Ouverture et escalade : la parole aux femmes

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En cette veille du 8 mars, la Journée Internationale des droits des femmes, La Fabrique verticale a souhaité donner la parole à plusieurs femmes qui font de l’ouverture dans des salles d’escalade, en salariée ou en indépendante. Cet article s’inscrit donc directement dans le prolongement de notre dossier sur la féminisation du métier d’ouvreur.e. De quoi changer de regard sur la profession.

Le métier d’ouvreur est unanimement reconnu comme requérant des compétences variées. En bref, l’ ouverture, c’est un savant mélange de créativité et de grosse condition physique, le tout saupoudré d’un sacré niveau en escalade. La proportion de femmes exerçant ce métier est encore loin de la parité. Mais les lignes bougent.

C’est pourquoi, en cette veille du 8 mars, La Fabrique verticale a souhaité donner la parole à 6 femmes qui travaillent régulièrement à l’ouverture : Chloé Minoret, Florence Pinet, Ysabel Piriou, Kenza Slamti, Manon Elefantis et Élise Kobler. D’âge et de parcours variés, elles nous racontent comment elles sont venues à ce métier. Et lâchent, au passage, quelques anecdotes qui en disent long sur les préjugés encore en circulation.

Merci à toutes pour leur disponibilité et leur franchise.

Les débuts en ouverture

Chloé Minoret

Championne d’Europe d’escalade en 2002, monitrice et ouvreuse indépendante

“L’ouverture est venue à moi naturellement. J’ai toujours aimé la gestuelle et les préhensions, j’ai un amour pour les prises, les textures… À l’époque où je faisais de la compétition, on avait tous des pans et j’ai eu la chance de m’entraîner sur les plus beaux… Inventer des circuits et des blocs était notre quotidien.

Avec l’apparition des salles d’escalade, notre terrain de jeux et de création s’est juste agrandi. Et les prises ont évolué assez rapidement. J’ouvre officiellement depuis la création de « MURMUR Lyon » en 1997… On a ouvert, avec François Petit et les copains de Lyon, toutes les voies de la salle pour l’ouverture officielle”.

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Florence Pinet

8c+/9a en falaise, plusieurs fois Championne de France d’escalade, ouvreuse indépendante

“Je suis arrivée à l’ouverture un peu par hasard. J’étais à Buoux et Snoop (Françoise Lepron) disait qu’il lui manquait un ouvreur sur une compète régionale. J’ai entendu ça, j’avais du temps libre, ça m’a motivée et je lui ai proposé mon aide. C’était une ouverture sur corde, je n’avais pas de choqueuse, j’étais débutante… mais mon expérience de grimpe m’a énormément servi. De plus, mes collègues de travail (que des hommes) étaient au top et n’hésitaient pas à me guider. Ce fut un coup de cœur. Ensuite je me suis formée et j’ai continué. J’ouvre depuis 2011”.

florence pinet escalade

Kenza Slamti

Ouvreuse indépendante, ancienne athlète de haut-niveau et falaisiste passionnée. Bref une touche à tout de l’escalade !

“J’ai découvert l’ouverture dans la salle d’escalade où j’allais prendre des cours quand j’étais enfant. Je voyais les ouvreurs changer les blocs et j’avais envie de faire pareil. Et puis, quelque temps après, je m’y suis mise et j’ai tenté de créer mes premiers blocs. Quand j’ai découvert l’ouverture, je devais avoir 13-14 ans, depuis je n’ai jamais vraiment arrêté d’ouvrir.

Au début, j’ouvrais sur des petits pans. J’ai également ouvert, de temps en temps, à l’ancien pôle France d’Aix-en-Provence, lorsque je m’y entraînais. Et puis il y a 6 ans, j’ai décidé de me lancer pleinement dans l’ouverture et d’en faire mon métier. J’ouvre en bloc et en voie dans différentes salles. J’ouvre aussi en compétition en France et à l’international. ”

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Ysabel Piriou

Ouvreuse pour le réseau Arkose

“J’ai découvert l’ouverture lorsque j’ai commencé à travailler dans une salle d’escalade. A l’époque, l’agent d’accueil avait plusieurs casquettes et notamment celle d’ouvreur. Ce qui m’a beaucoup plu, alors lorsqu’un ami m’a proposé d’effectuer la formation d’ouvreur régional en 2018, j’ai dit accepter immédiatement.

C’est à la suite de cette expérience que j’ai décidé de me lancer à 100% dans l’ouverture. J’ai tout quitté, acheté un petit van aménagé et je suis partie faire le tour de la France pour ouvrir ici et là. Cela fait à présent 6 ans que je pratique l’ouverture, principalement en bloc. En ce moment même je suis basée à Paris, je travaille pour Arkose sur toutes les salles d’Ile-de-France”.

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Manon Elefantis

Ouverture dans le réseau Altissimo

“J’ai ouvert ma première voie au sein de mon club d’escalade d’enfance, Pied’Escale à St Orens. J’avais tout juste 15 ans. Par la suite, j’ai ouvert de manière exceptionnelle dans mon club. C’est en arrivant à Altissimo St Martin, en juin 2019, que j’ai réellement débuté l’ouverture de façon régulière, chaque semaine. J’ouvre principalement en corde. Ça m’arrive d’ouvrir quelques blocs mais c’est plutôt rare. A Altissimo St Martin uniquement”.

Elise Kobler

Ouverture à la salle Block en Stock à Strasbourg

“J’ai commencé à ouvrir en janvier 2020. Ça faisait quelques mois que j’avais été embauché dans une salle d’escalade et on m’a donné l’opportunité d’apprendre à me servir d’une visseuse et de visser des blocs. Avant ça, j’avais travaillé dans une autre salle pendant un an et l’ouverture me paraissait être un domaine inaccessible.

Ça fait maintenant 5 ans que j’ouvre. J’ai toujours fait de l’ouverture en bloc dans une salle commerciale à Strasbourg, mais récemment j’ai changé de salle donc je vais aussi me mettre à la voie. Jusqu’à présent, je n’ai ouvert que pour des opens qu’on organisait dans la salle où je bossais, mais ouvrir en compétition me plairait énormément. ”

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Ouverture : La question de la discrimination

Chloé Minoret

“Vaste question… J’en ai vécu qu’une pour le moment. Et j’ai fui… Après ma carrière pro, Marco Scolaris (président de la fédération internationale) m’avait incité à intégrer les équipes internationales pour ouvrir en Coupe du monde, où il n’y avait encore eu aucune ouvreuse. Ma motivation pour la compétition était un peu tarie. Par contre, j’étais hyper motivée pour ouvrir…

Mais j’ai vite été remise à ma place par les pontes de la fédé de l’époque, n’ayant pas le droit de me présenter au test d’ouvreurs international… Avec du recul je ne regrette pas, j’aurai dû me battre à chaque épreuve pour être admise… 20 ans plus tard on cherche encore les ouvreuses…”

Florence Pinet

“C’est vrai que l’on peut facilement mettre une fille dans une case surtout si elle n’est pas très physique comme moi. Mais si ça arrive, il faut savoir dire les choses : « Je veux ouvrir une voie de finale homme », « Je veux ouvrir le bloc physique » et si jamais on te refuse la tâche pour des raisons machistes (ce qui ne m’est jamais arrivé), alors là la personne est minable ! […] C’est drôle, j’ai 2 diplômes qui me font évoluer dans 2 univers totalement différents. Un diplôme d’ouvreur et un diplôme d’auxiliaire de puériculture, un milieu quasi exclusivement féminin.

Dans ces 2 univers, c’est juste de la relation humaine. Parfois on ne se comporte pas de la même façon en fonction de la personne qu’on a en face de soi et parfois il faut être conciliant. Tout ça pour dire que l’ouverture est un milieu masculin qui accueille très bien les filles mais c’est un milieu masculin…”

Kenza Slamti

“Comme dans tous les milieux professionnels, il est plus difficile pour une femme de s’imposer. Les milieux de l’escalade et de l’ouverture ne sont pas épargnés par les questions de genre et de pouvoir. Il y a toujours cette impression qu’il faut prouver que tu as les compétences quand tu es une femme (plus qu’un homme). Il y a aussi plus d’attente en quelque sorte. Mais, d’un autre côté, je crois que la personnalité et le caractère sont des points importants dans le milieu de l’ouverture et sont moins dépendants du genre.

J’ai un caractère assez fort et une bonne confiance en moi. Je pense que cela m’aide à m’imposer et à répondre à la dimension « machiste ». J’ai quand même peu souvent été confrontée à cela. Pour autant, quand la situation se présente, je gère soit parlant clairement de la situation, en expliquant comment celle-ci n’est pas acceptable et en mettant la personne face à son comportement, soit je ne relève même pas et je laisse couler.”

Ysabel Piriou

“Que ce soit pour un homme ou une femme, lors du début de carrière, cela est difficile de faire ses preuves. Il faut prouver avoir un bon niveau d’escalade et d’ouverture. Néanmoins, il semble tout de même plus difficile pour une femme de trouver sa place dans ce milieu majoritairement composé d’hommes. Cela ne représente que le reflet de la société dans laquelle nous vivons. Dans un milieu codifié par la gente masculine, la femme doit se plier à ses codes pour réussir à être acceptée et reconnue.”

Manon Elefantis

“ Je ne sais pas si je peux parler de machisme ou de discrimination mais je suis certaine de vivre certaines situations, en tant que femme, différemment de mes collègues masculins. Les remarques des grimpeurs, sur des voies dites « féminines », se veulent bienveillantes mais relèvent d’une forme de sexisme. Je pense également au nom que les ouvreurs donnent à leur voie. Ils ne s’interdisent pas de nommer leur voie de façon franchement sexiste.

J’aime reprendre ces noms de voies pour me les réapproprier en tant qu’ouvreuse ;-). Par exemple, à St Antonin, il y a deux voies qui se nomment respectivement « Les pépés font la voie » et « Les mémés restent en bas ». Je me suis amusée à nommer deux voies que j’avais ouverte en salle « Les pépés chutent au plat » et les « Mémés font la croix ». C’est ma petite façon à moi de m’exprimer et de me « révolter », ahah !”

Élise Kobler

“D’une manière générale, c’est plus difficile de se frayer un chemin, de prendre de la place dans les salles et d’être acceptée dans les équipes d’ouverture qui sont quasiment toujours entièrement masculines. Aujourd’hui, les équipes d’ouverture restent parfois encore des ‘boy’s clubs’, où il est plus complexe de se faire une place quand on est une femme.

Mon ancien patron sous-estimait régulièrement mes capacités en grimpe et en ouverture. En me voyant grimper, il lui arrivait de dire : “Oh non, ce bloc peut pas être *tel niveau*. Élise, normalement, elle n’est pas à l’aise dans ce niveau-là” alors que c’était bien en dessous de ce que j’étais capable de faire. Un collègue a un jour demandé à ce que je me filme dans un bloc pour lui montrer parce qu’il refusait de croire que je sois assez forte pour le grimper. Cette remise en question de mes capacités vient parfois aussi des grimpeurs qui peuvent refuser de croire que j’ai ouvert un bloc jugé trop physique.”

 

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