Eline Le Menestrel : activiste et grimpeuse !

Ils ne sont pas nombreux les grimpeurs qui interrogent leur mode de pratique à la lumière des questions environnementales. Eline Le Menestrel fait partie de cette jeune génération très concernée par le changement climatique. Se voulant exemplaire en tant qu’athlète, elle grimpe et agit en fonction de ses convictions écologiques. Portrait d’une jeune activiste à l’éthique bien trempée.

Pédaler en pleine canicule sous le soleil provençal, ce n’est pas franchement l’idée que l’on se fait d’un échauffement dans les règles de l’art pour aller tenter un projet en falaise. C’est pourtant bien en vélo qu’Eline Le Menestrel nous a rejoint à Buoux en juillet dernier, après un périple de 45km depuis la gare d’Aix-Marseille !

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Éline venait de s’offrir une petite balade de 3h, avec corde et matériel sur le dos, alors que les températures flirtaient avec les 37°C. “Quand je croisais les gens en voiture, je sentais la pitié dans leur regard !”, plaisante-t-elle en surchauffe, le visage encore rougi par l’effort. Mais la jeune grimpeuse française n’en a cure, elle préfère opter pour des mobilités douces, quitte à revoir un tantinet à la baisse ses ambitions.

Faut-il y voir les conséquences du grave accident qu’elle a eu dans les Dolomites il y a deux ans et qui a failli l’éloigner définitivement des falaises ? Peut-être… Il faut dire qu’une commotion cérébrale et de multiples fractures nécessitant trois opérations – dont une très rare que le chirurgien n’avait jamais tentée jusqu’alors – sont plutôt de nature à faire réfléchir. Et à relativiser. Même si son objectif à long terme reste clairement de revenir plus forte qu’avant son accident.

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Ambitieuse mais responsable

“J’aime faire preuve de détermination, reconnaît Éline. Donc j’aime la recherche de performance et le dépassement de soi en escalade. C’est une des raisons pour lesquelles je grimpe. Mais pour moi la performance ne se résume pas à un chiffre ou une cotation, c’est un tout qui comprend les autres et l’environnement dans lequel je grimpe.”

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“Aujourd’hui, si je dois faire 80km en voiture à chaque fois que je veux essayer ma voie, j’ai du mal à trouver du sens à ma performance car elle n’apporte rien à personne. Mais si j’apprends à me déplacer en limitant mes émissions de gaz à effet de serre, je développe ma mobilité et peux transmettre ce que j’apprends aux autres. Car la mobilité écolo est une compétence : ça se travaille. Pour moi, le comment est tout aussi important que le combien, voire plus important.”

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L’art et la manière

Il y a quelques années, nous avions croisé Eline Le Menestrel à Montserrat, à l’époque où elle vivait encore en Espagne avec ses parents. Elle était une jeune pousse pleine d’avenir, qui tentait crânement sa chance dans des voies en 8 et tirait sur les trous avec autant d’aisance qu’elle faisait courir ses doigts sur sa flûte traversière. Car Eline est musicienne. Et joue par tous les temps !

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Fille de Marc Le Menestrel, elle est née à Fontainebleau mais a grandi à Barcelone, où elle a fait le Conservatoire, tout en fréquentant assidûment les falaises de Catalogne. Aujourd’hui rentrée en France pour étudier, elle est inscrite en licence Science et Humanités à l’Université Aix-Marseille, une formation pluridisciplaire qui adopte un rapport critique aux savoirs.

L’idée est de faire dialoguer les sciences dites dures (mathématiques, physique) avec les sciences humaines (linguistique, philosophie, histoire, sociologie, anthropologie et lettres), à travers des thèmes aussi variés que Nature et Culture, Approche critique de la Langue ou encore Vision, Lumière, Couleur.

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Renaître de ses cendres

On comprend que cette opportunité d’ouverture et d’apprentissage ait pu séduire Éline, dont il ne faut pas longtemps pour saisir l’enthousiasme et la capacité à remettre en cause les schémas de pensée pré-établis. Qu’il s’agisse d’escalade ou de tout autre sujet, Éline aime choisir ses mots et questionner le langage, pour transmettre sa passion et ses idées. Ainsi, quand elle évoque son accident et son long parcours de la guérison, on perçoit immédiatement que l’épreuve l’a façonnée et qu’elle a cherché des ressources nouvelles pour y faire face.

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Pour autant, c’est la joie qui prédomine dans nos échanges. Éline semble devoir rester de toute éternité cette adolescente au visage poupin, gâtée par les bonnes fées de l’escalade, qui ont eu l’heur de la faire naître dans une famille de grimpeurs très connus. Avec Jacques et Hélène Le Menestrel pour grands-parents, Marc pour Papa et Antoine comme tonton, la passion en héritage va de soi. Et même si ses parents n’ont jamais souhaité l’entrainer au sens strict du terme, elle a suivi tout naturellement le chemin, allant jusqu’à répéter Chouca en 2020, le légendaire 8a+ de Buoux, grimpé pour la première fois par son père, en 1985.

Eline Le Menestrel entre peur et espoir

Aujourd’hui, quasiment deux ans après son accident, Éline reste motivée et ambitieuse, tout en ayant pleinement conscience des erreurs commises et d’une forme d’impréparation qui l’a conduit à aller se frotter aux voies historiques des Dolomites, implicitement sur les pas de son grand-père.

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Elle a affronté ses peurs, leur donnant même rendez-vous pour un dialogue sans concession. Au premier rang d’entre elles, celle légitime de ne plus jamais pouvoir grimper fort. Maintenant, ce spectre s’éloigne et elle a pu retourner sur le rocher aussi bien avec son oncle, le grimpeur et chorégraphe Antoine Le Menestrel, qu’avec sa grand-mère, Hélène, dont elle se sent très proche, et pas seulement pour ce qui est de la phonétique de leurs prénoms.

Certes les projets sont encore à redéfinir, entre envie de big walls et voyages. Mais pas n’importe quel voyage. Et surtout pas à n’importe quel prix ! Car Éline est consciente du changement de paradigme que nous devons opérer pour sauver la planète. Et sur ce point, elle se veut exemplaire !

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Le collectif et l’ego

Briller et faire des croix, voyager pour grimper, oui, pourquoi pas ?! Le faire en train ou à vélo, c’est beaucoup mieux. C’est d’ailleurs dans ce type de projet qu’elle souhaite se lancer au printemps prochain, sous les bons auspices de Salewa, qui a vu dans cette jeune grimpeuse activiste l’ambassadrice rêvée pour porter ses valeurs. “L’idée est de vivre une aventure moderne qui commence lorsqu’on franchit la porte de chez soi, explique Eline Le Menestrel. On veut aller grimper à vélo en partant du centre des grandes villes d’Europe pour montrer que c’est possible de faire cela en un week-end. Je ferai ça avec Simon Kreutz qui travaille chez Salewa.”

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Et quand la marque italienne réduit son impact en remplaçant le coton et le polyester par du chanvre, une matière plus durable et plus écologique, Éline ne peut qu’applaudir des deux mains. “L’approche qu’ils ont avec l’utilisation du chanvre est un bon exemple, souligne-t-elle. Le but n’est pas d’attirer l’attention avec du nouveau matériel pour vendre plus mais bien de mettre l’entreprise au service de Planet and People en utilisant le business pour développer des solutions plutôt que de profiter des problèmes pour s’enrichir.”

Du reste, si la jeune grimpeuse s’est rapproché de ce partenaire, ce n’est pas par hasard. Et elle n’a de cesse de challenger son sponsor. Débatteuse pugnace, elle le pousse dans ses derniers retranchements. “Ma présence est aussi une sorte de rappel constant que les questions écologiques sont centrales et importantes, souligne Éline. Lorsqu’un athlète pousse dans cette direction, l’entreprise réagit différemment, en particulier au niveau décisionnel. Aujourd’hui avoir une vraie équipe où le tout est plus que la somme des parties est une des priorités du département de marketing et… ça marche !”

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Un pas pour la planète : Eline Le Menestrel et les CEO

Éline agit également quand elle est invitée à débattre avec de grandes multinationales, par exemple dans le cadre de son action pour l’association Corporate Regeneration. C’est ce qu’elle a fait en juin à Rome devant un parterre de chefs d’entreprises lors du B for good leaders summit. Un événement réunissant des entreprises ayant le label environnemental BCorp comme par exemple Patagonia, Ben&Jerry’s, Too Good to Go, Danone…

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“En allant à Rome, mon but était d’apprendre (comme souvent) et de partager ma vision des choses qui est souvent reçue comme « disruptive ». Plusieurs fois dans ce genre d’événements, des participants viennent me voir après mes prises de parole et me félicitent d’avoir eu le courage de dire ce qu’ils n’osaient pas dire. Pourtant je ne me dis pas « que puis-je dire de disruptif ? », mais comme face à un sujet de philo je vais au fond des choses et creuse les définitions. Parfois ça remue la vase au fond du lac et l’eau devient trouble…”.

Eline Le Menestrel face au greenwashing

Face aux entrepreneurs qui entendent verdir leur image, Eline ne se berce pas d’illusions. Consciente que son rôle d’éclaireuse peut sembler naïf et se heurter aux stratégies de greenwashing des grands groupes, elle n’en maintient pas moins ses efforts. C’est sa conception du rôle de l’athlète, qui n’est pas seulement là pour produire une performance mais pour alerter et montrer l’exemple. Faire réfléchir à nos actes, à nos modes de production et de consommation.

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“L’exemplarité est quelque chose de très humain : on s’imite les uns les autres depuis la nuit des temps. C’est une source de motivation immense qu’on doit utiliser à bon escient. Alors si on peut inspirer un ou deux CEO à réinventer leur rôle, poser les vraies questions sur la table et à intégrer le reste du vivant dans leur point de vue et leurs actions et qu’ensuite cette énergie se dissipe dans leur entreprise…

Concernant le fait de leur fournir du grain à moudre pour le greenwashing, oui j’en ai conscience. Mais je préfère quand même essayer. Déjà les mentalités changent : le greenwashing passe de moins en moins car on est de plus en plus à ressentir le manque de sens, surtout dans ma génération.”

Photos Olivier Broussouloux pour La Fabrique verticale, collection Salewa et collection Eline Le Menestrel

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