Fabian Buhl : grimper ou voler, hors du temps
Se déconnecter pour se reconnecter, tel pourrait être le motto de Fabian Buhl. Car ce natif de l’Allgäu la joue clairement passe-muraille, discret et ultra-polyvalent, jamais là où on l’attend. Semblant osciller entre désir d’effacement et aptitude à changer de registre, l’allemand surprend, tant par ses performances que par sa capacité à prendre du recul. Portrait d’un touche à tout résilient.
Si on scrolle dans ses souvenirs, on a vite fait de voir que depuis des années, Fabian Buhl décline l’escalade sous toutes ses formes, avec une liste impressionnante d’ascensions à son actif. Depuis Dreamtime (8C) en bloc jusqu’à Frontman Deluxe (9a) en falaise, en passant par des perf’ en trad’ (Psychogramm 8b+ à Bürser Platte) et en solo (Winterbock 8c). Pour couronner le tout, il y a aussi eu des grandes voies extrêmes. Entre autres Silbergeier (180m, 8b+ max) et Déjà (400m, 8c+), toutes deux au Rätikon ou encore Nirwana (7 longueurs, 8c+, en Autriche). Et puis des expéditions en Himalaya ou en Patagonie.
D’ailleurs quand on s’intéresse à ses dernières réalisations marquantes, comme l’ascension du Cerro Torre en 2020, avec décollage en parapente du sommet (une première !), on s’aperçoit que Fabian Buhl est finalement plus un alpiniste qu’un grimpeur, au sens strict du terme. Oui mais voilà, à La Fabrique verticale, il nous intriguait. Avec ce petit air qui illumine son visage et le rend presque malicieux, et puis cette discrétion qui semble régir tout son parcours, Fabian détonne dans le paysage de la verticalité.
Fabian Buhl : savoir prendre du recul
Un beau portrait vidéo, réalisé en 2022 par Matteo Pavana et Marco Zanone, souligne bien la tension qui est à l’œuvre dans la vie de Fabian Buhl. À 31 ans, l’un des plus alpinistes accomplis de sa génération y explique toute l’ambiguïté induite par l’usage des réseaux sociaux, et cette nécessité implicite d’en faire toujours plus. “J’ai fait beaucoup de voies, sur différentes montagnes. Et puis un jour, vous vous rendez compte que ce que vous en faites, c’est un post sur les réseaux sociaux. Vous rentrez chez vous et vous regardez ce que les autres ont fait… Je ressentais une sorte de pression d’avoir toujours besoin de faire quelque chose…”.
Loin du battage médiatique, Fabian revient alors à l’essentiel, sa passion profonde de l’escalade, de la montagne et de la nature, avec comme quasi obligation de vivre l’instant présent. La mort de son ami Lorris Buniol dans une avalanche en Ubaye l’a aussi profondément marqué. Il n’a pas non plus été épargné par les blessures… Très attaché à ses racines, il grimpe depuis sa plus tendre enfance. À l’âge de 16 ans, il a abandonné le ski alpin dans lequel il excellait pour se chercher de nouveaux défis. Depuis il n’a pas perdu une seconde. Mais au départ, c’est surtout son voyage à Cresciano, dans le Tessin, qui a bouleversé sa vie.
Du bloc aux plus hauts sommets
Le Tessin, c’est là que tout a commencé. Ou plutôt, “c’est là que tout a changé”, explique Fabian. Car la découverte de cette région l’a stimulé pour s’entraîner vraiment et pratiquer à fond, afin de réaliser tous les blocs déments qu’il avait vus là-bas. “Aujourd’hui encore, le Tessin reste un lieu où je reviens toujours”, révèle-t-il, même s’il arpente aussi beaucoup les Hautes-Alpes, pour y faire du dénivelé ou de la cascade de glace. C’est clairement devenu son spot de cœur, là où il aime se ressourcer. Là où il renoue avec la poétique du mouvement et la beauté des paysages environnants.
“Court, complexe et difficile ! C’était exactement mon monde à l’époque où je faisais du bloc. Ces dernières années, cependant, j’ai investi beaucoup de motivation et de temps dans l’élargissement de mon univers d’escalade. Et je me suis de plus en plus concentré sur l’escalade alpine. C’est quelque chose de complètement différent du bloc. C’est ce qui m’a particulièrement plu”.
Polyvalence et exigence
Géologue de formation, il s’est forgé au fil du temps une célébrité fort justifiée. Mais finalement n’est-elle pas bien en deçà de ce qu’il serait en droit d’attendre ? Surtout compte tenu de toutes les expéditions menées, du Pakistan aux Rocheuses canadiennes. Citons par exemple la Gulmit Tower, 5810m, au Karakoram. Il y a ouvert récemment une nouvelle voie avec une approche en parapente. Un combo dont il a le secret ! En fait, il essaie de se poser toujours de nouveaux défis. “Je n’ai pas de discipline de prédilection. J’essaie plutôt de varier mes activités au maximum et d’explorer mes limites en bloc, en escalade traditionnelle et alpine.”
Cette exigence, il cherche aussi à la retrouver avec les sponsors pour lesquels il travaille. Et il est très impliqué dans le développement des produits. Par exemple, avec la marque de sacs à dos Deuter. “Deuter m’a toujours fourni des produits fiables et durables développés en Allemagne. C’est pourquoi je suis heureux d’avoir pu participer au développement de la gamme Gravity, la collection d’escalade de la marque. J’ai conscience du privilège immense que représente un tel soutien de Deuter. C’est ce qui me permet de projeter mes rêves sur les parois du monde !”.
Photos Deuter et coll. Fabian Buhl