Board rooms : vers un nouveau modèle de salles d’escalade ?

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Après une décennie de croissance fulgurante, le secteur des salles d’escalade privées connaît un premier coup de frein. Jadis symbole d’un loisir urbain branché, propulsé par l’entrée de l’escalade aux JO, le marché affiche désormais des signes de fébrilité. Dans le même temps, un nouveau type de salles tend à émerger, en particulier en Amérique du Nord : des board rooms, équipées de spray walls et de murs inclinables, plus petites, plus rentables. Mais ce modèle est-il transposable à la France ?

La rentabilité des salles d’escalade privées semble marquer le pas en 2025. Jusqu’il y a peu, le secteur nageait en pleine béatitude, avec une croissance à deux chiffres. Aujourd’hui les principaux groupes se réveillent un peu avec la gueule de bois. Parallèlement, on voit émerger aux US un nouveau modèle de salles, des board rooms, avec des Spraywall et des murs inclinables équipés de systèmes de prises à leds (Kilter, Tension, Moon…). Est-ce la solution ?

board rooms salle d_escalade murs inclinables kilter et spray wall

Le marché des salles d’escalade en 2025, un ralentissement confirmé

Selon l’Union Sport & cycle, sur 2025, le marché des loisirs sportifs a connu globalement en France une dynamique positive. Cependant, et paradoxalement, l’escalade a mal tiré son épingle du jeu. C’est d’ailleurs le seul secteur dont les indicateurs sont à la baisse. Et ce depuis le troisième trimestre 2024. Malgré une hausse du nombre de salles (+11,3%), la fréquentation stagne et le chiffre d’affaires global du secteur recule (-3% au premier trimestre 2025 vs 2024). Résultat : la fréquentation moyenne par site s’effondre (-10%), fragilisant un modèle économique bâti sur l’euphorie et l’expansion rapide.

Car il n’y a pas si longtemps, l’industrie de l’escalade en salle semblait invincible. De nouvelles salles fleurissaient partout en France dans les grandes agglomérations, toutes plus stylées les unes que les autres, pour répondre aux besoins d’une population croissante de millennials et de bobos aisés. Les investisseurs se frottaient les mains, les projets des grands réseaux se multipliaient et les opérateurs s’empressaient de conquérir leur part de marché, à grand renfort de levées de fond. Un phénomène d’ailleurs observé dans toutes les grandes capitales européennes.

afterwork salle d_escalade de bloc

Le modèle des salles de bloc sous pression

Or, le concept dominant –  bloc, afterwork et bières artisanales dans des espaces design et chaleureux – semble s’essouffler. La pratique loisir ralentit et la restauration est à la peine. La concurrence augmente et les néo-grimpeurs peinent à être fidélisés. De plus, les jeunes urbains zappent d’une activité à l’autre (padel, pickleball, running, trail urbain). Parfois “jusqu’à 4 ou 5 différentes pour les moins de 25 ans”, selon Damien Jacquart de l’Union Sport & Cycle.

Et ils fréquentent plusieurs enseignes plutôt que de rester captifs. Il faut dire que dans les grandes villes, le marché des salles d’escalade flirte avec la saturation. Et les clients ont l’embarras du choix. Or pour les gérants, les marges sont minces et les coûts de fonctionnements élevés. Loyers prohibitifs, prix de l’énergie en hausse, remboursement des PGE, renouvellement des prises et masse salariale : autant de charges qui pèsent lourd.

salle de bloc escalade urbaine

Faire évoluer le modèle pour survivre

Certains acteurs historiques souffrent. Après BO, en redressement judiciaire pendant 2 ans, Vertical’Art semble lui aussi en difficulté (fermeture des salles Pigalle et Chevaleret à Paris en 2024, et de Lyon en 2025). Des indépendants sont entrés à leur tour dans la tourmente. Par exemple La Contre Pointe près de Bourges, La Ô près de Toulouse ou encore BoulderLine à Montpellier (anciennement BO). Pour résister, les grands réseaux multiplient les promotions (séances découverte à 5€, accès gratuit, abonnements bradés, journées portes ouvertes).

Et si la solution passait par une amélioration de l’offre ? Et par la mise en place de nouveaux concepts ? C’est sans doute un peu le constat que font la plupart des réseaux, avec par exemple l’adjonction de Spraywall ou de murs inclinables type Moonboard, Kilterboard ou Tensionboard. Des investissements qui restent malgré tout assez onéreux. D’où l’émergence également d’offres en leasing de la part des fabricants de ce type d’outils.

kilterboard salle escalade

L’émergence d’un nouveau modèle : les board rooms

Dans ce contexte tendu, un nouveau concept de salles semble aussi vouloir émerger, certes timidement pour l’instant. Il s’agit de ce qu’on nomme aux US ou au Canada des board rooms. C’est-à-dire des espaces plus petits, uniquement équipées de :

  • Murs inclinables équipés de systèmes à prises lumineuses type Moon, Kilter ou Tension
  • Spraywall
  • Éventuellement Pan Gullich et poutres
  • Ou zone de dalle pour travail gestuel spécifique
board room escalade salle de kilterboard

Une idée reçue tenace voudrait que ces espaces ne visent qu’un marché de niche, celui des grimpeurs experts ou des compétiteurs, lassés des ouvertures “ludiques” des salles modernes, mais toujours avides de progression physique. Si tel était le cas, ces espaces d’entraînement ne s’adresseraient qu’à une mini fraction du public. Et leur apparition ne résoudrait pas l’équation économique. Mais la réalité est plus complexe.

En fait, l’idée de ce type de salles, c’est surtout de résoudre la question de la rentabilité (espaces plus réduits donc loyers plus faibles, ouverture 24h/7j avec badge et vidéosurveillance donc sans personnel à l’accueil, systèmes de prises à leds donc plus besoin de renouveler les ouvertures). Mais l’ensemble de la clientèle, y compris les enfants et les débutants, doit pouvoir accéder à ces outils. Et de fait, c’est le cas, puisqu’un mur inclinable, par définition, n’a pas vocation à rester incliné en permanence à 60°…

escalade enfants qui grimpent en baskets sur une kilterboard

Board rooms : pour les experts ou pour tous ?

Pour de certains professionnels du secteur que nous avons interrogés en France (patrons de salles ou fabricants de murs…), il y a du potentiel pour ce type de salle mais uniquement dans les bastions avec une concentration de “core climbers”, ressentant le besoin d’un retour aux sources. Ainsi pour Fred Pellevet de la société Grimpalimpa – Citywall France, “mon humble avis est que la cible, tout du moins en France, est très très limitée, on parle d’une niche dans un marché de niche.”

La question de la zone où implanter ce type de salles se pose donc. Car selon eux, il faut déjà un important bassin de forts grimpeurs pour espérer tourner, étant donné le caractère élitiste souvent associé aux murs inclinables dans l’esprit des gens. C’est en tout cas l’analyse qu’en fait pour l’instant Tiphaine Lazard, de la société EP climbing : “Je pense qu’il est plus facile de savoir si ça peut marcher ou non suivant la zone de chalandise, car avec ce type de salle, on touche surtout les grimpeurs. Donc globalement le business model peux être fait avec un échantillon très restreint de type d’utilisateurs.”

salle escalade kilterboard training

Au contraire, pour d’autres acteurs du milieu, dont les Canadiens de la société Lemur design, cette analyse est partiellement tronquée. Pour eux, qui ont observé l’apparition de ce type de salles sur le Continent nord-américain, les board rooms peuvent parfaitement satisfaire tout type de public. Y compris des débutants, à condition de leur faire prendre conscience des potentialités de ces structures.

Et la solution d’avoir des synergies entre une salle classique et une salle connectée au sein d’une même enseigne leur semble un excellent compromis. Ainsi Climber’s rock en Ontario a ouvert un espace avec une large gamme d’équipements spécialisés, à deux pas de sa salle originelle. Son nom ? Précisément The Board room. Ça ne s’invente pas !

potentialités spraywall apprentissage escalade

Des exemples de board rooms en Amérique du Nord

Si le modèle des board rooms existe déjà depuis quelques années au Canada et en Amérique du Nord, il a connu des fortunes diverses. À Montréal, par exemple, un fabricant de murs avait ouvert une salle d’escalade “hardcore” de ce type, qui s’appelait Off Site. Mais finalement elle vient de fermer et va être rebrandée en salle plus conventionnelle sous le nom de Monolithe. Peut-être était-elle trop élitiste ?

À l’inverse, à Vancouver, une nouvelle salle composée uniquement de murs inclinables, Tilted, devrait ouvrir ses portes dans les prochains mois. L’espace conçu pour être accessible 24h sur 24, 7 jours sur 7, comportera 95m2 de surfaces grimpables. Soit 4 boards type Kilter, un gros spray, une peg board, un pan Gullich et un espace de muscu. Mais elle s’adresse à tous, quel que soit le niveau. On peut apprendre à grimper ou perfectionner sa technique sur les murs positionnés verticalement puis s’adonner aux joies du bourrinage en augmentant l’inclinaison.

board rooms escalade salle de bloc

Aux Etats-Unis, en Iowa, le Workshop Bouldering Club s’ouvre bientôt sur le même modèle, dans une ancienne friche industrielle transformée en board room. Et à Bend, Oregon, le Boardworks tourne plein pot depuis 2 ans, exactement dans la même logique. Soit des murs inclinables, des Sprays et une salle de muscu. Pour ne citer que quelques exemples. Car les salles de ce type commencent à essaimer en Amérique du Nord.

Quid des board rooms en Europe ?

L’Europe semble un peu à la traîne, par rapport aux US ou au Japon. Pourtant de très beaux espaces de Spray wall ou des Board rooms existent déjà en Belgique ou aux Pays-Bas. Comme par exemple à Leiden, où la salle Wild Flower Climbing Gym est née de la vision des coachs d’escalade Tiba Vroom et Jørg Franken, qui ont souhaité partager leur expérience avec des grimpeurs de tous niveaux. Ils proposent même un accueil aux petits oignons pour les débutants. Cool !

Même combat au Sud de Londres, avec le Muro Peckham. Une belle salle qui a ouvert ses portes en janvier 2025. Au cœur du projet se trouvait le désir de réintroduire le spray wall, un outil d’entraînement plutôt typé expert au départ, aujourd’hui repensé pour les grimpeurs de tous niveaux. Et d’autres exemples viennent à l’esprit : à Bergen (Norvège), la salle de Magnus Midboe, Rugne Buldr, qui elle est très axée entrainement. Ou encore en Italie, la salle Big Up de Cuneo qui vient de faire de gros investissements pour proposer un espace du même genre, en parallèle d’une salle de bloc plus conventionnelle.

Peckham-muro le spraywall pour tous escalade
Le Muro Peckham à Londres ou le spraywall pour tous

Le modèle est-il transposable en France ?

Ce concept commence à apparaître aussi en France. À Saint-Etienne, une salle similaire a vu le jour cette année, le Yellow bloc training, d’ailleurs dans un relatif anonymat. Adossée à une salle de trampoline, elle s’est montée en partenariat avec la salle Bloc à brac. Et plusieurs autres gros projets de ce type sont à l’étude en France. Comme à Chambéry ou à Paris, avec pour nom Le Panneau.

En terme de concept, ce n’est d’ailleurs ni plus ni moins qu’une déclinaison commerciale des pans associatifs. Comme par exemple celui imaginé par de très forts compétiteurs à Grenoble, le Street wall, où s’entraînent régulièrement Mejdi Schalck, Paul Jenft, Jules Marchaland ou Nao Monchois, régulièrement rejoints par d’autres mutants transalpins. L’émergence de ce type de salle et les vidéos qui circulent sur les réseaux a d’ailleurs lancé une trend.

street wall grenoble mur entrainement spray wall escalade
Jules Marchaland sur le Street Wall à Grenoble

La ville de Nantes, quant à elle, devrait voir naître l’an prochain une nouvelle salle El cap, entièrement basée sur ce type de services. Un peu sur le modèle nord-américain qui adosse une board room à une salle classique. Et l’idée est de la rendre la plus inclusive possible, à des années lumière de l’idée reçue selon laquelle une board room ne s’adresse qu’aux très forts grimpeurs. Puisque cette salle inclura des Piton board, pans inclinables rapides à descendre et remonter, la condition sine qua non pour permettre aux non-experts de s’approprier l’outil.

Avantages d’une board room

Ce modèle offre plusieurs atouts :

  • Coûts réduits : moins d’espace, loyers plus bas, pas de renouvellement constant des ouvertures
  • Ouverture 24h/24 et 7j/7 : pas de personnel sur place, accès autonome via badge ou application mobile + vidéosurveillance
  • Expérience différente : escalade plus proche du style “outdoor” et apprentissage gestuel
  • Public ciblé : tous les publics (grimpeurs investis bien sûr, compétiteurs, passionnés du training… mais aussi grimpeurs moins forts qui peuvent bénéficier de structures inclinables donc adaptables à leur niveau)
enfants escalade spraywall indoor
A Leiden, Pays-Bas, même les enfants jouent sur le Spray wall, à la salle Wild Flower Climbing Gym

Pour preuve qu’une board room peut s’adresser à tous, les frères Mawem ont d’ailleurs récemment présenté une adaptation de leur fameux footing vertical à un mur inclinable. En effet, en association avec Lemur Design, le système CAMI de MBS a été placé sur un rail, en haut d’un pan à leds. Un dispositif qui intrigue, questionne et semble déjà ouvrir de nouvelles perspectives… Aussi bien dans le domaine du loisir pour élargir le public des board rooms aux débutants que dans le milieu médical, pour la rééducation.

footing vertical kilterboard mbs cami lemur escalade
Démonstration des potentialités du Footing Vertical sur un mur inclinable

Quel avenir pour l’escalade indoor ?

Le secteur des réseaux d’escalade est aujourd’hui confronté à un défi de taille. Avec une fréquentation stagnante, des coûts en hausse et une offre excédentaire de salles, sa survie dépendra moins de son expansion que de sa capacité à offrir de nouveaux services. La filière de l’escalade en salle arrive à un tournant. Le modèle grand public du bloc-loisir reste fragilisé par la concurrence et la baisse du pouvoir d’achat.

Comme l’explique Alexis Manciot, de l’Union Sport et cycle, “les nouvelles activités à la mode multiplient les options de loisir sportif pour le public, rendant la concurrence plus forte entre les disciplines. Un individu disposant d’un budget et d’un temps limités devra arbitrer entre plusieurs offres attractives. Un jour une séance de padel, un autre une session d’escalade… Ou tester un cours de fitness ou de pilates dans un studio un peu innovant”.

padel-les raisons du succès

Certaines enseignes intègrent d’ailleurs plusieurs activités sous un même toit (ex : complexes multisports proposant à la fois escalade, foot5, padel…). La concurrence est également importante avec l’offre de loisirs en général, dans un contexte budgétaire compliqué pour les ménages. Le futur pourrait donc passer par une complémentarité :

  • Les salles de bloc ou de voies, classiques, conviviales mais coûteuses à opérer
  • Des board rooms, plus petites, plus rentables et plus funs

Reste une question cruciale… Peut-on faire évoluer les mentalités et convaincre que ces outils connectés n’adressent pas seulement un marché de niche – celui des grimpeurs “purs et durs” ? Pourra-t-on convertir des néo-pratiquants à ce type de concept et ainsi garantir la viabilité économique de ces espaces ? Ce qui est sûr, c’est que pour l’instant les murs inclinables sont sous-utilisés par les grimpeurs loisirs, bien souvent par méconnaissance de l’outil ou par peur du ridicule. Alors même qu’inclinés au minimum, ils seraient susceptible de les faire progresser ! L’accompagnement sera donc la clef…

kilterboard escalade pan interactif
Quand les mutants jouent sur le mur inclinable, les autres grimpeurs passent leur chemin, dommage !

 

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1 réponse

  1. manu Ibarra dit :

    amusant, on revient aux pans des années 80/90, simple surface de contreplaqué dont certains s’inclinés.
    C’était la même réponse au même problème: grimper sur un truc pas cher, prenant un minimum de place et facile à construire.
    La vie est un éternelle recommencement !

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