JO de Paris : y aura-t-il un effet “waouh” pour les fabriquants ?
Nous sommes à quelques mois des JO de Paris. L’escalade y sera discipline olympique, sous la forme du combiné bloc/difficulté et de la vitesse. Au-delà du formidable coup de projecteur mis sur l’activité, on peut se demander quels sont les enjeux économiques pour les fabricants de matériel d’escalade. Suite de notre série “Qu’attendez-vous des Jeux ?”. Après les grands réseaux de salles, La Fabrique verticale a tendu son micro aux marques.
Pour la 2e fois consécutive, l’escalade va figurer au programme des Jeux, l’été prochain, à Paris. D’un point de vue général, la notoriété de l’événement, couplée à l’attrait de la capitale, promet indéniablement de belles retombées économiques et des créations d’emplois, en particulier pour la branche du tourisme. Mais la question de l’impact plus spécifique sur le marché de l’escalade se pose.
Une première étude d’impact a été réalisée par le Centre de Droit et d’Economie du Sport (CDES) de Limoges sous la direction du Professeur Jean-Jacques Gouguet, en amont de la candidature de Paris. Dans celle-ci, la prospective semble plutôt alléchante. En effet, les scénarios prévoient un impact de 1,836 M d’euros pendant l’événement et 1,648 M d’euros dans le sillage des Jeux de Paris 2024, estimant l’impact total à 3,527 M d’euros. Mais d’autres études calment les ardeurs des plus optimistes.
Et surtout, comme le souligne très bien Virgile Caillet, délégué général de l’Union Sport&cycle, les premières études ne se sont intéressées qu’aux “retombées socio-économiques globales des Jeux, qui seront essentiellement portées par les secteurs du tourisme et du BTP. S’agissant du sport, [et plus encore de l’escalade], nous n’avons pas encore de projection. D’autant plus qu’il y a deux volets dans les retombées espérées par notre secteur.”
Des retombées en terme de rayonnement et en terme de consommation
En effet, deux volets se dégagent très nettement et méritent d’être examinés :
- D’une part, le potentiel rayonnement économique à l’international des entreprises françaises. En particulier de celles qui ont été retenues comme fournisseurs des installations.
- D’autre part, d’un point de vue plus global, les retombées en matière de pratique et de consommation sur le territoire, qui peuvent intéresser aussi les autres marques.
Sur ce second point, on peut bien sûr émettre des hypothèses en termes de vente. Mais beaucoup de facteurs rentrent en jeu, à commencer par la réussite des athlètes tricolores durant les JO.
Le regard des fabricants à l’orée des JO de Paris
Pour tenter d’en savoir plus, nous sommes partis à la rencontre de plusieurs gros acteurs du marché. Des fabricants de matériel d’escalade, français ou étrangers, fournisseurs ou non de matériel ou d’installations pour les JO. Un grand merci à eux pour leur disponibilité et la précision de leurs réponses. Nous les avons interrogés sur les conséquences qu’auront, selon eux, les Jeux sur le marché de l’escalade dans sa globalité et les opportunités en termes de business. Par exemple à combien estiment-ils l’impact potentiel des Jeux sur les ventes ?
Au-delà des impacts économiques, nous étions aussi curieux de savoir si, selon eux, l’effet de mode actuel sur l’escalade en salle découlait de l’entrée de l’escalade aux Jeux. Et si d’un point de vue sociologique, ils pensaient que leur clientèle s’intéressait aux JO de Paris. En d’autres termes, arrivent-ils vraiment à toucher le public très volatile des salles urbaines avec des équipements typés outdoor ?
L’effet loupe ou une médiatisation accrue
Premier constat, concernant l’effet JO, les marques s’attendent à un soutien majeur en termes de médiatisation. Pour la marque italienne La Sportiva, c’est “une super opportunité de mettre un coup de projecteur sur l’activité en Europe.” C’est aussi ce que relève Raphaël Bouvet pour Mammut. “D’un point de vue global, les JO sont une belle mise en avant du sport aux yeux du grand public. C’est donc forcément quelque chose de positif pour le monde du sport en général.” Christian Lehman, directeur marketing chez Black Diamond Europe, acquiesce. “Les Jeux sont toujours intéressants à mon avis”.
Et d’ajouter : “L’escalade a été l’une des activités les plus regardées aux Jeux de Tokyo. En 2024, nous verrons à nouveau ce nombre augmenter. Non seulement parce que depuis 2020 le nombre de grimpeurs dans le monde a augmenté, mais surtout parce que la France est le plus grand marché de l’escalade avec plus d’1 million de grimpeurs actifs, une équipe nationale très solide et une histoire riche et profonde autour de l’escalade. [Ce qui me fait dire qu’en un sens] l’escalade rentre à la maison.”
L’événement sera largement retransmis et la présence d’athlètes français qualifiés, que ce soit en vitesse ou au combiné bloc/difficulté, boostera l’audience. Cette médiatisation, renforcée par le boom de la pratique en salle, devrait contribuer à continuer de changer l’image de l’escalade auprès du grand public. Et ainsi l’installer durablement comme un sport urbain au sein duquel les français sont performants.
Les forces tricolores
À l’heure où nous écrivons ces lignes, Bassa Mawem et Oriane Bertone sont d’ores et déjà qualifiés. Mais la FFME place de grands espoirs en d’autres athlètes français qui vont participer aux Series (tournois de qualification). À Shanghai en mai puis à Budapest en juin. Au rang de ceux qui pourraient bien décrocher leur ticket, on trouve chez les hommes Mejdi Schalck, Sam Avezou, Paul Jenft et Michaël Mawem. Et chez les femmes Hélène Janicot, Manon Hily, Fanny Gibert et Zelia Avezou. Voir aussi ici les athlètes qualifiés aux Series en vitesse.
Pour Tiphaine Lazard, responsable marketing chez EP Climbing (anciennement Entre Prises), “La promotion de l’escalade à Paris représente une magnifique reconnaissance de ce sport dans son ensemble. Surtout en France où l’escalade sportive a été pionnière à l’échelle mondiale. C’est formidable de voir cette activité devenir plus accessible et visible pour tous. Je considère que c’est une progression remarquable et un travail admirable accompli par les acteurs français pour atteindre cet objectif. Le Graal olympique !”
Les retombées escomptées des JO de Paris en terme de vente
Au-delà du coup de projecteur, ce sont bien sûr les retombées en termes de ventes qui intéressent, au premier chef, les marques. Mais en réalité, il y aura deux temps. Tout d’abord le temps de l’événement lui-même. Puis celui de ses conséquences à court-moyen termes. Une sorte d’effet Gillette G2 que décrypte très bien Raphaël Bouvet. “ D’un point de vue commercial, c’est un impact positif qui est attendu, du fait de l’augmentation du trafic dans la région parisienne et donc en magasin.”
Mais par la suite, ajoute-t-il, “on peut imaginer que le nombre de licenciés, et d’inscriptions dans les salles, va continuer d’augmenter après les Jeux de Paris. L’événement ayant lieu environ un mois avant la rentrée scolaire, il se peut que cela donne des idées pour les bonnes résolutions de la rentrée”. Un phénomène qui devrait bien sûr dynamiser les ventes de matériel d’escalade. À commencer par les chaussons, mais pas uniquement.
Pour Christian Lehmann, le constat est le suivant. “Pendant la période 2020-2021, il y a eu une énorme augmentation de la demande pour les articles de sport en plein air. Y compris l’équipement d’escalade. Bien sûr, cette augmentation a été largement stimulée par les circonstances entourant la pandémie. Car les gens cherchaient à s’évader dans la nature. Mais ce phénomène a été également grandement soutenu par l’intérêt général suscité par la diffusion du sport lors des Jeux olympiques de Tokyo”.
Les motivations des marques qui sont fournisseurs officiels
L’événement ayant lieu à Paris, il est assez logique que plusieurs marques françaises aient candidaté auprès de la fédération internationale, du CIO et du COJO pour être fournisseurs officiels des installations lors des JO de Paris. On pense notamment aux murs ou aux prises et volumes d’escalade utilisés pour les ouvertures. Comme EP Climbing, eXpression ou encore Cheeta.
Lors de la préparation de cet article, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Benoit Beylier, PDG de EP Climbing, une marque partenaire de longue date de l’IFSC. Il nous a expliqué que la motivation d’être fournisseur officiel des installations a été très forte dès le départ. Puisque les JO sont un événement planétaire et qui plus est, organisé en France cette année.
“L’escalade est un sport de plus en plus apprécié des citadins, précise-t-il. Par ricochet, les salles sont de plus en plus nombreuses et s’équipent. Il est clair que pour nous, la présence de notre mur de bloc TITAN lors des JO de Tokyo, des Jeux Panaméricains, des Championnats de Berne et bien sûr à Paris 2024, c’est une formidable opportunité, en terme de visibilité. Ça permet de démontrer notre savoir-faire auprès des réseaux de salles et des porteurs de projets”.
D’ailleurs, on notera que dans le sillage des grands événements internationaux mentionnés, le mur TITAN a fait des petits. À ce jour, une vingtaine de murs de ce type ont été vendus comme répliques à des salles privées ou à des centres nationaux d’entrainement. Ils sont installés ou sont en cours de projet, partout à travers le monde. Citons par exemple la France, la GB, l’Espagne, la Suisse, l’Inde, le Japon, la Chine, le Chili, l’Indonésie… Et même l’Arabie Saoudite !
Quid des murs d’escalade après les Jo de Paris ?
Le point de vue d’un fabricant de prises et de SAE comme EP Climbing est intéressant. Car, au-delà des centres d’entrainement et du haut niveau, on peut s’interroger sur l’impact des Jeux sur le maillage des salles sur le territoire. Comme le constate Tiphaine Lazard, “le marché reste malheureusement imprévisible. Mais nous anticipons une possible augmentation des commandes de la part des Collectivités. Elles pourraient être incitées à moderniser leurs installations et à renouveler leurs prises”.
Les fabricants de murs espèrent aussi un effet rebond dans les villes moyennes. Là où l’offre en termes d’escalade n’est pas encore saturée. Ce qui pourrait stimuler la demande dans ces régions. “Nous prévoyons également un dynamisme accru sur les marchés du Benelux et du sud de l’Europe, où les opportunités sont nombreuses, à l’exception de l’Espagne où notre présence est déjà solide”.
En fait, l’engouement suscité par les Jeux a amplifié un mouvement déjà en cours, dont les principaux moteurs sont les grands réseaux de salles privées qui ont contribué à populariser et à démocratiser la pratique en la rendant tendance et accessible à tous. Car l’accessibilité reste la clé de cette progression en France. La logique est loin des salles d’entraînement. Il s’agit plutôt de lieux de vie. Les clients y cherchent des voies sympas et accessibles, sans nécessairement avoir pour objectif la performance.
Clientèle des salles vs matériel outdoor
Un bémol toutefois se fait jour. Car si l’inclusion de l’escalade aux Jeux de Tokyo 2020 a marqué un tournant significatif en terme de reconnaissance de l’activité, l’engouement actuel pour les salles est un phénomène global qui va bien au-delà de l’effet JO. Cette clientèle des salles, très volatile, comme nous avons eu l’occasion de le souligner, n’est pas forcément celle qui se passionne, temporairement et à l’occasion des Jeux, pour les épreuves olympiques. Elle n’est pas forcément non plus amenée à pratiquer dehors, ce qui n’est pas sans conséquences sur les ventes de matériel outdoor. On pense aux ventes de corde, dégaines, crashpads, etc.
C’est ce relève Raphaël Bouvet. “On remarque depuis plusieurs années une augmentation de la fréquentation des salles d’escalade, les JO viennent [certes] accélérer cet essor. On peut néanmoins se demander si ce n’est pas au détriment de la pratique outdoor de ce sport”. Un hiatus qu’il tempère toutefois. “La clientèle de Mammut est plutôt définie comme amoureuse de la montagne, proche de l’aventure en extérieur et qui se retrouve moins dans les sports indoor ou de compétition. Néanmoins, l’effet spectacle des JO attire un nombre certain de spectateurs. Le public des salles de bloc est le point d’entrée vers le milieu de l’escalade et de l’outdoor. Il est donc essentiel pour nous d’être présent à ce niveau-là”.
Des positionnements variés par rapport aux JO de Paris
Tous les fabricants de matériel n’ont pas la même vision de l’événement. Et certains, au-delà des opportunités qu’il serait difficile de nier en termes de business, ne se retrouvent pas forcément dans les épreuves d’escalade, telles qu’elles sont proposées aux JO. C’est le cas par exemple de Frédéric Beal, fabricant français historique de cordes et de matériels de sécurité. Il s’interroge sur le format et les valeurs que véhicule le sport :
“Je ne vais pas mentir, c’est quand même une fierté de voir notre sport être présent aux JO. On y retrouvera les valeurs de dépassement de soi et d’excellence. Mais quid du partage et de la confiance en l’autre ? Pour moi, l’escalade c’est avant tout un moment où se crée une cordée. C’est un moment où le grimpeur met sa vie entre les mains de son assureur. Ce moment là n’existe ni en vitesse, ni en bloc […]. Je ne suis pas certain que l’escalade olympique soit l’escalade que j’aime”.
Et d’ajouter : “ En difficulté, tu me mettrais un duo assureur/grimpeur plutôt qu’un grimpeur seul (comme le golfeur et son caddy), on serait déjà plus proche de l’esprit. L’assureur étant là pour assurer, conseiller, encourager, notamment lors de la lecture de la voie. Et en bloc, il faudrait recréer cet esprit où on cherche collectivement une solution à un problème. Mais bon, je divague ;-)”.