Généalogies du vide #4 : Alice Damesme et Sonia Livanos

L’histoire de l’alpinisme féminin constitue une chronologie quelque peu parallèle dans la grande fresque de la conquête des cimes. Démocratisation plus lente que pour les hommes, entrecoupée de mépris et préjugés mal placés, il n’en reste pas moins qu’un certain nombre de pionnières furent à l’avant-garde des grandes réalisations en montagne. Suite de nos généalogies du vide : D’Alice Damesme à Sonia Livanos, quand les rochassières prennent leur place en montagne !
Un moment charnière est particulièrement intéressant. Au début du 20ème siècle, quand des femmes comme Miriam O’Brien ou Alice Damesme commencèrent à s’affranchir de guides masculins, pour réaliser leurs courses. Alice Damesme, c’est une Parisienne. Donc dans la pure tradition des rochassiers de la capitale, formée à Fontainebleau et au Saussois. Dès 1913, elle commence à grimper sans guide. Et surtout, elle passe en tête même dans les longueurs difficiles.
Lorsque c’est la traversée du Grépon qui tombe aux mains de Damesme et O’Brien, la première par une cordée 100% féminine, le monde de l’alpinisme est chamboulé. Certains hommes déclarent que cette voie perd désormais sa réputation d’escalade difficile. Tandis que d’autres saluent l’exploit et le développement des compétences féminines en montagne.

Les Dolomites, terrain de jeu favori
Dix plus tôt, en 1919, Alice Damesme était pourtant déjà reconnue comme faisant partie de l’élite de l’alpinisme français. Puisqu’elle fut parmi les fondateurs du Groupe de Haute-Montagne. Dans les années 1930 c’est avec une autre compagne de cordée, Micheline Morin, qu’Alice Damesme va notamment se rendre dans les Dolomites pour effectuer des voies mythiques. Comme par exemple la voie Preuss au Campanile Basso.
Les Dolomites, justement, seront le terrain de jeu favori de Sonia Livanos. Par contraste avec l’éducation parisienne d’Alice Damesme, Sonia, c’est une formation à la marseillaise. À savoir dans les Calanques. Compagne du « Grec », Georges Livanos, elle ne se laisse pourtant pas éclipser par la faconde légendaire et les réalisations de son mari. Loin s’en faut !

Parmi les toutes meilleures grimpeuses des années 1950, elle est la première à parcourir une voie de “sestogrado” dolomitique. Ce sixième degré supérieur, marque de fabrique des grandes faces surplombantes des Dolomites, constitue le summum du niveau d’escalade à cette époque. Les cordées capables de répéter ces voies, ouvertes par les grands Cassin, Comici, Soldà, Vinatzer ou Carlesso, ne sont pas encore légion.
Sonia Livanos et Alice Damesme en action
Si l’emploi de techniques d’artificiel est encore la norme, l’engagement est toujours extrêmement présent dans ces parois qui ne pardonnent pas les erreurs. Sonia Livanos sera la première femme à gravir la Torre Valgrande à la Civetta, en 1951. Et de même l’année suivante dans la voie Vinatzer de la Punta Rocca (Marmolada). Une ascension ponctuée par des conditions météorologiques très difficiles. Plus des bivouacs dantesques en pleine paroi !
Alice Damesme prenait souvent la tête, son mari en second sur la corde, dans les plus belles voies de son époque. Et Sonia Livanos, emmenée par Georges dans les plus grands problèmes dolomitiques des années 1950, put démontrer que la place des femmes au plus haut niveau mondial n’était pas qu’une idée abstraite. Ainsi la voie fut tracée pour leurs héritières… Elles furent nombreuses.
Journaliste indépendant et créateur de la chaîne Youtube Style Alpin, dédiée à l’histoire de l’alpinisme, Guillaume Guémas est passionné par l’histoire des sports outdoor. “J’aime rendre la lumière aux récits parfois oubliés et aux grandes heures de la conquête des cimes !”
Retrouvez les précédents articles de la rubrique Généalogies du vide #1, #2 et #3