Fermeture des salles d’escalade : le point sur la situation
Face à la reprise de l’épidémie de COVID-19, le gouvernement serre la vis pour endiguer la propagation du virus. Avec la fermeture des salles de sport, des gymnases et des piscines dans les zones d’alerte “renforcée et maximale”, de nombreuses salles d’escalade sont concernées. La Fabrique verticale fait le point sur la situation.
En annonçant le 23 septembre la fermeture des salles (et ce pour une durée de 15 jours minimum), le gouvernement a douché les espoirs d’une partie importante du monde de l’escalade. Outre les conséquences dramatiques pour l’économie de la filière, cette annonce pose la question de la place du sport dans la société.
Au-delà de la frustration, légitime, des grimpeurs, qui ne peuvent plus accéder à leur lieu de pratique habituelle, on comprend celle des professionnels. Surtout quand ils ont joué le jeu. On peut aussi s’interroger sur l’efficacité d’une telle mesure. Car certains grimpeurs n’hésitent pas à faire des kilomètres pour engorger une autre structure située dans un département limitrophe…
De plus, on sait que la population qui fréquente les salles est une population jeune, sportive. Et donc peu à risques à première vue. Et jusqu’à présent, aucun cluster n’a eu lieu dans une salle d’escalade, en tout cas en France. En fait, les nouveaux clusters émergent surtout dans les entreprises, les lieux festifs, le milieu familial. Les clusters en milieu universitaire sont également en forte augmentation.
Fermeture des salles d’escalade, le point sur la situation
A priori, sur 165 salles d’escalade françaises, 136 ont dû (ou auraient dû) baisser le rideau. Plusieurs grandes villes sont concernées, en raison de la circulation active du virus. Sont sur la liste celles des zones dites écarlates (Marseille et depuis peu Paris et sa petite couronne). Ainsi que dix grandes villes françaises : Lyon, Lille, Montpellier, Bordeaux, Grenoble, Rennes, Rouen, Saint-Étienne, Toulouse et Nice.
“Ce sont des espaces confinés où le port du masque est impossible voire a minima complexe et qui sont hélas des lieux de contamination importante”, avait justifié Olivier Véran lors de sa conférence de presse du 23 septembre. L’UDSE (Union des salles d’escalade) avait immédiatement réagi, arguant que “des protocoles sanitaires stricts [avaient été] mis en place”, qui avaient fait la preuve de leur efficacité.
De plus, les patrons de salles avaient souligné que ces décisions allaient mettre à mal un secteur économique déjà gravement touché en raison du confinement des mois de mars avril. Et qui commençait tout juste à redémarrer. En conséquence de quoi, certains ont décidé de ne pas fermer et de rester ouverts, contre l’avis des Préfectures.
Des disparités d’une région à l’autre
En fait, on observe des différences d’une région à l’autre. Par exemple, les salles ont pu rouvrir à Rennes ou à Toulouse. Car les tribunaux administratifs ont suspendu les arrêtés préfectoraux de fermeture des salles de sport dans ces villes.
“La liste exhaustive des foyers de contamination recensés en Bretagne au 11 septembre 2020, en cours d’investigation ou maîtrisés, ne comporte aucun établissement de cette catégorie”, a estimé le juge des référés dans son ordonnance qui souligne que l’interdiction porte “une atteinte grave et immédiate à leur situation économique et financière, déjà impactée par la fermeture imposée durant le confinement”.
Une décision qui avait redonné espoir aux professionnels et aux adhérents des salles situées dans d’autres zones en alerte. Car elle aurait pu faire jurisprudence. Toutefois, ces espoirs ont été vite douchés. Car la plupart des autres recours se sont heurtés à des rejets devant les tribunaux administratifs de Bordeaux, Lille, Nice, Montreuil, Lyon, Grenoble, Rouen, Marseille et Montpellier. Au total, une quinzaine de recours avaient été déposés en France.
Quelles sont les actions menées ?
En fait, les professionnels du sport et du fitness demandent maintenant aux autorités de faire la distinction entre cours collectifs et cours individuels. Ce qui pourrait permettre aux salles d’escalade de reprendre partiellement leur activité. Même en étant situées en zone d’alerte renforcée. À condition de mettre en place un protocole plus strict.
De plus, ils ont organisé en fin de semaine dernière une manifestation (Touche pas à ma salle). Et un travail de lobbying a été mené auprès de la Ministre des sports. Celle-ci a été invitée à la salle Climb Up d’Epinay afin d’y voir les protocoles sanitaires mises en place. Enfin, la FFME a également écrit une lettre au Ministère pour lui demander de revoir les mesures restrictives d’accès aux salles d’escalade.
Les pouvoirs publics sont, quant à eux, pris entre deux feux. D’une part, il faut éviter que l’épidémie ne devienne hors de contrôle. Et que les services de réanimation ne se retrouvent engorgés d’ici à quelques semaines. D’autre part, il faut préserver autant que possible l’économie, pour limiter la casse sociale.
Que proposent les salles fermées à leurs adhérents ?
Déjà, et sans attendre le résultat de ces actions, certaines salles appartenant à des grands réseaux ont proposé un geste commercial à leurs abonnés mensualisés, qui continuent d’être prélevés en dépit de la fermeture. À savoir l’accès à une autre salle du réseau, située dans une région proche, et ne tombant pas sous le coup des interdictions.
Une décision diversement accueillie par la clientèle. D’une part, en raison de la distance à parcourir. Car ça représente un budget non pris en charge par le réseau. Sans parler des difficultés que cela génère en terme d’organisation. D’autre part, en raison des risques (en toute logique non négligeables) de faire circuler le virus dans des zones moins touchées jusqu’à présent… Bref, c’est un peu la quadrature du cercle.
Peu de contaminations en salle
L’Union des salles d’escalade est un syndicat, créé au printemps dernier, qui regroupe tant des salles indépendantes que les principaux réseaux français. Suite aux annonces d’Olivier Véran, cette organisation a fait savoir qu’un sondage avait été réalisé auprès de ses adhérents afin de déterminer combien de cas de COVID-19 s’étaient effectivement déclarés parmi la clientèle.
Ainsi, les patrons de salles ont annoncé que sur 845 700 entrées comptabilisées depuis la réouverture du 2 juin, seulement 13 cas de Covid+ s’étaient déclarés. Ce qui est, en effet, très peu. Bien que ces chiffres soient difficiles à vérifier, ils vont dans le même sens que ceux indiqués par d’autres organisations du monde du sport et du fitness.
En effet, par exemple, selon Virgile Caillet, délégué général de l’Union Sport et Cycle, “depuis le 1er août, seulement 207 cas de Covid-19 ont été recensés dans les salles de sport pour 27 millions de passages”. Par conséquent, tout ceci semble bien indiquer que les efforts fournis par les professionnels auraient porté leurs fruits.
Les questions qui se posent
Toutefois, des questions restent en suspens… D’une part, comment savoir si les 13 contaminations déclarées par l’UDSE ont eu lieu en amont ou si elles se sont bel et bien produites dans la cadre de la pratique de l’escalade en salle ? Dans ce second cas, cela pourrait indiquer qu’il y a eu des failles dans l’application du protocole. Ou alors que ce dernier est perfectible.
D’autre part, d’où viennent ces chiffres ? En fait, il semblerait qu’il ne s’agisse que de données déclaratives, émanant de la clientèle, lorsqu’un grimpeur a été infecté et qu’il a eu le bon sens de prévenir sa salle. Donc si tel était le cas, il y aurait un biais. Puisqu’il n’y aurait pas de tiers non impliqué commercialement dans l’exploitation de ces données, susceptible d’attester de la véracité des chiffres.
Enfin, sur les 845 700 entrées comptabilisées dans les salles d’escalade, quel est le pourcentage de personnes ayant été testées ? Et pouvant effectivement se prévaloir d’un test PCR négatif ? Or si une part importante de la clientèle n’a pas été testée, comment savoir s’il n’y a pas, en son sein, un nombre conséquent de personnes asymptomatiques ?
Les jeunes asymptomatiques : une bombe à retardement pour les plus âgés ?
En fait, on peut très bien imaginer que des grimpeurs, qui se sentent en parfaite santé mais n’en sont pas moins potentiellement contagieux, viennent pratiquer à la salle en toute bonne foi. Ce faisant, ils risqueraient d’œuvrer à la diffusion, à bas bruit, du virus… Évidemment, la question de la contagiosité réelle des asymptomatiques divise encore la communauté scientifique.
S’il est probable que les asymptomatiques sont sans doute peu contagieux, car peu excréteurs de virus, on ne peut pas exclure qu’ils contaminent toutefois. Car, sinon, comment expliquer l’augmentation des clusters entre jeunes dans les Universités et/ou les fêtes estudiantines, s’ils n’étaient absolument pas contagieux ?
Un argument qui pourrait justifier la fermeture temporaire des salles de sport, si on se fait l’avocat du diable. Au même titre que les restaurants et les bars. Car ces lieux ne favorisent pas franchement la distanciation physique… Par ailleurs les brigades de contact tracing ont des difficultés à tenir le rythme. Car le volume des appels à passer tend à augmenter avec la reprise de l’épidémie. Comment imaginer donc qu’il n’y a pas potentiellement des grimpeurs positifs qui sont passés au travers des mailles du filet… ? Ou des cas contacts ?
Jusqu’où vont aller les restrictions ?
Difficile de le dire… En tout cas, le Ministre de la santé, Olivier Véran, a d’ores et déjà indiqué que la mise en place d’éventuelles restrictions de déplacement pendant les vacances de Toussaint dépendait de “ce que nous ferons dans les prochains jours et les prochaines semaines”. Donc si vous avez envie de partir en falaise, vous savez ce qu’il vous reste à faire 😉
Par ailleurs, rajoutant à la sinistrose ambiante, un collectif de médecins a réclamé, dimanche 27 septembre, la mise en place immédiate de “mesures drastiques” pour éviter une deuxième vague qui serait “bien plus difficile à gérer pour les hôpitaux et les services de réanimation que la première”.
La France devra affronter, “si rien ne change”, une “épidémie généralisée” pendant de longs mois, avec un système de santé “incapable de répondre à toutes les sollicitations”, a prévenu le président du conseil national de l’Ordre des médecins. En résumé, si on veut saturer les services de réanimation et les urgences, être obligés de faire des choix entre qui on sauve et qui on laisse sur le carreau : ne faisons rien.
Que peut-on faire ?
Les autorités en appellent au sens des responsabilités des Français. Ne serait-ce que par amour des siens et par respect pour les soignants. Tout va, sans doute, dépendre de la rapidité avec laquelle la population comprend (et accepte) cette situation. Pour éviter d’avoir à subir un reconfinement du pays dans son entier. Ou même par secteurs d’activité ou par régions géographiques. Car au final, ça détruit le tissu économique. Et ce n’est clairement pas la solution.
Alors, que faire à l’échelon individuel et collectif ? En toute logique, être adulte et responsable. Car plus on sera vigilants et rigoureux dans l’application des gestes barrières, dans le port du masque, dans le respect de la distanciation physique et la limitation de nos interactions sociales, plus vite on sortira de la crise. C’est ce qu’on souhaite tous.
Les mesures mises en place dans les salles ont-elles été suffisantes ? Probablement que oui. Les protocoles sont-ils appliqués ? Probablement que oui aussi, dans l’ensemble. Même si plusieurs témoignages nous sont remontés à La Fabrique verticale, faisant état d’une fréquentation leur semblant trop importante…
Fermeture des salles : là où le bât blesse…
“Il fallait vraiment faire la queue devant chaque bloc et les tapis étaient aussi remplis que le quai du métro”. Ceci est un des témoignages reçus. Il émane d’un grimpeur digne de confiance qui s’est rendu dans une salle de région parisienne juste avant les restrictions annoncées. Nous avons choisi de ne pas citer le réseau, pour ne pas stigmatiser des professionnels dont nous savons par ailleurs qu’ils font tout leur possible…
Alors, faut-il renforcer le protocole ? Rendre le masque obligatoire dans toutes les salles ? Y compris pendant les phases d’escalade comme c’est le cas au Japon par exemple ? Réduire encore la jauge ? Peut-être… Si ça peut permettre de freiner l’épidémie, tout en maintenant l’activité.
À La Fabrique verticale, nous n’avons pas la réponse. Nous ne sommes pas médecins. Nous ne sommes pas non plus en charge de la santé publique. Mais il nous semble qu’il serait temps d’agir collectivement. Avec plus de vigilance et de respect. La fermeture des salles n’étant bien sûr pas la solution directe au problème…
Dans leur ensemble, les grimpeurs sont-ils corona-sceptiques, complotistes ou disciplinés ?
Le gouvernement serre la vis. Pourtant, la majeure partie des Français se dit prête à faire des efforts. Selon un récent sondage publié dans le JDD, pour endiguer la maladie, 80% des personnes interrogées seraient prêtes à limiter leurs déplacements entre les villes ou les départements. Et 83% déclarent qu’elles seraient également prêtes à “diminuer leurs sorties de loisirs” !
Des chiffres qui laissent songeurs. Et qu’on peine à imaginer retrouver si on interrogeait des grimpeurs, esprits libertaires par nature… Pourtant, quand on met dans la balance des vies humaines, qu’on y ajoute la survie économique du pays, est-ce que cela ne vaut pas la peine de renoncer, pour quelques temps, à nos anciennes habitudes ? Ou à accepter temporairement des mesures jugées par certains “liberticides” ?
Photos Yoann Lebert pour La Fabrique verticale