Reconversion en escalade, que deviennent les champions ?

reconversion en escalade que deviennent les champions

Suite de notre dossier consacré à la fin de carrière des grimpeurs de haut niveau. La reconversion en escalade, ce sont beaucoup de belles histoires, que nous avons voulu vous raconter. Toujours en compagnie de Josune Bereziartu, Simon Nadin, Lynn Hill, Seve Scassa, Jibé Tribout, Jérôme Meyer que nous remercions tout particulièrement pour leur disponibilité et la sincérité de leurs témoignages.

Reconversion : vers une transition professionnelle réussie

Il est à noter que la poursuite des études pendant la carrière sportive est une composante favorable à une reconversion et une transition réussie. Car elle permet de développer un sentiment de compétence dans un autre domaine. De plus on tisse du lien, des réseaux professionnels ou des relations amicales en dehors de l’escalade. Car tout l’enjeu de la fin de carrière est bien de développer une identité de soi multidimensionnelle. Car la vie ne se limite pas uniquement aux résultats sportifs. Cela permet au sujet de sortir de la seule identification au rôle de grimpeur.

josune Logical Progression 9a
La grimpeuse basque Josune Bereziartu, dans un de ses faits d’arme, Logical Progression, 9a

L’escalade de compétition n’est pas une activité très rémunératrice quand on est à haut-niveau (c’est un sport jeune même s’il est désormais olympique). Il en va de même pour l’escalade en falaise où très peu de grimpeurs peuvent se targuer de vivre de leurs performances. Ce gap financier, si on le compare avec d’autres sports pros comme le tennis, le golf ou le football par exemple, constitue une injustice. Mais paradoxalement on pourrait dire que c’est aussi un élément facilitant en termes de reconversion. Car on est très tôt amené à assurer ses arrières.

L’adaptation ou l’inadaptation à une nouvelle situation professionnelle dépend, on l’a vu, de la capacité de désinvestissement de l’objet disparu (le sport de haut-niveau) pour réinvestir positivement un autre domaine, qui devient objet de plaisir et de réalisation. L’ancien champion vit alors une phase de renaissance. Par exemple, comme l’explique Seve Scassa, dans son cas, “la seule façon de survivre à la frustration de ne plus performer comme [il] le [souhaitait] a été d’équiper des voies en falaise.”

seve scassa reconversion des grimpeurs de haut niveau

L’ouverture

“Même ouvrir des voies dans des salles d’escalade me satisfait, raconte-t-il. J’ai réussi à en faire un métier. Bref c’est une façon de continuer à vivre ma passion. Ainsi résoudre les séquences les plus difficiles d’une longueur pour les proposer à ceux qui grimpent avec moi est gratifiant. Sentir que l’instinct de savoir encore lire le rocher avec la même facilité que par le passé me redonne le sourire”.

Même constat chez Lynn Hill, grimpeuse américaine qui a réalisé la 1ere ascension en libre du Nose au Yosemite en 1993 : “J’ai récemment équipé une nouvelle voie en plusieurs longueurs dans les Flatirons appelée Queen-line (8a+ ou 8b?) avec Sasha DiGiulian. Cela a demandé beaucoup de travail. Car le mur est surplombant et la dernière longueur est en traversée. Ce projet a été filmé. Il fera partie du documentaire sur Sasha DiGiulian, qui sera diffusé sur HBO Max en juin prochain. J’ai également récemment été interviewée pour un documentaire sur Emily Harrington. Donc je continue à travailler en tant que consultante et porte-parole pour l’escalade”.

lynn hill flatirons

Reconversion : une inversion des domaines d’investissement

Comme l’explique Simon Nadin, aujourd’hui potier, la fin de carrière en escalade peut potentiellement générer “une multitude de problèmes, tant sur le plan psychologique, physique que financier. […] La plus grande perte que je ressens est l’absorption totale que j’avais autrefois pour l’escalade. Tout mon temps libre et ma concentration étaient absorbés par cela. Je suppose que j’étais obsédé. Peut-être que c’est malsain. Mais je pense que c’est quelque chose de nécessaire pour quiconque souhaite devenir maître dans une activité. Cependant, j’ai trouvé une autre activité qui me captive autant. La poterie est stimulante et satisfaisante à bien des égards. [Même si elle] n’est pas aussi exigeante physiquement que l’escalade”.

poterie simon nadin champion escalade

Parfois, l’entrée dans un monde professionnel où les compétences requises ne sont pas celles développées par le sport de haut niveau peut entraîner un remaniement de la qualité de vie et du sentiment de valeur personnelle. Toutefois, lorsque la fin de carrière a été anticipée et librement choisie par le champion, la perception de contrôle de sa propre existence engendre un fort sentiment d’efficacité personnelle et une réduction de l’incertitude liée à l’avenir.

Business is business

Plus globalement, il existe une inversion des domaines auxquels les anciens champions attribuent de l’importance. Ainsi le domaine professionnel devient un support d’investissement majeur et la pratique sportive s’inscrit en tant que complément de cet accomplissement. L’exemple de Jibé Tribout, aujourd’hui à la tête de la société XXL, est à cet égard assez parlant. Il était l’un des meilleurs compétiteurs français et falaisistes des années 90 (avec par exemple Just do it, 1er 8c+ des US, qu’il libère en 1992), avant de trouver un autre domaine dans lequel se réaliser.

“Clairement la réussite en business a été une aide précieuse. Car je me suis prouvé que j’étais capable de réussir ailleurs. Mes expériences en travaillant pour Armani et Arcteryx (et d’autres) ont été inimaginables pour le grimpeur que j’étais. Ce qui est intéressant, c’est que mes expériences acquises en solo, en falaise et en compétition, m’ont beaucoup aidé dans le monde des affaires, où le travail et la prise de risque sont des éléments clés. Et je me suis aperçu que grimper à haut-niveau est encore plus difficile que tout ce qu’on peut rencontrer dans la vie professionnelle”.

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La transition corporelle

À l’arrêt de la carrière, l’estime globale de soi augmente parallèlement à l’établissement d’un nouvel équilibre familial et professionnel. Toutefois, on insistera sur l’importance de réévaluer et de redéfinir un idéal corporel afin de réduire l’écart avec l’image du corps actuel. Car en fin de carrière, les transformations corporelles suscitées par l’arrêt de l’entraînement intensif (prise de poids, baisse de niveau) peuvent être mal vécues par l’individu. Parfois elles créent une déstructuration du sentiment de compétence physique. Y compris chez des champions qui avaient anticipé leur reconversion.

Généralement, dans d’autres sports que l’escalade, qui ne se conçoivent que sur un mode compétitif, les athlètes en transition changent radicalement de pratique afin d’éviter des comparaisons défavorables avec leurs compétences antérieures. Ils se tournent alors vers un autre sport. Ils l’abordent soit à nouveau sur un mode compétitif (comme par exemple Isabelle Patissier, qui s’est investi dans la course automobile et le rallye), soit sur un mode plus tranquille, en mode loisir (comme Sandrine Levet dans la voile).

lynn hill nose reconversion des champions en escalade
Lynn Hill garde le feu sacré, bien après ses exploits au Yosemite

Pour Lynn Hill, le plus important est de conserver le feu sacré. “J’ai veillé à séparer ma passion de ma carrière. J’aime toujours grimper. En fait je ne veux pas que ce qu’on nomme ma “carrière” gâche cette passion. Je suis moins préoccupée par les cotations que par le simple fait d’être heureuse en tant que grimpeuse et de pouvoir subvenir à mes besoins après avoir consacré ma vie à cette activité.”

Reconversion : vivre l’escalade autrement

Parfois les grimpeurs se tournent vers d’autres manières de grimper. Par exemple des grandes voies ou une pratique en extérieur avec moins d’importance donnée à la notion de performance, associées ou non avec une autre discipline sportive. C’est le cas par exemple de Josune Bereziartu : “Si je pense à la façon dont je grimpais, à la manière dont je vivais l’escalade, on pourrait presque dire que je ne grimpe plus. Ce que je fais maintenant, c’est juste de me laisser entraîner par des amis, pour faire, par exemple, une grande voie tranquille”.

“Je fais aussi du bloc, raconte-t-elle, lorsque ma nièce me tire par l’oreille et me rappelle que si elle grimpe, c’est un peu à cause de moi (rires). […] En réalité, cela fait presque dix ans que ma véritable passion est désormais le vélo de route. M’entraîner, progresser autant que possible, gravir des cols interminables… […] Et en hiver, je pratique aussi un peu d’alpinisme et de ski de randonnée.” Bref, une autre manière de s’élever !

escalade josune bereziartu

Réussir, encore

Qu’elle ait été anticipée ou non, la fin de carrière a des conséquences positives pour l’individu. Elle offre, en particulier, plus de temps disponible pour les loisirs ou la famille. De plus elle est moins vecteur de pression et de fatigue liée aux voyages. Sauf en cas de réinvestissement immédiat et total dans l’entreprenariat ou une carrière professionnelle à responsabilités bien sûr 😉

D’une manière générale, le passage d’une vie de champion à celle de citoyen ordinaire est un processus qui s’étale dans le temps. Ce n’est pas toujours chose aisée. Mais si on se réfère à la bibliographie et aux études universitaires menées (voir ci-dessous), après quelques années, 74 % des athlètes interrogés se déclarent globalement satisfaits de leur vie et de leur reconversion. En escalade, les exemples sont nombreux de reconversions réussies. En particulier dans l’entreprenariat.

Outre les grimpeurs précédemment cités, on pense en particulier à Stefan Glowacz (créateur de la marque de chaussons Red Chili), à Fred Tuscan (à la tête de la marque de chaussons EB), à Gautier Supper (shaper et patron de la marque de prises d’escalade SUP’R), à François Petit (à la tête du plus grand réseau de salles d’escalade en France, Climb Up), à Ben Moon (créateur de la célèbre Moonboard). Pour n’en citer que quelques uns…

seve scassa escalade

Reconversion : une forme de rendu

D’autres grimpeurs, à la fin de leur carrière compétitive, ont mis leurs compétences au service des autres. Ils sont devenus par exemple entraineurs, comme Romain Desgranges ou Mike Fuselier. Ou guides de haute-montagne comme Arnaud Petit ou Liv Sansoz. C’est une forme de “rendu à l’activité”, comme le raconte Jérôme Meyer, Champion d’Europe de bloc en 2008.

Après sa carrière sportive, ce dernier a ensuite beaucoup œuvré au sein de l’IFSC à l’entrée de l’escalade aux Jeux Olympiques. “J’ai toujours considéré ma carrière professionnelle comme une forme de rendu à ce que l’escalade m’a apporté. Je sais que l’Olympisme n’a pas rendu tout le monde heureux. Mais j’ai aussi vu tout ce que cela a apporté à travers la planète. Et je suis assez content d’avoir pu contribuer à donner ça à un tas de grimpeurs”.

On retrouve la même envie chez ceux qui partagent leur expérience au travers de livres ou d’articles. D’ailleurs, c’est un peu aussi ce que comme nous faisons sur La Fabrique verticale 😉 “Je pense que ce concept de rendu est assez largement présent”, explique Jérôme Meyer. “Car au final équiper une voie est une contribution. Tout comme monter un réseau de salles. Notre sport continue de grandir et permet tellement d’entreprendre que je suggèrerais à tous d’y chercher une reconversion. En plus cela laissera notre sport aux mains des grimpeurs !”

Biblio

Lavallee, D., Grove, J. R., & Gordon, S. (1997). The causes of career termination from sport and their relationship to postretirement adjustment among elite-amateur athletes in Australia. Australian Psychologist, 32, 131-135.

Pearson, R. E., & Petitpas, A. J. (1990). Transitions of athletes : developmental and preventive perspectives. Journal of Counselling and Development, 69, 7-10.

Sinclair, D. A., & Orlick, T. (1993). Positive transitions from high performance sport. The Sport Psychologist, 7, 138-150.

Stephan, Y., Bilard, J., Ninot, G., & Delignieres, D. (2003a). Bodily transition out of elite sport : A one-year study of physical self and global self-esteem among transitional athletes. International Journal of Sport and Exercise Psychology, 2, 192-207.

Stephan, Y., Bilard, J., Ninot, G., & Delignieres, D. (2003b). Repercussions of transition out of elite sport on subjective well-being : A one-year study. Journal of Applied Sport Psychology, 4, 354-371.

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1 réponse

  1. LEYMARIE dit :

    exciting as usual !

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