Généalogies du vide #2 : les Anglais et le trad’

Suite de notre série Généalogies du vide qui retrace l’histoire et l’évolution de l’escalade. Dans ce deuxième opus, il est question de l’éthique des grimpeurs anglais. Et de l’émergence de la philosophie du “Trad’ climbing” ! “Messieurs les anglais, libérez les premiers”… Une rubrique animée par Guillaume Guémas, de la chaîne YouTube Style Alpin.
Est-ce qu’il a fallu attendre les années 1970 pour voir l’escalade libre balayer les méthodes d’artificiel jusqu’alors plébiscitées dans les Alpes ? Absolument pas ! Dès la fin du 19ème siècle, les grimpeurs britanniques prônaient déjà une éthique stricte, respectant la difficulté de la voie et la manière de grimper.
Le célèbre “by fair means”, cher à Mummery et aux grimpeurs de l’époque victorienne, finira par les exclure de facto des grandes réalisations alpines dans la première moitié du 20ème siècle. Alors même qu’ils avaient pratiquement inventé l’alpinisme pendant la décennie glorieuse de l’âge d’or (1855-1865). Les années fastes de l’entre-deux guerres, qui voient l’avènement des « sesto-gradistes » – premiers grimpeurs dans le sixième degré, principalement allemands et italiens – la conquête des Dolomites et des trois grandes faces nord des Alpes semblent les reléguer à l’arrière-plan. Pourquoi ?

Escalade artificielle vs trad’
Parce que l’heure était à l’escalade artificielle ! Et que les Britanniques n’étaient pas très friands du concept… S’aider des pitons pour progresser, même en plantant un seul clou dans une voie était rapidement considéré comme une hérésie. Alors on ne parle même pas des étriers, coins de bois et autres pitons à expansion !
Quelque peu repliés sur eux-mêmes, dans le Lake District ou sur les falaises galloises, les Britanniques vont explorer l’escalade libre. C’est-à-dire le “free climbing”. Ils laissent sciemment de côté le sixième degré, les surplombs dolomitiques ou les fissures du massif du Mont-Blanc ; mais posant les bases du futur de l’escalade.
Après la seconde guerre mondiale, c’est notamment Joe Brown qui incarnera le retour de la Grande-Bretagne sur le devant de la scène. Au-delà de ses grandes réalisations himalayennes (première du Kanchenjunga et de la Mustagh Tower), il fait avancer l’escalade Outre-Manche de façon significative. Jusqu’à refaire flotter les couleurs de Sa Majesté dans le massif du Mont-Blanc, avec l’ouverture de la face ouest de l’Aiguille de Blaitière, en 1954.

Les premiers coinceurs
Évidemment, le refus systématique de pitonner impose une progression naturelle plus lente mais expose aussi davantage le grimpeur. Difficile d’oser des passages compliqués sans point d’assurance. Joe Brown ou Peter Harding jouaient avec les règles en coinçant des pierres dans les fissures, qui servaient surtout de points d’assurance. Mais aussi parfois de progression (chut!)… Pas de métal dans le rocher : l’éthique est, à peu près, sauve !
Au début des années 1960, les Britanniques améliorent cette technique rudimentaire du trad. Ils inventent les premiers vrais coinceurs, qui permettent de placer des points sans percer ou abîmer le rocher. Et qui se retirent facilement ensuite. Les premiers modèles sont les “nuts”, parfois réalisés à la maison simplement avec des boulons recyclés. Puis viennent les stoppers et les hexagonaux.

La méthode séduira notamment Royal Robbins qui importe l’idée dans le Yosemite avec l’aide et l’ingéniosité de son ami Chouinard, qui créera de son côté les coinceurs excentriques. On comprend donc mieux pourquoi, aujourd’hui, la Grande-Bretagne est réputée pour être la patrie du “trad’ climbing”. La grande majorité des voies ne sont pas équipées. Et l’on se doit de maitriser l’art du coinceur pour s’aventurer dans les falaises de Snowdonia, du Peak District ou sur les “stacks” (piliers détachés des falaises au-dessus de la mer) écossais.
Journaliste indépendant et créateur de la chaîne Youtube Style Alpin, dédiée à l’histoire de l’alpinisme, Guillaume Guémas est passionné par l’histoire des sports outdoor. “J’aime rendre la lumière aux récits parfois oubliés et aux grandes heures de la conquête des cimes !”
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