Ouvreur / ouvreuse : vers une féminisation de la profession ?

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Avec le développement des salles, proposer des ouvertures de qualité est devenu crucial, dans un marché de plus en plus concurrentiel. Sans surprise, cette tâche assurée autrefois par des encadrants, voire des bénévoles passionnés, s’est professionnalisée. Un nouveau métier a vu le jour : ouvreur / ouvreuse. Il est exercé aussi bien par des hommes que par des femmes, même si on est encore bien loin de la parité. Alors, va-t-on vers vers une féminisation de la profession ? Et pourquoi serait-ce souhaitable ?

L’ouvreur.euse, c’est cette personne qui trace les blocs et les voies sur lesquelles vous venez grimper dans votre salle préférée. Vous n’avez pas toujours conscience du travail qu’il ou elle abat dans l’ombre, de conceptualisation tout d’abord, puis de vissage et de calage. Et pourtant son rôle est capital. Car la qualité des séances de grimpe que vous allez faire dépend en grande partie de lui – ou d’elle. C’est-à-dire de la qualité de ses créations, des mouvements qu’il ou elle vous propose.

Ouvreur.e ou ouvreuse ?

Au fait, faut-il dire ouvreur.e ou ouvreuse ? La déclinaison féminine de l’ouvreur est classiquement désignée par le terme ouvreuse, qui prête pourtant un peu à confusion. Car le mot renvoie à cette jeune femme chargée au théâtre, ou jadis au cinéma, de placer les spectateurs dans la salle. Et même de vendre des chocolats glacés ! Un métier aujourd’hui disparu. Du coup, il serait sans doute plus judicieux de parler d’ouvreur.e pour désigner celle qui, visseuse à la main, va disposer les prises et les volumes sur le mur, pour que vous puissiez vous challenger. Reste que les traditions ont la vie dure et qu’on parle le plus souvent d’ouvreuse.

ouverture de bloc dans une salle d'escalade femme
Ancienne compétitrice de niveau international, Chloé Minoret s’est reconvertie dans l’ouverture

D’ailleurs, les femmes sont-elles nombreuses à exercer ce métier, à plein temps, en France, au même titre que les hommes ? Difficile de répondre à cette question, tous les réseaux ne nous ayant pas communiqué la proportion exacte de femmes qui travaillent dans leurs équipes à ce poste. De plus, plusieurs réseaux font tourner leurs collaborateurs sur différents types de missions (encadrement, accueil, ouverture), rendant complexe l’évaluation précise du temps passé par des femmes à faire de l’ouverture. Mais à titre d’exemple, dans le réseau Climb Up, sur les 106 ouvreurs en activité, 19 sont des femmes.

Et en partant à la rencontre de plusieurs femmes ouvreuses en France, on a pu rapidement faire ce constat : leur perception est qu’on est bien loin de la parité. Assez curieux quand on sait qu’au niveau de la clientèle, la proportion de femmes qui fréquentent les salles tourne, elle, autour de 40% ! Comme le raconte Florence Pinet, très forte grimpeuse de falaise qui a un tiers temps chez Climb Up pour faire de l’ouverture et de la formation, “chez nous, il y a peut-être en moyenne 1 fille pour 5 ouvreurs gars. Mais il y a de plus en plus de filles en ouverture. Et je trouve ça top !”

Florence Pinet ouvreuse escalade
Très forte falaisiste, Florence Pinet travaille régulièrement comme ouvreuse

Des progrès mais encore du chemin à parcourir

Comme l’analyse très bien Ben Bouissou du réseau Climbing District, “la parité est loin d’être atteinte. Le format actuel d’ouverture en France, et particulièrement chez nous et Arkose, est, je pense, peu adapté. Les formats américains ou asiatiques permettent davantage d’intégrer une diversité de profils. Et cela ne concerne pas uniquement les femmes, mais aussi les personnes peu ou pas expérimentées, à qui il est difficile de proposer des opportunités de progression. Actuellement, notre équipe est composée d’excellents ouvreurs, qui sont également de très bons grimpeurs. Tous grimpent au minimum du 7C bloc et du 8A voie.”

D’une manière générale, on observe quand même une évolution, avec une augmentation du nombre d’ouvreuses travaillant en tant qu’indépendantes ou occupant des postes d’ouvreuses dans les salles. Par rapport à ce qu’elles étaient il y a une dizaine d’années, les équipes semblent un peu plus diversifiées. Mais il reste encore bien du chemin à parcourir en terme d’inclusion. Chez Climb Up, depuis longtemps, des femmes travaillent en ouverture, comme Florence Pinet ou Chloé Minoret.

ouverture de bloc en salle d'escalade

Elles animent aussi des séminaires ouverture, ce qui se traduit mécaniquement par un plus grand nombre de stagiaires féminines, inspirées par leur parcours. Comme le raconte Chloé Minoret : “Chez Climb Up, avec Florence, on a été recrutées sans aucun préjugé, on est toutes les deux compétentes, on se complète dans nos missions. Dans les salles, malgré la faible candidature d’ouvreurs, on essaie d’inciter les filles à se présenter. Dans les équipes, je pense que leur compassion et leur capacité d’écoute apportent énormément lors des gros coups de bourre, de fatigue générale…”

Que peut apporter une femme ?

Bien que cela évolue petit à petit, les ouvreuses se retrouvent donc encore régulièrement en minorité dans les teams d’ouverture. Cela s’explique en grande partie par le système mis en place pour former de nouveaux ouvreurs. Et aussi par le fait qu’il y a aussi une forme de népotisme conduisant à l’embauche de nouveaux ouvreurs principalement masculins, dans des équipes déjà dominées par les hommes. À ceci s’ajoute la dimension très physique du travail, en particulier dans la manutention des caisses de prises, qui peut calmer les ardeurs…

Pourtant, inclure des femmes dans les équipes d’ouvreurs peut être une véritable source d’inspiration pour les clients de la salle. Et surtout pour les clientes ! À la fois en tant que grimpeuses, avec des styles plus adaptés à leurs qualités et à leur morphologie. Mais aussi en tant que personnes, en suscitant des vocations.

Manon elefantis ouvreuse escalade salle altissimo
Manon Elefantis ouvre régulièrement pour le réseau dans lequel elle travaille, Altissimo

Attention toutefois à ne pas laisser s’enfermer dans un discours paternaliste qui voudraient que les femmes ne puissent ouvrir que des voies techniques ou des blocs fins en dalle, puisque – c’est bien connu – “les femmes sont souples”. L’un des arguments que l’on rencontre souvent est d’ailleurs qu’il faut plus de femmes dans les salles pour ouvrir des blocs “de fille”. Un argument qui enferme dans des limites étroites fixées par la taille ou le sexe de la personne qui ouvre.

Sortir des schémas de pensée habituels

C’est ce qu’explique Kenza Slamti, ouvreuse indépendante qui ouvre aussi bien en compétition que dans des salles privées. À Arkose Prado Marseille notamment. “Souvent les femmes sont associées aux blocs techniques/dalle ou aux problématiques de morphologies. C’est en évolution. Pour autant, ça reste toujours d’actualité. Et je ne comprends vraiment pas pourquoi. Ouvrir des blocs techniques/dalle ou gérer des problèmes de morphologies ne sont pas des questions de genre, mais de compétences. Qu’on soit une femme ou un homme ne change rien”.

Kenza Slamti ouverture escalade
Ouvreuse indépendante, Kenza Slamti travaille aussi bien pour des salles que sur des compétitions

Un point de vue que partage Ysabel Piriou, ouvreuse chez Arkose. “Je pense que chaque personne apporte quelque chose à l’équipe. Peu importe son genre. Ce serait jouer dans le jeu des inégalités que de penser qu’une femme apporte des compétences propre à son sexe, de la même manière pour un homme. Ce sont des stéréotypes auxquelles nous faisons face depuis quelque temps. Alors faisons changer les mentalités ! Et offrons à chaque personne la liberté de s’exprimer et s’épanouir comme il l’entend en dehors de tout conformisme”.

D’expérience, on voit bien que chaque ouvreur peut avoir son propre style. Celui-ci n’est pas forcément déterminé uniquement par la taille ou le genre. À La Fabrique verticale, nous avons cette expérience de l’ouverture. Et nous connaissons aussi des ouvreuses qui sont incroyablement fortes pour ouvrir des passages puissants ou très dynamiques. Bref un stéréotype souvent rattaché à un style de “mec”. Par ailleurs, il existe aussi des ouvreurs hommes qui se spécialisent dans l’escalade en dalles super fines et techniques. À savoir un stéréotype correspondant à un style plus “girly” (avec tous les guillemets qui s’imposent…).

ouverture bloc

Les limites des représentations classiques

Lier le style de bloc ou de voie que les gens peuvent créer uniquement à leur sexe, leur taille ou tout autre facteur semble donc très restrictif. Les bons ouvreurs, hommes ou femmes, peuvent ouvrir dans tous les styles et pour toutes les morphologies. Car l’art de l’ouverture exige avant tout un sens aigu de l’empathie. Il faut savoir se mettre à la place des grimpeurs. C’est-à-dire imaginer comment ils vont pouvoir résoudre le passage, même s’ils sont de tailles et de physiques très différents.

Pour Ysabel Piriou, il n’est pas pertinent “de penser qu’on doit prendre des femmes pour caler les blocs de femmes. Chaque ouvreur est capable de se rendre compte de l’exigence et de la difficulté d’un bloc en le calibrant à une catégorie. Peu importe encore le genre, une femme peut très bien grimper des blocs dits “homme” si elle possède le niveau d’escalade requis. Et être complètement à côté de la plaque sur un bloc dit “femme”.”

escalade de bloc femme

Ainsi des grimpeurs de grande taille peuvent très bien ouvrir pour de jeunes enfants si leur jugement est assez développé et s’ils font l’effort d’être en phase avec les besoins du public visé. En définitive, il en découle qu’inclure plus de femmes ouvreuses peut donc avoir des effets positifs sur le staff et/ou la clientèle. Mais pas pour les raisons que l’on croit.

Ouvreuse : la question de la représentativité

En fait, inclure progressivement plus de femmes dans les équipes d’ouvreurs, c’est aussi montrer l’exemple et susciter des vocations. Comme le raconte Élise Kobler, ouvreuse d’abord à la salle Hueco puis chez Block en Stock à Strasbourg, “[au départ], l’ouverture me paraissait être un domaine inaccessible. Pour moi c’était un truc de “mec fort”. Je n’avais jamais vu de femme ouvrir et à cette époque, je faisais des études d’art, donc ce n’est pas du tout une carrière que j’avais imaginé pour moi.”

elise kobler ouvreuse bloc escalade
Elise Kobler, le smile à l’ouverture

Pourtant, après avoir eu l’opportunité de le faire, c’est un domaine où elle se réalise. “Ce métier a aussi un côté très créatif que j’aime énormément. Les possibilités de jeu sont infinies et on s’amuse sans cesse à chercher de nouvelles possibilités de mouvements. En tant qu’ouvreuse, j’espère également inspirer d’autres femmes à entrer dans ce milieu”.

Même ressenti pour Kenza Slamti. “La présence d’une ou plusieurs femmes ouvreuses dans une salle privée ou pour l’organisation d’un évent contribue à la visibilité. C’est plus inclusif. Par exemple, pour certaines femmes qui hésiteraient à se lancer dans l’ouverture ou qui douteraient de l’accessibilité de ce métier, le fait de voir d’autres femmes en action les aident à s’identifier et à se projeter.”

kenza ouvreuse bloc escalade

Comment trouver sa place ?

L’escalade ne fait pas exception à la règle. Comme dans tous les milieux professionnels, il est plus difficile pour une femme de s’imposer. Toutefois, pour Manon Elefantis, ouvreuse dans le réseau Altissimo, la question mérite d’être nuancée. “ Est-ce qu’il est plus difficile de s’imposer en tant que femme ? Je ne sais pas. Mais en tout cas, on est minoritaire ce qui rend sûrement la tâche plus ardue… Surtout si les femmes elles-mêmes doutent de pouvoir y arriver et qu’elles hésitent à se lancer. Dans mon cas, c’est parce que ma responsable et le reste de l’équipe m’ont encouragée à le faire que je me suis jetée à l’eau.” CQFD.

Du reste, l’ensemble des femmes que nous avons rencontrées pour la préparation de ce dossier, d’âges et d’expérience variées, exprime la même perception concernant l’accueil des femmes dans les équipes. C’est à la fois difficile, parce qu’il faut faire ses preuves et trouver sa place dans un milieu dominé et codifié par des hommes. Mais il y a aussi une forme de bienveillance.

ouverture escalade de bloc salle

Florence Pinet constate que c’est un milieu très ouvert. “Les gars sont au top. C’est juste un milieu plus masculin donc […] il faut s’imposer parfois, ça demande un peu de caractère. Mais tous mes collègues de travail sont géniaux. Et ravis d’avoir des filles dans les équipes. […] Je n’ai jamais senti de discrimination au contraire être une femme est même un super critère pour intégrer une équipe. Car il y en a pas beaucoup. C’est même probablement une chance si tu es compétente… ”.

Ouvreuse : le cas particulier de la compétition

Là encore, on peine à parler de parité. Car la représentation des femmes dans les équipes d’ouvreurs de compétition reste faible. Pour autant, les lignes bougent. Et depuis l’époque où j’ouvrais au Internationaux de Serre Chevalier dans les années 2000 ou aux Championnats de France universitaires à la fin des années 90, le nombre de femmes oeuvrant régulièrement à la visseuse tend sensiblement à augmenter. Sans que ce soit phénoménal… Affaire à suivre donc !

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Kenza Slamti à l’ouverture en compétition sur le TAB

Photos (c) Climb Up et coll. Florence Pinet, Kenza Slamti, Elise Kobler et Chloé Minoret

 

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