Les pieds du grimpeur : que se passe-t-il dans vos chaussons ?
Les néophytes auraient tendance à penser que l’effort en escalade se limite au travail des bras. Mais il ne faut pas pour autant négliger le reste, le grimpeur possède aussi des jambes et des pieds qui ne lui sont pas moins utiles ! N’oublions pas que la technique de pieds a une importance cruciale dans la progression du grimpeur.
En effet, la majeure partie des appuis de pieds est réalisée sur l’avant-pied : le poids du corps repose alors essentiellement sur les orteils et plus particulièrement sur le gros orteil. Mais qui dit pieds dit aussi traumatismes potentiels. La Fabrique verticale fait le tour de la question, grâce aux éclairages d’Elia Besombes, grimpeuse et surtout kinésithérapeute :
En escalade, le travail de pose de pieds sollicite de nombreux muscles. Le plus imposant est le triceps sural, qui donne forme au mollet et qui s’insère au niveau du talon par le fameux tendon d’Achille. C’est lui qui vous permet de monter sur la pointe des pieds (entre autres). On ensuite principalement les stabilisateurs latéraux de la cheville et les extenseurs des orteils.
Vous comprendrez donc que le choix des chaussons d’escalade va avoir son importance sur l’efficacité de votre pose de pied. Le marché actuel propose de nombreuses formes de chaussons différentes : asymétriques, cambrés, à velcro, à lacets, ballerines, souples, rigides… Il y en a pour tous les niveaux et toutes les formes de pratique. Cependant, le but de cet article n’est pas de vous faire un topo du « Comment choisir ses chaussons » (La Fabrique verticale l’a déjà fait 😉 ), mais plutôt de développer le côté biomécanique du problème.
Que se passe-t-il réellement à l’intérieur de vos chaussons ?
On préconise souvent de prendre une ou plusieurs demi-pointures en dessous de sa pointure en chaussures de ville, pour que le chausson colle au mieux au pied comme une seconde peau. Ainsi, les sensations de toucher, la précision de l’appui et la puissance de poussée sont augmentées. Le pied du grimpeur doit alors s’adapter à la compression créée par l’espace réduit: les orteils sont recroquevillés ce qui va permettre de recevoir une charge plus importante.
De nombreux grimpeurs utilisent des chaussons dits asymétriques. Mais vous êtes-vous déjà interrogé sur le pourquoi de cette asymétrie ? Et bien cette forme de chausson a pour but de renforcer encore plus l’appui au niveau du gros orteil, en accentuant l’appui des quatre derniers orteils sur ce dernier. Cette asymétrie est en général combinée avec une cambrure du chausson au niveau de la voute plantaire, qui va encore améliorer sa puissance et sa précision.
Vous aurez donc compris que le grimpeur choisit en général la performance au détriment du confort. Attention tout de même, nous n’avons pas tous le même niveau de tolérance face à la douleur. Ni la même forme de pratique. Le rapport confort/efficacité du chausson doit donc s’adapter aux exigences de chacun. Il est important de rappeler que c’est votre pied qui déterminera le choix du chausson et non le contraire.
Venons-en maintenant aux « choses qui fâchent »… Pour un grand nombre de grimpeurs, les douleurs aux pieds sont perçues comme normales. Et ne sont que très rarement prises au sérieux. Mais il faut savoir que la majorité des pathologies du pied est provoquée par un conflit pied-chausson. Peu de traumatismes sont engendrés directement par la pratique de l’escalade.
On retrouve alors plusieurs types de microtraumatismes créés par la compression du pied et des orteils dans les chaussons.
Les lésions cutanées : peau et ongles
Callosités
Elles sont causées par les frottements répétés de la peau contre le chausson. Ce sont eux qui provoquent à la longue un épaississement et un durcissement de la peau. Ce sont les petites « boules » que l’on observe fréquemment sur les orteils et/ou les talons des grimpeurs.
Hématomes sous-unguéaux : Ce sont des hématomes qui se sont formés sous l’ongle.
Ongles incarnés
L’ongle incarné est un ongle dont les bords latéraux poussent à l’intérieur de la chair. Il peut provoquer une inflammation et donc une douleur. Il peut aussi être favorisé par une mauvaise coupe d’ongle ou par prédisposition génétique.
Onychomycose (mycose de l’ongle)
Ce sont des champignons qui se développent sous l’ongle. En général suite à une mycose des pieds non traitée. Celle-ci est favorisée par l’humidité due à la transpiration régnant dans vos chaussons et/ou chaussures. L’ongle se retrouve alors épaissi, friable et peut petit à petit prendre une couleur jaunâtre caractéristique.
Les déformations du pied
Orteils en griffe et en marteau
L’orteil en griffe est une déformation dans laquelle l’orteil prend une forme repliée semblable à celle des griffes d’un oiseau. La déformation s’effectue généralement au niveau de l’articulation inter phalangienne proximale (au milieu de l’orteil). On peut retrouver aussi un orteil « en marteau », au niveau de l’articulation inter phalangienne distale (à l’extrémité).
Hallux valgus
Avec un nom pareil on peut s’attendre au pire… L’hallux valgus est une déformation du gros orteil vers le deuxième orteil (du latin hallus, gros orteil et valgus : « tourné en dehors »). Le problème est créé par le mauvais alignement de deux os. La déviation du premier métatarsien donne le fameux « oignon » (saillie osseuse à la base du gros orteil). Il y a aussi une déviation de la première phallange du gros orteil. Cette déformation peut être rencontrée sur un seul pied ou sur les deux et est considérée comme pathologique à partir de 20° de désaxation. L’hallux valgus en escalade est lié au port de chaussons asymétriques mais il peut aussi être congénital.
Les lésions tendineuses
En cas d’hyper sollicitation des muscles de la jambe, tendons et bourses séreuses (destinées à limiter les frottements des tendons sur les structures adjacentes) vont se retrouver soumis à plus de contraintes mécaniques que d’ordinaire. Ceci entraîne des pathologies inflammatoires comme les tendinites ou les bursites. Les plus communes sont :
• la bursite calcanéenne, une inflammation des bourses séreuses situées dessus ou dessous le tendon d’Achille
• la tendinite d’Achille, qui peut-être provoquée soit par sollicitation intensive soit par compression du tendon par l’arrière du chausson.
On retrouve par ailleurs des points de compression au niveau des muscles extenseurs des orteils situés sur le dos du pied.
Les lésions neurologiques
La réduction du diamètre latéral du pied par port de chaussons serrés peut amener à des compressions neurologiques au niveau de l’avant-pied. Elles peuvent se traduire par des fourmillements. Ou par des troubles de la sensibilité au niveau des orteils.
Comment limiter les dégâts
• Prendre le temps d’essayer ses chaussons pour bien les choisir (et pas simplement vouloir à tout prix rentrer ses pieds dans les dernières armes à la mode).
• Bien choisir ses chaussures (de villes ou d’autres sports) afin de ne pas encore plus traumatiser vos pieds. Exemple concret pour vous les dames : les talons haut favorisent les hallux valgus alors portez-les avec modération.
• Avoir une bonne hygiène de pieds : couper correctement ses ongles (ne pas arrondir les angles pour éviter qu’ils ne se recourbent dans la peau en repoussant). Et bien se sécher les pieds en sortant de la douche. Les endroits humides favorisent le développement des champignons et autres petits organismes sympathiques…
• Eviter de garder les chaussons aux pieds lorsque vous ne grimpez pas (assurage, entre deux blocs…).
• Masser ses pieds avec des huiles de massage (type arnica) ou baume du tigre.
• Si vous avez des ongles incarnés ou un hallux valgus douloureux il est conseillé de vous orienter vers votre médecin ou podologue/pédicure si la gêne devient importante.
Pour l’hallux valgus il n’existe pas de traitement curatif à proprement dit. Mais il est possible de ralentir la progression de la déformation et de soulager les douleurs grâce à des séances de kinésithérapie pour rééquilibrer et remuscler le pied correctement, de l’ostéopathie, le port de semelles ou coussinets, ou encore des appareils spécifiques.
Sources
• Schöffl, V., & Küpper, T. (2013). Feet injuries in rock climbers. World Journal of Orthopedics, 4(4), 218–228.
• Peters, P. (2001). Collective review: orthopedic problems in sport climbing. Wilderness & environmental medicine, 12(2), 100-110.
• Clemençon, B. Le rôle de la chaussure dans la prévention des microtraumatismes du pied du sportif (Diplôme d’Etat de Docteur en Pharmacie, Université de Lorraine, Nancy)
Très pertinent ! Pour ma part, j’ai constaté un très net progrès depuis que j’ai choisi des chaussons quasi à ma pointure (ville-1/2), non cambrés, talon plutôt vertical qui ne pousse exagérément pas les orteils vers l’avant.
Spécialement l’articulation du gros orteil ne travaille plus en compresssion et j’ai retrouvé des sensations tactiles pour la pose du pied et un meilleur équilibre (voies jusqu’à 7a y compris dévers) . Le chaussons ne doit pas suppléer à ce que la physiologie du grimpeur permet naturellement et qu’il peut développer avec de l’entrainement.
Merci à vous
Super article, merci beaucoup ! J’ai pu mettre un mot sur mon problème d’orteil, j’ai l’index gauche en marteau. J’espère que changer de chausson avec un bon conseil de choix aidera, ou du moins n’aggravera pas le souci 🙂
Il faudrait que plus de marques de chaussons permettent d’acheter des tailles différentes pour chaque pied, quand on a un pied plus grand d’une taille ça aide beaucoup à éviter ça
Bonjour,
J’ai un exemple pour illustrer cet article de conflit pied-chausson.
Je viens d’acheter une nouvelle paire de chausson d’une marque (que je n’avais jamais encore portée). Après 3 sorties je me retrouve avec une tendinite du long fléchisseur du gros orteil due certainement à une compression trop forte du tendon d’Achille par l’arrière du chausson + une forme de ce dernier renforçant l’appui sur le gros orteil.