En opposition #1 : Alain Robert, Inoxtag et cie

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Avec cette nouvelle chronique, En opposition, La Fabrique verticale vous propose de revenir sur des polémiques qui ont secoué le monde de l’escalade au cours des dernières semaines. En opposition sera un billet régulier qui interrogera les évolutions de la pratique et mesurera l’influence de la médiatisation et des réseaux sociaux. Ce mois-ci, nous nous penchons sur le phénomène Inoxtag et sur l’ascension de la Tour Total par Alain Robert et Seb Bouin. Réaction.

En matière de controverses, la période de la rentrée a démarré sur les chapeaux de roues. De quoi alimenter sans peine cette nouvelle chronique En opposition. Ce billet, nous y pensions depuis longtemps, en tant qu’acteurs historiques, pour ne pas dire croulants du milieu, mais néanmoins encore assez lucides pour réfléchir à la manière dont se métamorphose l’écosystème dans lequel nous évoluons.

Cette chronique, nous l’avons baptisée En opposition, en référence au caractère polémique des faits que nous souhaitons aborder ici. Et bien sûr en clin d’œil aux bonnes grosses compressions, aux mouvements précaires rencontrés en dièdre ou en fissure et à toutes les contorsions qui en découlent. Contorsions que sont aussi amenées à faire les différentes plumes qui sévissent dans le paysage médiatique de l’escalade, qui sont alors moins gestuelles que rhétoriques.

natalia grossman climbing IFSC bouldering world cup

Alain Robert, Inoxtag et cie

Les deux faits marquants qui ont le plus agité le monde de la verticalité récemment sont sans conteste le solo urbain d’Alain Robert et Seb Bouin sur la Tour Total à La Défense. Et quelques temps auparavant, la sortie du documentaire Kaizen, avec lequel le Youtubeur Inoxtag a explosé les compteurs. Points communs entre ces deux histoires : une médiatisation hors norme, à destination du grand public. Bref, pensée pour dépasser largement le cadre du microcosme de l’escalade. Mais avec comme corollaire inévitable une belle polémique qui n’a pas manqué d’enfler dans la presse spécialisée et sur les réseaux sociaux.

“Mais qu’allait-il faire dans cette galère ? ”. C’est peu ou prou ce qu’ont pensé beaucoup de grimpeurs en découvrant l’info du solo de la Tour Total à La Défense par Alain Robert et Seb Bouin. Car quel signal déplorable en termes de communication que de choisir le siège social d’un géant de l’industrie pétrolière pour cadre de cette aventure ? Surtout à un moment où les préoccupations environnementales sont de plus en plus prégnantes. On aurait difficilement pu trouver pire symbole…

alain robert et seb bouin en solo sur la tour total

Alain Robert et Seb Bouin, un bad buzz à 187m du sol

Une pluie de critiques, allant de l’incompréhension au malaise, s’est abattu sur cet “improbable duo transgénérationnel”, comme l’a qualifié Grimper. La grimposphère s’est déchainée. Certes les intentions d’Alain Robert, à la sortie d’un livre relatant sa vie, semblent assez évidentes. Quoique discutables. Disons qu’au mieux, on a affaire à une communication plus ou moins bien maîtrisée. Par contre, les motivations de Seb Bouin, réelles et sous-jacentes, semblent, elles, quelque peu nébuleuses. Le principal moteur ne serait-il pas un besoin de reconnaissance dans un cercle plus large, de la part du grand public ? Mystère…

Sans remettre en cause la sincérité de sa démarche, l’envie de “vivre un moment fort avec une personne qui a marqué l’histoire de la grimpe”, on peut tout de même s’interroger. Pourquoi médiatiser une telle rencontre ? Le fait est que désormais tout est médiatisé et qu’avec les réseaux sociaux, tout va très vite. On peut s’en accommoder ou le déplorer. Mais le constat est sans appel.

On assiste à une production ininterrompue d’images et d’“histoires inspirantes”, comme disent les agences de com’. Cette banalisation de la performance conduit à une forme de nivellement. Un buzz chasse l’autre. Tout est mis sur le même plan. Et on oublie l’essentiel, que la performance devrait toujours précéder la médiatisation, et non l’inverse… Surtout qu’en termes de performance, Seb Bouin n’a plus grand chose à prouver.

Seb bouin dans dna

Inoxtag, la querelle des anciens et des modernes

Quelques semaines plus tôt, un documentaire relatant l’ascension de l’Everest par Inoxtag a lui aussi défrayé la chronique. Au lendemain de sa sortie, Kaizen avait déjà totalisé 11 millions de vues ! Ce qui en fait la vidéo la plus vue en France en 24h, surpassant même le célèbre clip « Au DD » de PNL. Et elle continue d’affoler les compteurs (36 M de vues). Même après sa diffusion sur TF1. Et son arrivée au cinéma. Pour rappel, le film revient sur la préparation du Youtubeur de 22 ans, qui il y a encore un an n’avait aucune expérience en alpinisme. De quoi faire bondir toute l’intelligentsia verticale et remettre une pièce dans la machine des réactionnaires !

Comme le résume Matis Dumas, le guide qui a accompagné Inoxtag tout au long de cette aventure, “dès son annonce, le projet Kaizen a suscité un véritable tollé dans le monde de l’alpinisme. L’idée qu’un jeune Youtubeur, sans expérience préalable en haute montagne, se lance le défi de gravir l’Everest en un an a été perçue comme une provocation, voire une insulte à la montagne et à ceux qui la respectent.”

Comme dans l’histoire précédente, on retrouve d’ailleurs les mêmes ingrédients à la polémique. À savoir la question du respect de l’environnement, celle du rapport entre expérience et performance, celle enfin de l’exemple ou de l’image véhiculée. Car là encore, le projet médiatique semble précéder voire primer sur l’expérience proprement dite. Pour autant, Inoxtag s’est donné les moyens de ses rêves. Et c’est donc tout à fait respectable. Même s’il génère toute une mythologie à mi chemin entre le “à chacun son Everest” et le “quand on veut on peut”.

Pour quel impact ?

En tout cas, force est de constater qu’au delà de la polémique, Kaizen est devenu un véritable phénomène de société. Il a impacté plus profondément la jeunesse que ne l’a fait la présence de l’escalade aux JO de Paris 2024. Car combien se sont mis à l’escalade dans le sillage d’Inoxtag ? Combien se sont abonnés à une salle ? Et combien sont allés s’acheter les mêmes chaussures que lui ? Des Scarpa, une marque qui, il y a encore peu, était seulement connue dans le milieu de la montagne et qui est aujourd’hui demandée aux vendeurs par des néophytes. De quoi donner à réfléchir…

Tous, heureusement, n’iront pas polluer l’Himalaya. Tous n’iront pas encombrer les camps d’altitude. Ni prendre part aux embouteillages sur les cordes fixes. Enfin, tous ne persévèreront pas en escalade. Ni sur la voie du “perfectionnement continu” (le titre du film, Kaizen, en japonais)… De même que peu de grimpeurs mettront leur pas dans ceux d’Alain Robert et de Seb Bouin. Puisque tout passe, tout casse, tout lasse, comme dit le proverbe. D’ailleurs, qui a encore pensé à Inoxtag ou à Seb Bouin aujourd’hui ? Et au final, quel impact sur notre pratique ?

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2 réponses

  1. Matthieu dit :

    Belle idée, « les croulants » que cette nouvelle rubrique, et de ce titre bien choisi qui ne manquera pas d’être alimenté quotidiennement par « la métamorphose de notre écosystème » ! D’avance merci.
    Matthieu

  2. Ludo dit :

    Très bonne idée effectivement que cette chronique, que je mets en parallèle de votre article sur l’évolution de notre pratique. Je pense que comme les effets de mode ou comme en économie ( les cycles de Kondratiev), l’escalade est à un moment de pic, comme on en a connu dans les années 80 avec Edlinger ou Güllich (le Blond dans Paris Match et wolfgang doublant Stallone dans Cliffangher) avec des relais aujourd’hui bien plus puissants que sont effectivement les réseaux sociaux. Scarpa devient une marque ‘tendance » au delà des cercles des pratiquants de la montagne, soit, mais ce n’est pas nouveau, Arc’teryx The North Face ou dans une autre époque/registre, Helly Hansen, furent autant de firmes rattrapées par la « street culture »… J’observe seulement et à mon grand regret, que même si la pratique explose (ce qui en soit n’est pas un mal du tout), elle reste cantonnée à une « élite urbaine » CSP+ qui vient consommer une nouvelle pratique, comme elle ferait un passage dans une salle de crossfit ou à la salle de muscu. Quand je pense que lorsque j’ai commencé en club il y a 20 ans, l’entraînement en salle était considéré comme un pis aller pour passer l’hiver et que les grimpeurs qui ne faisaient que de la salle étaient affublés du doux noms de « bouffeurs de plastique »voire carrément considérés comme des pratiquants de seconde zone…Quelle évolution!

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