Romain Desgranges, la constance et la détermination

Depuis quelques années, le grimpeur multi-médaillé Romain Desgranges a troqué sa casquette de compétiteur pour celle de coach à la fédé. Un rôle taillé pour lui et dans lequel il se réalise pleinement au sein du staff d’entraineurs de diff’. La Fabrique verticale a voulu en savoir plus sur ses missions. Et sur les coulisses de cette reconversion. Rencontre.
Que devient Romain Desgranges ? Après avoir raccroché ses chaussons en 2020, le grimpeur chamoniard ne s’est pas endormi sur ses lauriers. Remporter plusieurs titres de Champion d’Europe (2013 et 2017) et la Coupe du Monde de diff’ en 2017, c’est bien. Plus que bien même. Mais transmettre sa passion et son expérience, c’est encore mieux !
Cela fait plusieurs années que tu es entraineur à la Fédé. Comment as-tu intégré le staff et quelles sont tes missions ?
Romain Desgranges : Oui, en 2021, en parallèle de mes diplômes à l’INSEP, j’ai commencé à faire quelques piges avec la FFME, notamment auprès des Équipes de France de difficulté. Mon temps a augmenté progressivement, avec différentes missions, principalement auprès des Équipes jeunes et seniors. Aujourd’hui, je suis à plein temps, aux côtés de toute l’équipe d’entraîneurs, pour dynamiser et développer l’ensemble de la filière « diff » !
Quel regard portes-tu sur l’évolution des styles d’ouverture en compétition et quel impact cela a t il sur la manière d’entrainer et d’ouvrir ?
Romain Desgranges : Le terrain de jeu évolue vite. Le catalogue de mouvements s’étoffe, même si en difficulté, le curseur est moins poussé qu’en bloc, on voit quand même émerger de nouvelles gestuelles dans les voies. Les prises influencent aussi énormément l’ouverture : elles sont toujours plus grosses, et orientent le style vers des efforts plus « rési physique » que « rési avant-bras ».

Mais c’est cyclique, et il faut se méfier de l’effet « instagrammable ». Souvent, les belles grosses prises toutes neuves ne servent que de décor. Et c’est la petite arquée vissée dessus qu’il faut serrer. On retrouve alors un effort typé doigt/gainage plus traditionnel. Côté entraînement, c’est évidemment une variable à prendre en compte.
Gagner une compétition, c’est avant tout un duel entre toi et la voie. Donc il faut que le grimpeur sache répondre aux efforts proposés. Cela dit, il ne faut pas tomber dans l’obsession de l’ultra-spécifique. Ce n’est qu’un des nombreux paramètres à intégrer dans la préparation. Miser uniquement là-dessus serait une erreur.

Qu’est-ce qui te tient le plus à cœur dans ta relation avec les athlètes que tu entraines ? Qu’as-tu le plus envie de leur transmettre ? De transmettre de l’expérience de Romain Desgranges ?
Romain Desgranges : C’est marrant, j’ai entendu une interview d’António Guterres à la radio il y a une heure, où il disait :« Je ne suis pas optimiste, je ne suis pas pessimiste, je suis déterminé. » Et c’est exactement ça ! La détermination, c’est la pierre angulaire de tout rêve de haute performance. Pas juste sur un run ou une semaine, mais sur un an, quatre ans, dix ans s’il le faut… La constance dans cette déter’ !
Parmi les jeunes grimpeurs et grimpeuses françaises, quels sont ceux ou celles qui te bluffent le plus et pourquoi ?
Romain Desgranges : C’est difficile de répondre… Car il y a énormément de choses incroyables, et c’est justement ce qui rend notre travail si enthousiasmant et stimulant ! Si ces jeunes sont dans le paysage des Équipes de France, c’est qu’ils ont « un truc », quelque chose en plus. Mais ça ne suffit plus. Il y a une telle densité aujourd’hui qu’il faut en plus s’entraîner comme un chien, encore et encore, pour transformer ce petit plus en super pouvoir.

Et ça, il n’y a pas d’autre solution juste du travail et des heures de training sur le mur. J’ai eu le sentiment qu’on avait un peu perdu cette culture du training, peut-être avec la tendance à cette approche ultra-qualitative, les belles salles, les belles prises, les ouvertures léchées… Mais cette culture revient. L’ambiance « training au fond du garage », ça a quand même du bon !
Quand tu étais athlète, tu pouvais t’appuyer sur une cellule très forte avec entraineur, préparateur mental, préparateur physique, kiné… La cellule de Romain Desgranges ! Est-ce que tu observes le même type d’organisation aujourd’hui autour des meilleur.e.s grimpeurs.ses français.e.s ?
Romain Desgranges : Et maintenant, tu peux rajouter les agents, les community managers… Notre sport grandit, se professionnalise, devient de plus en plus multifactoriel. À l’époque, c’était un peu du tâtonnement, quelque chose d’expérimental pour Fabrice Judenne (mon entraîneur) et moi. Aujourd’hui, la construction d’une cellule de performance et d’un entourage familial équilibré est incontournable.
C’est une composante essentielle du parcours d’un athlète.On travaille donc à accompagner et structurer ces cellules, à leur fournir les bons outils, à lever les freins à la performance, pour qu’ils deviennent des piliers solides et sains, sur lesquels s’appuyer pour construire un entraînement stable.

Comment as-tu vécu les Jeux de Paris, de l’autre côté de la barrière ?
Romain Desgranges : D’un coté, ces Jeux étaient une vraie fête, parfaitement réussie. Quand on aime le sport et la compétition, c’est impossible de ne pas avoir les yeux qui brillent en vivant un tel événement de l’intérieur. C’était incroyable !
De l’autre, en tant que coach, c’était aussi assez particulier. La machine olympique est un rouleau compresseur auquel il faut s’acculturer. On est très loin des standards des Coupes du Monde : peu d’athlètes, une compétition très longue, une pression énorme… Ça bouleverse toutes les habitudes. Il faut réussir à casser certains schémas et revenir à l’essentiel : un grimpeur, une voie, une prise après l’autre…
Est-ce que le compétiteur Romain Desgranges a des regrets de ne pas avoir pris part à des Jeux finalement ?
Romain Desgranges : Côté perso, ma page de compétiteur est définitivement tournée. Avec le recul, je pense avoir accompli bien plus que ce que j’aurais osé rêver. C’est une chance absolue d’avoir vécu ces années à fond. Aujourd’hui, j’adore mon métier. Et pour rien au monde je ne ferais machine arrière. Je suis 100 % focus sur la réussite des grimpeurs et des Équipes de France de diff’.

Tu es aussi une personne très prolifique, avec un film et plusieurs livres à ton actif. As-tu d’autres projets sur le gaz ?
Romain Desgranges : Ouh la… Des projets, j’en ai plein mes petits carnets ! Le temps, c’est une autre histoire !
En tant que grimpeur, te connaissant, je suppose que tu grimpes et t’entraines toujours autant. Aujourd’hui, qu’est-ce qui t’anime en escalade ?
Romain Desgranges : Encore une histoire de temps… Je grimpe beaucoup moins qu’avant, c’est vraiment par périodes. Mais dès que je peux, évidemment, mes Python, un circuit de rési… Franchement, y’a rien de mieux !