sociales, a joué un rôle important dans cette histoire. C’est dans le cadre de ses fonctions qu’elle participe au forum Peace&Sport depuis 2007 et qu’elle a assisté à la conférence de l’UNESCO à Paris en Avril dernier, où elle a fait la connaissance d’Afraa.
“J’ai vu la passion de cette jeune réfugiée, architecte à Paris. Et j’ai pensé à elle comme la première grimpeuse d’un possible team pour Los Angeles 2028. La FFME a fait montre de beaucoup de disponibilités. Mais Afraa a encore besoin d’un entraîneur personnel pour mieux developper ses compétences. J’ai demandé à l’IFSC et Silvia Verdolini (IFSC Sport Department) a obtenu une bourse olympique du CIO.” Mais elle ne sera pas effective avant la mi 2025.
Si Afraa est aujourd’hui la première athlète réfugiée en escalade sportive, le chemin est donc encore long et semé d’embuches. Car, si elle est certes soutenue par les instances internationales, elle n’a pour l’instant aucun financement ou de sponsor pour s’entrainer. Elle a intégré le Club parisien Le 8 assure. Mais elle est toujours à la recherche de moyens financiers et humains pour mener à bien son projet olympique. À commencer par un entraineur sur place.
Afraa Mohammad : un statut précaire
Si l’escalade continue à figurer aux Jeux sous la forme du combiné bloc-difficulté, Afraa devra en effet beaucoup s’améliorer en voie. Pour l’instant, elle peut bénéficier de quelques conseils en prépa physique de la part de Franco Canella et un peu d’accompagnement de la part d’Aristotelis Liontos au 8 assure. Mais les activités d’entraineur de l’Équipe de France de paraclimbing de ce dernier lui laissent peu de loisir pour coacher à proprement parler Afraa. En tout cas à plein temps.
“Être la première et actuellement la seule réfugiée à s’entraîner pour l’escalade compétitive a un goût doux-amer. Car cela met en lumière à quel point l’escalade peut être inaccessible pour beaucoup. Cependant, la décision de l’IFSC de me soutenir est extrêmement enthousiasmante pour la communauté de l’escalade. Car elle vise à représenter les réfugiés et à inspirer davantage d’entre eux à participer à ce sport. Jusqu’à présent, l’escalade sportive n’avait pas encore fait ce pas inclusif.”
L’escalade et la diversité ethnique
Ce n’est une surprise pour personne de constater le manque de diversité ethnique en escalade, tant au niveau élite qu’amateur. En un sens, cela peut s’expliquer par l’image de sport légèrement “privilégié” que véhicule l’escalade, étant donné le coût élevé des abonnements dans les salles et le panier moyen pour s’équiper. Le sport est devenu tendance. Mais les minorités ne voient pas assez de personnes leur ressemblant dans les médias ou les compétitions internationales. Difficile dès lors de s’identifier.
Pour les réfugiés, l’accès au sport est encore plus problématique. Car ils affrontent déjà des défis quotidiens (apprendre une langue différente, survivre avec de ressources financières limitées, s’intégrer dans une nouvelle société…). Donc même avec de la volonté, percer en escalade semble lunaire. Et d’un point de vue purement performance, il est hautement improbable d’après un long parcours d’intégration, ils atteignent le haut niveau. Car ils sont plus âgés quand ils ont enfin le temps et l’argent nécessaire pour s’investir dans le sport.
Donc le fait que les fédérations et instances internationales soutiennent des équipes olympiques de réfugiés relève plus du choix politique que de l’enjeu sportif à proprement parler. L’objectif est de réduire l’écart. Il s’agit de donner aux réfugiés des conditions similaires aux autres sportifs pour s’entrainer, de limiter l’inégalité des chances. Donner de la visibilité aux réfugiés dans les compétitions internationales, c’est aussi reconnaître l’énorme travail qu’ils accomplissent, sans pour autant bénéficier des mêmes infrastructures et des mêmes soutiens, pour se rapprocher du haut-niveau.
Témoignage très touchant, et excellente idée de nous parler d’autres phénomènes de l’escalade que les stars dont on connait déjà parfaitement le parcours, voire l’intimité.