Les Vertics sleeves, la compression au banc d’essai
Depuis début 2015, La Fabrique Verticale teste des manchons de compression, spécialement dédiés à l’escalade. Selon le fabricant, les Vertics sleeves amélioreraient le retour veineux et permettraient d’accroître les performances dans le cadre d’un effort lactique difficile à maintenir. Ils auraient aussi un effet positif sur les avant-bras, tant pour la récupération que pour la prévention des blessures. Leur impact serait également sensible sur la coordination gestuelle. Alors, arme fatale ou gadget marketing ? Mythe ou réalité ? Tentative de réponse.
Depuis plusieurs années, des chaussettes, manchons, tee-shirts ou cuissards de contention ont fait leur apparition dans le milieu du running, avec un engouement certain de la part des pratiquants, tant en trail qu’en marathon. Censée améliorer la performance, réduire le risque de blessure et accélérer la récupération, cette batterie d’accessoires est devenue un must incontournable pour de nombreux coureurs en quête de performance.
Comme le précise Stéphane Diagana, ancien champion d’athlétisme aujourd’hui consultant pour France Télévision, “l’objectif de ces chaussettes, c’est de comprimer le mollet pour exercer une légère pression sur le système veineux, ce qui permet d’avoir un meilleur retour sanguin. Force est de constater que ce n’est pas très esthétique. Or, de plus en plus de runners en utilisent, signe que c’est efficace”.
C’est le même concept que reprend le fabricant des Vertics sleeves, en l’adaptant à l’escalade. Sans être d’ailleurs le premier à s’aventurer sur ce terrain ! Certains d’entre vous ont peut-être en mémoire les manchons proposés par Décathlon à la fin des années 2000 et le relatif échec commercial qui s’en suivit… Le marché de l’escalade n’était peut-être alors tout simplement pas assez mûr pour accueillir cette innovation technologique ? Toutefois, plusieurs questions restent en suspens…
À la différence de la course à pied, où les jambes sont toujours en bas et où le retour veineux peut avoir du mal à se faire convenablement à l’effort, l’escalade permet aux bras d’être alternativement en haut ou en bas, ce qui doit normalement faciliter la circulation. Les contraintes ne sont pas les mêmes. On peut donc s’interroger sur la transposition de ce concept en escalade, même s’il est vrai que l’ischémie rencontrée au cours de l’effort incite à chercher des solutions tout azimuts pour améliorer la circulation sanguine…
Premier contact avec les Vertics sleeves
Les manchons Vertics se présentent par paire, dans des petites boites en carton compactes et bien commodes à transporter dans le sac. Les manchons, tricotés sans couture dans un mélange de textiles synthétiques (75% polyamide et 25% élasthanne), offrent un excellent confort et une bonne élasticité. Disponibles en 4 tailles, selon le diamètre et la longueur des avant-bras, ils s’enfilent et se retirent facilement (en les déroulant).
Au premier contact, ils nous ont fait curieuse impression et il faut bien reconnaître que nous ne partions pas avec un a priori très favorable en dépit des promesses du fabricant et des témoignages des différents grimpeurs pros mis en avant sur son site. Néanmoins, nous avons décidé de faire fi de notre scepticisme et de les mettre vraiment au banc d’essai. Pour ce faire, nous les avons d’abord testés directement en situation, en falaise, dans des voies d’échauffement.
Ce premier contact n’a pas été très convaincant : en fait, nous étions quelque peu gênés par la sensation de garrottage, qui nous donnait l’impression de grimper avec des vêtements trop serrés, entravant la circulation. Seul avantage, et c’est aussi celui relevé par le fort grimpeur italien Stefano Ghisolfi, les manchons tenaient chauds aux avant-bras et comme le test a débuté en février, c’était plaisant !
Même sensation de garrottage en grimpant dans des voies plus dures : même s’ils n’accéléraient a priori pas la survenue des bouteilles, les Vertics sleeves ne la retardaient pas spécialement non plus ! Et nous aurions aimé pouvoir lâcher les deux mains pour retirer les manchons, histoire de ne pas hypothéquer nos chances de réussite dans les voies…
De la sensation à la réflexion…
Intuitivement, nos sensations n’étaient pas très bonnes, mais nous ne parvenions pas à définir si le problème était d’ordre physiologique ou d’ordre psychologique, c’est-à-dire s’il y avait une sorte d’effet placebo inversé. Nous avons donc décidé de mettre en place un protocole précis de tests à la poutre, dans des efforts typés résistance et endurance, afin de quantifier plus scientifiquement l’impact des Vertics sleeves sur la circulation sanguine, l’élimination des déchets et la réduction de la sensation d’engorgement des avant-bras (les effets les plus vantés par le fabricant).
Deux types de contrats à la poutre ont été utilisés et systématiquement reproduits, avec ou sans les manchons, après un échauffement standardisé. Pour éviter un effet lié au jour de passation du test ou au niveau de forme du moment, les contrats ont été réalisés à de nombreuses reprises, tout au long de l’année. Les séances étaient parfois faites avec les manchons, parfois sans et nous notions les temps de suspension pour pouvoir comparer les résultats entre eux et leur évolution au fil du temps.
Nous souhaitions mesurer si l’utilisation des manchons permettait de maintenir l’effort plus longtemps dans les modalités suivantes :
– 20 secondes de suspension à deux mains sur une réglette de 2 cm avec 10 secondes de repos, le tout répété le plus de fois possible, a muerte, jusqu’à ne plus pouvoir remplir le contrat (c’est-à-dire se suspendre durant l’intégralité des 20 secondes). L’effort total durait alors une dizaine de minutes.
– 4 suspensions maximales à deux mains enchaînées sur des couples de prises progressivement croissantes, le tout répété 3 fois avec 5 minutes de récupération, dans un esprit de fractionné en résistance. La taille des prises avait été choisie pour permettre à l’effort de durer autour d’une minute trente lors de chacun des tours.
Résultats et analyse des données
Ces tests n’ont pas permis de démontrer de différences significatives en terme de performance, avec ou sans les manchons. La durée des efforts mesurée était sensiblement la même, lors des séances réalisées avec les Vertics sleeves et lors des séances réalisées sans. Ce résultat est bien évidemment à pondérer car nous n’étions que deux cobayes à effectuer ce test et il aurait sans doute été plus probant de le faire passer à une cohorte plus importante de grimpeurs, de niveaux variés.
Toutefois, ce résultat ne vient pas en contradiction avec des travaux plus poussés menés par différentes équipes de recherche en la matière. Une récente analyse, parue dans l’International Journal of Sports Physiology and Performance en janvier 2013, “Bringing light into the dark: effects of compression clothing on performance and recovery”, a compilé toutes les études parues sur la question et arrive à la conclusion qu’aucune amélioration réelle significative de la performance n’a été constatée pendant un exercice sportif grâce à la technologie de la compression.
Le regard des chercheurs
En fait, cette synthèse, compilant 423 études scientifiques menées dans divers sports, a donné des résultats surprenants mais passionnants. On attendait la technologie de la compression dans le champ de l’ultra endurance mais paradoxe, c’est dans celui de la force, de la coordination et de la proprioception que les effets sont les plus flagrants ! Il semblerait qu’une légère compression permettrait au corps d’anticiper plus vite ses réactions et améliorerait la précision du mouvement.
Autre impact très positif et clairement établi par les scientifiques : la récupération. Utilisée pendant les 24 heures qui suivent un exercice intense et pendant un temps assez long, la compression réduit la fatigue musculaire, favorise l’élimination des lactates et permet un retour plus rapide aux performances optimales. Pas étonnant que les grimpeurs pros ayant utilisé les Vertics sleeves insistent sur ce point, comme l’Autrichienne Angela Eiter : “Je sens que je peux mieux me régénérer quand je les utilise”.
L’avis de La Fabrique Verticale
Pour notre part, une fois le test terminé, nous n’avons plus eu envie de ré-utiliser les manchons en falaise. En revanche, nous avons ressenti les bienfaits de leur emploi dans le cadre de la récupération et nous continuons donc à nous en servir le soir, après les séances. Nous ne les avons pas testés lors de séances de bloc mais étant donné les conclusions de l’étude scientifique citée, il y aurait certainement beaucoup à creuser de ce côté-là !
En conclusion, nous nous garderons bien de porter un jugement définitif sur l’utilisation des manchons de compression et sur leur efficacité dans le cadre de la pratique de l’escalade. Si leur effet est patent pour la récupération et la réduction des courbatures, il reste de nombreuses zones d’ombre à éclaircir sur le sujet. D’autres études sont d’ailleurs actuellement en cours, avec l’Équipe de Suisse d’escalade en particulier, et on a hâte de voir quels seront les résultats !
Salut Laurence et Olivier,
Nous avions mené une réflexion similaire il y a 6 ans sur les manchons quechua. Le protocole que nous avions mis en place est dispo ici : http://2014.kinescalade.com/index.php?option=com_content&view=article&id=24:tests-manchons-vuarde-de-quechua&catid=7&Itemid=14&lang=fr
Super, merci ! 🙂
Protocoles différents, conclusions similaires ! A l’époque du test des manchon Quechua je me rappelle avoir lu des articles scientifiques expliquant que la légère compression améliorait la perfusion artérielle musculaire plutôt que le retour veineux.
Le fait que cela améliore coordination et proprioception est intéressant, même si on pourrait peut-être plus parler d’extéroception que de proprio. Le contact cutané du tissu associé à la compression modérée doit rajouter des informations extéroceptives, à celles transmises par les réseaux proprioceptifs, ce qui doit permettre forcément une meilleure coordination.
Nous sommes d’accord sur l’idée principale à utiliser ces systèmes en récupération. Il faudrait imaginer un protocole de test pour mesurer l’amélioration des performances liée au port des manchons en récup !
Merci encore Laurence et Olivier pour ces échanges.
Salut à tous,
Question super intéressante en effet. J’ai moi-même effectué à l’époque des tests sur ces fameux manchons quechua (protocole non publié), et j’avais trouvé une diminution des performances (test réalisé volontairement uniquement en tendu sur plusieurs sujets) de l’ordre de 20%). Travaillant à l’époque dans cette entreprise, j’avais fait remonter l’info également au chef de produit, leur protocole de validation comportant quelques grosses erreurs à mon sens (d’où l’envie de tester en tendu…).
Je trouve que c’est intolérable de communiquer sur de la récupération et de l’élimination de lactates (Olivier doit avoir un avis bien plus expert que moi…) sur ces manchons et chaussettes. D’ailleurs certains marques commencent à changer d’arguments marketting en ne mettant en avant que le côté « limitation des micro tremblements du muscles » en trail, et donc limitation de la fatigue, sur un nombre de sorties important. J’en suis arrivé à la même conclusion que vous, il peut être intéressant d’utiliser ces manchons en récupération, à voir. Si vous vous lancez dans un tel protocole, n’hésitez pas à m’en tenir informé !!!!! Je suis preneur 😉
J’ai une grimpeuse qui vient de recevoir des manchons, je lui ai formellement interdit de les utiliser en ce moment en grimpant, mais en récupération, elle a l’air d’y trouver un intérêt. Placebo ou pas, elle semble assez séduite, donc à creuser…
Très bonne idée d’article en tout cas.
Thomas
Merci pour cet article très complet ! Mettre en place un système de test normalisé est très pro, et vous n’avez pas peur de donner votre avis, même s’il est plutôt négatif. Ce que je retiens c’est que ça ne sert à rien pour le commun des grimpeurs ! Donc merci de m’avoir fait économiser de l’argent 🙂
Serait il possible de les mettre entre des essais pour favoriser la récupération ??
D’après les résultats de tests menés chez des coureurs à pied, la compression apparaît produire des effets (légers) sur la récupération lorsqu’elle est réalisée assez longuement dans une période de 24 heures après l’exercice (ce résultat est corroboré par le témoignage d’Angy Eiter qui utilise les Vertics après ses séances).
Par contre, toujours dans la même étude, la compression utilisée entre les exercices d’une séance (par exemple en des essais pour ce qui concerne l’escalade), ne semble entraîner aucun effet positif.
On peut émettre l’hypothèse que la durée d’application de la compression serait un facteur déterminant.
Les manchons, plus un handicap qu’une plus value ?
Finalement, je vais m’en servir pour m’entrainer. Pour forcer, les grimpeurs se lestent. Pour résister, peut être que les manchons peuvent nous rendre service à l’instar du leste ? Je vais me concocter un cycle avec manchon ( manchon uniquement utilisé durant les runs) et je vous dirai..