Manon Hily : “Je n’avais pas trop confiance en moi”

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Triple championne de France, figure majeure de l’escalade française et infirmière en soins intensifs, Manon Hily incarne l’alliance rare de la performance et de l’authenticité. Originaire de La Réunion, formée dans les Calanques, elle s’illustre autant sur les podiums internationaux que dans les voies mythiques de Céüse, tout en maintenant un équilibre remarquable entre haut-niveau et vie professionnelle. La Fabrique verticale l’a sollicitée pour parler santé mentale et motivation.

Entre compétition, passion du rocher et engagement, Manon Hily trace un parcours singulier, inspiré par le plaisir de grimper et le sens du geste, porteur d’une énergie communicative qui redéfinit les contours du sport féminin.

Très admiratifs de sa carrière, nous avons souhaité avoir son ressenti sur la course à la qualification olympique qu’elle a vécue l’an dernier pour les Jeux de Paris 2024 et comprendre quel retentissement une période aussi intense peut avoir sur la santé mentale d’un athlète. Cette interview fait suite à l’article que nous avons publié récemment sur ce thème, Le revers de la médaille, et sur lequel vous avez été nombreux à réagir.

manon hily triple championne de france d_escalade figure du haut niveau

Manon Hily, comment as-tu géré la période un peu particulière l’an dernier, de qualifications pour les Jeux ?

Manon Hily : “Dans ma carrière, je n’ai jamais voulu ou éprouvé le besoin d’avoir un préparateur mental ou de voir un psy spécialisé dans le sport de haut-niveau. En tout cas, jusqu’à la période des Jeux. Quand j’étais plus jeune, j’ai adopté la stratégie de l’outsider. Je n’avais pas trop confiance en moi et au final, ça m’a plutôt servi. En tout cas pour perfer régulièrement, c’était assez facile.

Je n’assumais pas trop mon statut, quand j’étais très très forte, de meilleure de ma catégorie. De devoir gagner. Ça m’a servi pour faire des résultats plutôt bons mais en même temps, ça ne m’a aidé pas – pour le coup – pour gagner des compétitions. Arriver en favorite et partir avec le titre. C’est pour ça que je n’ai jamais eu de titre de Championne de France en junior, alors que j’étais la meilleure à l’international.”

Qu’est-ce qui a changé au moment des qualifications olympiques ?

Manon Hily : “Du coup, quand je suis entrée dans le process des qualifications olympiques, effectivement, j’ai senti vraiment que, mentalement, c’était beaucoup plus dur que d’habitude. Et j’ai ressenti le besoin d’aller voir une psy et d’avoir un préparateur mental. Donc j’ai eu les deux pendant 2 ans. La psy pendant un an et elle était spécialisée dans le sport de haut-niveau.

Manon hily Competition de diff escalade IFSC coupe du monde

Effectivement, je n’étais jamais entrée dans un process où on était vraiment les unes contre les autres. En tout cas, c’est l’impression qu’on avait de l’intérieur, vu qu’il n’y avait que deux places. On allait être en concurrence et moi, c’est quelque chose que j’ai très mal vécu et je pense que j’ai vécu une des pires années de ma carrière. Mentalement c’était un dilemme tous les jours de devoir être plus forte que les autres. Et de voir que pour tout le monde, c’était pareil. On était un peu toutes dans le même bateau, mais on s’est serré les coudes.

Celle avec qui j’étais le plus proche, c’est Hélène [Janicot] mais je me suis aussi écartée d’autres personnes. Donc une gestion super compliquée quand on rentre en concurrence avec ses amies et voilà ! J’ai été suivie par une psy et un préparateur mental qui m’a donné beaucoup de techniques pour gérer mon stress avant de grimper. Lui, c’était plutôt sur l’escalade elle-même lors des compétitions. Tandis que la psy, c’était au quotidien. Gérer la performance et aussi, du coup, la non-performance. Parce qu’on était sans cesse fatiguées, comme on devait s’entrainer comme des malades, vu qu’il y avait plusieurs disciplines.”

compétition d_escalade sportive IFSC coupe du monde Madrid 2025

Qu’est-ce que tu retiens de cette période de surcharge ?

Manon Hily : “Les qualifications olympiques, au final, ça a duré hyper longtemps. À partir du moment où j’ai décidé de rentrer dans le process, pendant 1 an et demi, j’étais au taquet. En gros, il y avait des échéances tous les deux-trois mois. Il fallait être fort. Et on nous demandait d’être forts. Et c’était très très dur. Psychologiquement. Mentalement. Physiquement.

Et ça, sans suivi, c’est hyper compliqué à gérer. La performance au quotidien. Ce n’est pas comme une saison classique, où on te demande d’être fort sur 2 mois. Là c’était vraiment tout le temps, toute l’année… Et aussi de ne pas se comparer. C’est la première fois que ça m’arrivait. Du coup je devais me comparer, parce qu’il fallait que je sois plus forte que les autres dans ma tête”.

Manon Hily, est-ce que tu as identifié des moments dans ta carrière où des blessures sont survenues, en lien avec des phases de doute ou de surcharge émotionnelle ?

Manon Hily : “Par rapport aux blessures, je dirais que je ne me suis pas blessée à cause de ça. Les blessures, c’est plus lié à la fatigue générale. Moi, à chaque fois, je me suis blessée quand j’étais au rupteur dans ma vie, que je bossais beaucoup, que je m’entrainais beaucoup… Et quand je commençais à être forte, j’en voulais encore plus.

manon hily escalade en falaise à ceuse

Et c’est souvent comme ça quand tu commences à être très fort. En tout cas, pour ma part, ça a toujours été comme ça. C’est plutôt quand j’étais très forte et très proche des échéances, que j’ai commencé à me blesser. Parce que j’en voulais trop, j’en faisais trop. Mais ce n’était pas totalement relié à ma santé mentale. Ou à ma forme psychologique, on va dire”.

Est-ce que vous avez des interlocuteurs à la Fédé qui vous aident sur ces questions de santé mentale ?

Manon Hily : “La Fédération, en lien avec l’Agence Nationale du Sport (ANS), trouvent ensemble des moyens pour nous mettre en relation avec des préparateurs mentaux ou des psys spécialisés dans le sport. Les Maisons Régionales de la Performance (MRP), quand on est sur les listes de haut-niveau, peuvent aussi prendre soin de nous. Moi, j’ai été assez bien aiguillée dès le début. À la MRP, c’était Olivier Guidi qui suivait mon dossier. Il pouvait m’aider si besoin pour les rdv médicaux ou autres. Surtout sur l’aspect adaptation de l’entrainement et médical en me mettant en lien avec des professionnels. Donc j’avais un interlocuteur qui pouvait me trouver des ressources.

Mon préparateur mental, c’était Sebastien Coupy, qui n’était pas dans le monde de l’escalade. Et après, quand j’étais à Paris, avec la Fédération et l’ANS, j’ai été orientée vers une psychologue du sport qui était spécialisée dans le haut-niveau. Elle suivait déjà d’autres athlètes en lice pour les Jeux. Sinon, au Pole France à Voiron, ils ont un intervenant qui vient. Mais moi je suis hors contexte. Mais oui, la Fédé met quand même en place des choses. Il faut être soit dans un Pole soit sur les listes de haut-niveau ou identifié groupe olympique, ça aide en tout cas.”

Photos (c) IFSC ou coll. Manon Hily

 

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1 réponse

  1. Toujours passionnant de connaître l’envers du décors du spectacle qui nous passionne. Que de souffrance souvent… Est-ce le prix à payer ? Je crois qu’une des clés, ce que je me permets de rappeler à certains compétiteurs avec lesquels je suis en relation via les réseaux, réside dans le fait de ne jamais perdre de vue le plaisir de grimper. Si l’intensité de la souffrance est supérieure au plaisir, c’est à ce moment que les blessures apparaissent et surtout le moral dans les chaussettes, la démotivation. Après la douleur de l’échec, que font les grimpeurs ? Ils vont pratiquer en falaise et retrouver le plaisir du rocher, tactile, visuel, kinesthésique, olfactif, etc. D’où l’intérêt de diversifier ses pratiques de l’escalade. C’est certainement plus facile pour ceux qui grimpent en falaise et en bloc à l’extérieur. Et puis, pourquoi ne pas s’adonner à d’autres sports, ou développer d’autres centres d’intérêt, les arts plastiques, la lecture, la musique, les voyages, ou autre ?
    Merci pour vos articles toujours passionnants.

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