Quel futur pour les salles d’escalade en France ?
On estime à 250-300 le nombre de salles d’escalade privées en France en 2024 et à 10 millions le nombre d’entrées annuelles. Un marché florissant que se partagent 6 grands réseaux, trustant à eux seuls presque la moitié des lieux de pratique. Le marché est-il déjà saturé ? Quelle place reste-t-il pour les indépendants ? Des acteurs vont-ils disparaître ? Bilan et perspectives.
Sur l’ensemble des salles d’escalade privées en France, 120 appartiennent à 6 réseaux largement implantés sur le territoire. À savoir : Climb Up, Arkose, Altissimo, BO, Vertical Art et Bloc Session. À côté de ces groupes, viennent ensuite d’autres acteurs qu’on aurait tort de passer sous silence, même si souvent la majeure partie de leur activité se restreint à une seule zone géographique. On pense en particulier à Espace Vertical à Grenoble ou encore à The Roof, lié depuis 2016 à l’UCPA, et qui compte tout de même 9 salles, principalement situées sur la côte Ouest (Brest, Bayonne, Rennes, Le Havre..).
On pense également à Climbing district, avec ses 6 salles parisiennes premium. Cette jeune société a annoncé une levée de fonds de 10 millions d’euros début 2024. Ce nouveau tour de table s’inscrit dans le prolongement d’une première campagne de financement de 5 millions d’euros réalisée en 2021 et qui lui a permis d’accélérer ses ouvertures en Île-de-France. À noter par ailleurs que l’UCPA, parallèlement à The Roof, développe ses Sport Station, des lieux hybrides où se mêlent sports, loisirs et lifestyle, et comportant parfois de l’escalade, comme à Paris, à Bordeaux ou à Nantes.
Devant cette accélération de créations de salles en France, on peut s’interroger sur les enjeux économiques à long terme. Quel futur pour les salles d’escalade dans l’hexagone ? Va-t-on voir des salles ouvrir dans de plus petites villes de France, jusque là laissées pour compte car potentiellement moins rentables ? Quelles sont les tendances du marché et les stratégies à adopter pour maximiser la rentabilité de ces structures ? Des défaillances sont-elles à prévoir ? Bref quels sont les principaux modèles, dans ce marché très concurrentiel et en pleine évolution ?
Les types de salles : la voie
Sur le segment de la voie, mais aussi du bloc puisque les deux sont souvent proposés conjointement, on retrouve logiquement Climb Up. C’est le leader en la matière, avec 31 salles en France, pour moitié des rachats. Son président, François Petit, a toujours rêvé en grand. Champion du monde d’escalade en 1997 et ingénieur de l’INSA, il a fondé Climb Up en 2011 en reprenant le Mur de Lyon avec l’ambition de développer ou de racheter 1 salle par an. Mais rapidement, c’est plutôt 3, 5, ou même 7 salles d’escalade qui ont été rachetées ou construites chaque année. Désormais, le groupe vise les 100 salles à l’horizon 2030, en France et à l’international. Pour y parvenir, il a levé 14 millions d’euros en 2019 auprès de Calcium Capital.
Un autre acteur historique, Altissimo a, dès les années 2000, commencé à couvrir tout le grand Sud Ouest de la France. Plus modeste, il compte néanmoins aujourd’hui 10 salles en France. “Faire rentrer des fonds d’investissements, j’y ai pensé également, raconte Olivier Marinx, patron d’Altissimo. Mais la réalité des chiffres (une progression de 7% en moyenne par an de 2010 à 2018, de 13 % depuis 2019 à aujourd’hui) – et une rentabilité tout juste à deux chiffres jusqu’en 2021, m’ont raisonnablement fait comprendre que faire rentrer des fonds d’investissement pouvait me faire perdre la maitrise de la société. Aujourd’hui, la rentabilité d’Altissimo est forte. Mais je pense que ma liberté d’action n’a pas de prix. J’ai donc exclu ce mode de croissance pour mon entreprise”.
La voie : les sympathisants vs les indépendants
Arkose, qui s’est principalement développé sur le segment de marché de la salle de bloc, est finalement aussi venu sur celui de la voie. En effet, à la faveur d’une nouvelle levée de fond de 10M en 2018, le groupe s’est porté acquéreur de deux salles à corde, les ex Murmur Pantin et Issy les Moulineaux. On peut penser qu’il s’agit plus d’une opportunité que d’une réelle stratégie de développement. L’avenir nous le dira. De son côté, Climbing district, lui aussi principalement actif sur le créneau du bloc, s’intéresse à sa manière à la voie. Mais il est un peu à part, puisque seules deux de ses salles proposent de la voie, qui plus est exclusivement sur enrouleurs.
À l’autre bout du spectre, plusieurs salles de voies sont tenues par des indépendants en France. Et continuent de fonctionner plutôt bien en dépit de la concurrence des salles de bloc qui se sont montées tout autour. On pense par exemple à Espace Vertical qui possède plusieurs salles à corde et aussi Le Labo à Grenoble. Ou encore à Roc en stock à Strasbourg ou à El Cap à Nantes, plus de 20 ans d’activité et une belle résistance face aux myriades de concurrents qui sont venus se placer à proximité. Pour ne citer que quelques exemples emblématiques.
Et dans des zones qui, jusqu’à présent, ont peu intéressé les grands réseaux, des indépendants ont fini par s’installer et développer leur activité. La nature a horreur du vide, c’est bien connu ! Ainsi, pour parler d’une région que nous connaissons bien, l’Auvergne, une agglomération comme Clermont-Fd (300 000 habitants, 42 000 étudiants, 165 000 emplois et 17 000 entreprises dont Michelin, leader mondial du pneumatique) est longtemps restée sans salle d’escalade à corde digne de ce nom, avant que B Up n’ouvre ses portes. Et en Août 2023, B up a complété son offre en ouvrant une salle de bloc en centre ville, probablement pour verrouiller le secteur et éviter qu’un gros concurrent ne s’installe.
Le modèle de la salle de bloc
Car en réalité, c’est le segment du bloc qui s’avère le plus porteur. Il est très en vogue actuellement et théoriquement moins coûteux en termes d’investissement. De 450 k€ à 900 k€ en moyenne pour une salle de bloc vs de 700 k€ à 1,5-2 M€ pour une salle bloc+voie. Voire jusqu’à 6M€ pour les plus gros projets, comme pour Climb Up Aubervilliers, une salle XXL. Il semble aussi plus simple à mettre en place, puisqu’il nécessite des bâtiments moins hauts et de plus petite surface. Quoique, s’il inclut de la restauration, ce sont aussi d’autres contraintes. Et comme le précise Gregoire de Belmont, du réseau Arkose, “les derniers systèmes de climatisation, ventilation, traitement d’air coutent 400K€/salle”…
Le bloc a vent en poupe et la rentabilité y semble garantie. Donc sans surprise, les principaux acteurs s’y livrent une bataille féroce. L’archétype actuel est une salle implantée dans une zone de chalandise importante. Car en deçà de 150 passages par jour, le projet n’est guère viable. Raison pour laquelle les grands réseaux ont commencé par s’implanter dans les grosses agglomérations. Quitte à se partager le gâteau, plutôt que d’ouvrir dans de plus petites villes. En dessous de 300 000 habitants, ça devient vite très compliqué. Mais il en découle aussi un maillage très incomplet du territoire…
Sur le créneau du bloc, le leader incontesté du marché, c’est Arkose. C’est lui qui a poussé à son paroxysme le modèle de la salle de bloc avec espaces cosy et restauration, dans des quartiers en pleine gentrification, notamment dans Paris. Contrairement à plusieurs de ses concurrents qui ont traversé quelques turbulences (placement en redressement judiciaire jusqu’en 2022 pour Block Out ou vente d’une partie de ses salles en 2024, pour Vertical Art), c’est celui qui semble avoir les reins les plus solides. Il a levé plus de 27 millions d’euros depuis son démarrage. En particulier auprès de la BPI, d’Audacia (le fonds d’investissement de Charles Beigdeber) et plus récemment auprès de Nextstage.
Salles d’escalade : les franchises
Ces grosses salles urbaines proposent du bloc mais aussi du bar et de la restauration, des espaces de coworking, voire des saunas. Touchant un public urbain, elles se veulent plus des lieux de vie que simplement des salles de bloc. D’ailleurs, des réseaux comme Arkose n’hésitent pas à les qualifier de “lofts”. Dans ce type de réseau, par exemple, on estime que 60 à 65% des revenus proviennent de l’escalade, 30% du F&B (bar et restauration) et le reste des ventes annexes (magasins intégrés à la salle, location, séjours…)
En 2023, Arkose a annoncé un chiffre d’affaires consolidé de plus de 42M. De quoi convaincre ceux qui auraient envie de monter leur salle et, pourquoi pas, de devenir franchisé… D’ailleurs, pour ce qui est des franchises, la plupart des grands réseaux proposent d’accompagner les entrepreneurs qui souhaiteraient se lancer dans l’aventure. Par contre, il faut savoir que d’un réseau à l’autre, les mises de départ ne sont pas les mêmes. Et les redevances peuvent être aussi très différentes (de 5 à 10 % sur le CA). Et plus ou moins croissantes d’année en année.
Climb Up développe la licence de marque depuis 6 ans, au début par opportunité pour le porteur du projet. Mais maintenant c’est clairement un axe de développement pour Climb Up. Vertical Art déploie également de la franchise depuis 4 ans. Block Out, quant à lui, a cessé de développer ses franchises depuis 2020. À noter enfin que parmi les acteurs qui sont sur le créneau de la franchise, seul Altissimo propose aussi la construction du mur.
Le développement futur
Pour autant, le concept proposé par ces grands groupes est-il immédiatement transposable partout en France ? Dans un ouvrage assez polémique, Petit livre Blanc des salles d’escalade, à l’usage des entrepreneurs et investisseurs du secteur, J.F Schreiber, patron du réseau de salles Bloc Session, remet en cause le modèle actuel de développement des salles d’escalade en France. Cet ouvrage a d’ailleurs sérieusement fait grincer des dents dans le secteur. Il a le mérite de susciter le débat 😉
En fait il s’interroge sur le business model dominant et se demande si on n’est pas arrivé à un point de bascule. Pour lui, les grands groupes seraient condamnés à devoir inexorablement aller de l’avant en levant à nouveau des fonds. Ou en se développant sur le modèle de la franchise, en faisant miroiter une rentabilité qui ne serait pas forcément au rendez-vous.
Un point de vue que tient à nuancer François Petit, à la tête du réseau Climb Up. Certes, “il y a des choix stratégiques à faire pour un dirigeant. Il faut savoir si on continue à avancer, à faire des levées de fonds. Ou si à un moment, on dit qu’on arrête, qu’on maîtrise et puis qu’on rembourse nos prêts. […] De toute façon, il y a de la place pour tous : les petites salles, les grandes salles, avec restauration, sans restauration… dans un marché en progression”.
Le futur des salles d’escalade : un marché à décrypter
J.F Schreiber plaide pour un modèle plus frugal, dans des zones de chalandise plus petites. Selon lui, le marché tel que l’envisagent les grands groupes est déjà bien engorgé. Pour lui, il y a de la place en tout et pour tout pour 80 grosses salles en France. “Et le marché est déjà quasi saturé puisque ces 80 salles existent déjà.” Par voie de conséquence, les futurs franchisés prendraient des risques financiers importants et s’exposeraient à bien des déconvenues à vouloir transposer tel quel l’exemple des salles de bloc parisiennes à des villes moyennes en région. En témoignent de récents plantages, comme à Lacanau.
D’ailleurs, c’est maintenant aussi un développement à l’international qui est visé par les grands groupes, qui s’implantent dans les principales métropoles européennes. Un groupe comme Arkose est déjà présent à Madrid et Bruxelles. Altissimo a ouvert une salle à Lisbonne. Climbing district vise l’Italie avec Milan et le Royaume-Uni avec Londres. Et Block Out communique même depuis plusieurs années sur des salles en Australie et en Nouvelle Zélande. Aussi étrange et exotique que cela puisse paraître…
Vers des défaillances et des rachats ?
De surcroît, aux dires de bien des acteurs de la branche, le paysage des salles d’escalade en France est amené à se recomposer. Des fusions/acquisitions sont à prévoir à l’horizon des 5 ou 10 prochaines années. On a l’exemple, tout récemment, à Paris, avec la salle Vertical Art de Chevaleret reprise par Arkose après renégociation du bail… L’hypothèse la plus probable est donc que des réseaux s’allient entre eux ou que les plus grands groupes rachètent, petit à petit, les salles de leurs concurrents en difficulté.
C’est en tout cas la vision de Jibé Tribout, un acteur qui joue un rôle majeur dans le business de la verticalité depuis de nombreuses années. C’est peu dire qu’il connaît bien l’écosystème. Tout d’abord en tant qu’importateur ou distributeur de plusieurs grosses marques d’escalade via sa société XXL. Ensuite en tant que patron de la salle Altissimo de Marseille. Enfin en tant qu’investisseur dans les salles de Chris Sharma en Espagne et dans celle de ses fils, Alexandre et Adrien, qui ont ouvert une salle de bloc en indépendants il y a peu, 45°escalade.
“La croissance du marché est plus près de 10-12% que de 20%”, résume Jibé Tribout. “L’autre point clé, c’est que la rentabilité des salles est plutôt longue à venir et demande une très bonne gestion. Donc l’ajout d’une franchise complique l’équation. Même si elle apporte un certain “confort” au départ. Pour moi, le marché des salles va encore progresser mais plus lentement. Et l’on va voir plus de défaillances et de rachats. Car les investissements sont lourds et les meilleurs places sont déjà prises”.
Salles d’escalade : et les indépendants dans tout ça ?
Pour J.F Schreiber, les stratégies de développement actuelles ne tiendraient pas suffisamment compte des dynamiques et des tendances. Selon lui, la croissance du marché est loin des 20% annoncés par les grands réseaux. Pour autant, et comme il le reconnaît lui même, “le marché est quand même en croissance” et “de la valeur est créée chaque année”. “Il y a donc des opportunités, nombreuses, d’ouvrir de nouvelles salles, pour peu qu’on s’écarte de la doxa et qu’on remette en cause les schémas martelés par les ténors”.
Bien évidemment, le propos de ce livre n’est pas totalement objectif. Puisque J. F Schreiber est lui même patron d’un réseau, Bloc Session, dont les salles, beaucoup plus petites, sont en décalage avec le modèle dominant. On comprend donc rapidement, qu’au travers de cet ouvrage, il plaide en faveur de sa franchise. Et c’est ce qui fait dire à certains acteurs majeurs du secteur que ce livre tient plus de l’auto-promotion que de la véritable analyse approfondie du marché. Voilà pour la polémique…
Pour autant, l’ouvrage a pour mérite de poser des questions cruciales sur le développement des salles d’escalade en France et d’attirer l’attention des futurs entrepreneurs, indépendants ou en franchise, sur les pièges à éviter (loyers prohibitifs, localisation et déserte de la salle, coûts de gestion, etc). De plus, il offre un autre éclairage que la vision parisiano-parisianiste qui voudrait que l’essentiel de la clientèle des salles soit devenu des bobos. Le paysage est sans doute plus contrasté ! D’ailleurs la dernière enquête menée sur les pratiquants de l’escalade en France le montre bien. Même si elle n’était pas exempte de biais.
Article de qualité, comme toujours chez La Fabrique Vertical, que je suis depuis une douzaine d’années maintenant.
Je vous remercie grandement pour votre travail constant.
Je trouve cette course à la grandeur et au profit extrêmement inquiétant pour la communauté de l’escalade et les années à venir.
Ce modèle de franchise et de grand groupe à la recherche du plus grand nombre d’abonnés est selon moi malsain.
Cette course au « monopole » sur le marché est d’ailleurs propre à la France.
On se retrouve avec des salles qui sont toutes similaires et qui déperissent à vu d’œil. (Climb Up 🤡 et son modèle à la Mcdo par exemple)
Des salles qui manque d’originalité, de profondeur, de qualité et d’authenticité et qui n’apporte rien à la fédération.
Cette authenticité est beaucoup plus visible chez les indépendants et les petits acteurs.
Et d’autant plus en dehors de l’hexagone.
18€ la séance en 2024, pour des salles dont la plupart des équipements tiers ne fonctionne pas, sont cassés voir très mal entretenu. (sauna, douche, vestiaire et propreté aléatoire)
25€ en 2032 ?
Le constat de cet article, repris par Alix (commentaire précédant) montre que l’on perd la singularité, la qualité de l’offre de service. La logique capitaliste fonctionne sur tous les segments de consommation. On peut faire la même analyse avec l’offre de vêtement, restauration, cinéma. Ces offres ferment ou ne se déploient pas dans les petites villes car non rentables au regard des investissement. C’est un système qui broie les initiatives locales, porteuses de petits moyens. Quel système de merde qui encourage la standardisation, les levées de fond sans fin et la domination des plus gros. Longue vie à El Cap à Nantes (des passionnées de la première heure), à Rock en Stock à Strasbourg et les Cabanes urbaines à la Rochelle !