Pierre Allain, aux origines du chausson d’escalade
Une fois n’est pas coutume, La Fabrique verticale tourne ses regards vers le passé. Et vers un inventeur de génie, Pierre Allain, sans qui aujourd’hui, nous ne pourrions pas nous esbaudir des fantastiques qualités d’adhérence de nos chaussons d’escalade. Alors qu’il y a peu nous faisions un focus sur les nouveautés 2021, petit flashback sur les premiers modèles d’espadrilles améliorées !
Pierre Allain est né en 1904. Il découvre l’escalade dans les années 30, en forêt de Fontainebleau. Rapidement il devient un précurseur du 6ème degré : une “pure lumière du rocher”. En fait, il comprend vite que l’entrainement et l’équipement seront les clefs pour repousser les limites de l’impossible en montagne.
Ainsi, le 1er août 1935, avec Raymond Leininger, il frappe fort, en réalisant un des derniers grands problèmes des Alpes, la première ascension de la face nord des Drus. Le plus surprenant, c’est qu’il grimpe avec ses propres “chaussons d’escalade”. En fait, c’est beaucoup dire. Car il s’agit d’un prototype, une simple paire de tennis, pourvue de semelles en caoutchouc lisses !
N’en déplaise aux guides de Chamonix ! Mais ce fut une véritable révolution à l’époque. Et encore de nos jours, le concept de caoutchouc très lisse reste d’actualité. Il n’y a qu’à voir la gomme qui équipe les chaussons souples de La Sportiva ou les modèles de prédilection des bloqueurs chez Scarpa. À savoir de la XS GRIP 2 de Vibram : une gomme haut de gamme possédant une adhérence inégalable.
Les origines du chausson d’escalade, indissociable de Fontainebleau et de Pierre Allain
L’ironie du sort, c’est que si, dès 1935, Pierre Allain s’est creusé la tête pour fabriquer un chausson d’escalade souple, une basket améliorée, avec semelle de gomme intégrée, c’est précisément parce que les chaussures cloutés ou la semelle des chaussures de montagne créée par Vitale Bramani, crantée et très rigide, montrait ses limites sur le grès de Fontainebleau. Et ne le satisfaisait pas totalement.
Mais Pierre Allain n’est pas le premier à avoir emprunté cette voie. Déjà, avant la Première Guerre mondiale, ceux qui se nomment entre eux les “Rochassiers”, ont des chaussures souples pour explorer “les coins perdus, de Melun à Malherbes, de Nemours à la Ferté-Alais”, à la recherche des “aspérités microscopiques” et autres “vires infiniment petites”. C’est ce que dit Jacques Werhlin en 1913, dans son livre, À l’entrainement.
“Nous avons découvert dans la forêt de Fontainebleau, ainsi que dans ses dépendances, un excellent champ d’entrainement pour la morte saison. Certes ce ne sont point là des aiguilles élevées ; le plus haut bloc ne dépasse point quinze mètres. Mais le grès est bien lisse et les prises y sont rares.” Autant dire que l’adhérence des chaussures utilisées va être déterminante…
En espadrilles, on danse le disco, on fait du vélo… du bloc à gogo !
Les Rochassiers perçoivent vite que leurs chaussures cloutées sont un frein à la performance. Ainsi, en 1913, c’est flanqué d’une paire d’espadrille en corde que Jacques de Lepiney va réussir la Prestat. En Italie, dans les Dolomites, les grimpeurs adoptent également les espadrilles. Et partout en Europe, les recherches vont bon train pour en améliorer l’adhérence.
On essaie diverses matières : “lin, laine, paille, chanvre, fibres d’aloès jusqu’à ce qu’un Allemand, Hans Kresz, ait l’idée de compresser du feutre”, comme le raconte Catherine Destivelle dans un ouvrage consacré à l’escalade.
Et après la Première Guerre Mondiale, un pas de plus est franchi, quand les Bleausards adoptent des espadrilles en grosse toile et semelles de crêpe, au doux nom de Gouick. Joli détournement puisque ces dernières étaient normalement utilisées par les paysans pour aller aux betteraves 😉
La PA, la chaussure des sextogradistes
Il n’en fallait pas plus. La course à l’échalote est lancée ! Et c’est qu’ainsi que Pierre Allain va se décarcasser pour mettre au point son premier chausson d’escalade. Entre 1933 et 1935, il teste divers prototypes à semelles lisses. Ainsi il met au point le chausson d’escalade. Et il le baptise de ses initiales, PA. Cet article deviendra un standard de la varappe, remplaçant définitivement les espadrilles.
Pierre Allain le vend dans la petite échoppe qu’il a ouvert Rue des Ciseaux. Puis Rue Saint-Sulpice, dans le 6e, un arrondissement où on trouve maintenant les célèbres magasins Au Vieux campeur, toujours à la pointe en matière de chaussons. Le modèle finira même par être commercialisé à plus grande échelle, en 1948. Car le concept de la PA est repris par EB, c’est-à-dire Edmond Bourdonneau, avec lequel s’associe un temps Pierre Allain. Les deux hommes fournissent la poignée de néo-sextogradistes de l’époque. Puisque désormais ils ont fait sauter le cran du 6e degré.
Pierre Allain, un inventeur de génie
Pierre Allain ne s’arrête pas là. Il continue son incroyable progression en montagne, avec de nombreuses premières dans les Alpes et des expéditions en Himalaya. Il creuse aussi au passage son sillon créatif. Dans les années 50 et 60, il se consacre à ses inventions. C’est-à-dire les premiers mousquetons en alliage léger, les premières doudounes, le premier descendeur, les sacs de couchages en duvet etc.
Bref, Pierre Allain est un peu une sorte de Geo Trouvetout, comme on dit en français. C’est-à-dire un “Gyro Gearloose”, comme le personnage de Disney. En raison de sa productivité un peu folle mais géniale, toujours à la recherche de nouvelles idées ! D’ailleurs, jusqu’à ses 90 ans, il continuera à fabriquer des mousquetons et des échelles de spéléo, au rez-de-chaussée de sa maison d’Uriage. Et à 80 ans, son fils l’emmenait encore à la Dibona. Il est décédé en décembre 2000.
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