Vitesse ou combiné : choisis ton camp camarade !
Y a t-il une différence de morphologie entre les grimpeurs de vitesse et les grimpeurs de combiné ? L’évolution rapide de l’escalade en tant que sport olympique a conduit à une redéfinition des paramètres morphologiques des grimpeurs, en fonction des disciplines choisies.
Historiquement, avant d’entrer aux Jeux de Tokyo sous la forme du combiné, l’escalade compétitive se pratiquait sous 3 formes : la vitesse, le bloc et la difficulté. À Paris cet été, il y aura d’une part la vitesse, et d’autre part un combiné bloc/difficulté. Mais quel est l’impact de ces évolutions sur la morphologie des grimpeurs engagés aux JO ?
Au début des années 90, aux prémisses de la compétition, il n’existait à proprement parler que la difficulté. Le bloc était balbutiant et la vitesse considérée comme le parent pauvre… Les grimpeurs avaient alors une forte tendance à réduire drastiquement leur poids corporel comme facteur favorisant la performance.
Cela était lié au fait que le contexte de la compétition impliquait la présence de petites prises, demandant de fortes capacités de résistance à la fatigue. Ces dernières années, nous assistons à un changement plutôt radical sur le plan gestuel, qui n’a plus grand-chose à voir avec les débuts de l’escalade sportive. Ce changement a aussi des implications sur la morphologie des grimpeurs, tant en vitesse qu’en combiné bloc-difficulté.
L’évolution de la gestuelle et son impact sur la morphologie
L’ouverture des blocs et des voies de difficulté, incluant des macros-volumes et des prises énormes, induit une forme de tridimensionnalité. L’évolution vers ce style d’escalade a déplacé l’attention sur d’autres facteurs de performance tels qu’un répertoire moteur plus large, de nouvelles compétences techniques, des aspects liés à la coordination et une plus grande nécessité de puissance musculaire.
Quid des spécialistes de vitesse ?
En difficulté, la réduction du temps maximal pour grimper les voies a également favorisé une approche différente de l’entraînement, privilégiant les composantes de force/vitesse à la seule résistance. Dans de nombreux cas, le style des voies oblige l’athlète à grimper à un rythme nettement plus rapide qu’auparavant. L’aspect lié au poids corporel est donc largement atténué et le fait d’être léger est une stratégie de moins en moins privilégiée, en tant que telle, par les grimpeurs du combiné. On observe d’ailleurs plus volontiers des profils plus musclés, avec une hypertrophie plus marquée, qui correspondaient auparavant aux physiques des spécialistes du bloc.
Quant aux purs spécialistes de la vitesse, difficile de dégager un morphotype idéal. Il y a quelques années, ils semblaient grands et très musclés. Cependant, en développant du muscle, le poids à transporter augmente, c’est donc une stratégie risquée. Car un grimpeur de vitesse ne peut pas être comparé à un sprinteur en athlétisme. Le grimpeur reste toujours un quadrupède qui se déplace vers le haut (et plus précisément sur une paroi surplombante à 5°). Il est donc fortement soumis à la force de gravité.
Ce qui fait dire à Roberto Bagnoli, Directeur technique National en Italie et entraineur de l’Équipe jeune : “L’arrivée des athlètes indonésiens avec leurs corps légers, minces mais extrêmement puissants, a remis en question la première génération de grimpeurs de vitesse. Le facteur coordination, la rapidité à accélérer et à décélérer les membres, est devenu la priorité, démontrant que la voie de l’hypertrophie ne conduisait pas dans la bonne direction”.
“Le physique du grimpeur de vitesse continue de s’adapter aux besoins et aux changements en compétition, complète Roberto Bagnoli. Si autrefois, le développement des jambes était un tabou, aujourd’hui cela doit être une priorité (pour sauter et projeter le corps vers le haut). Et en fin de compte, le facteur poids n’a plus autant de poids.”
Le rôle des jambes en vitesse
Un point de vue partagé par Urs Stoecker, de l’Équipe Suisse : “Le poids joue un rôle dans toutes les disciplines. Cependant, en vitesse, il joue moins. Car pour l’accélération, vous avez besoin de force maximale. Donc d’un certain diamètre de muscle. En vitesse, les jambes jouent également un rôle dominant et sont beaucoup mieux entraînables que les membres supérieurs.”
Et d’ajouter qu’en vitesse, aussi bien les grands athlètes que les petits, peuvent tirer leur épingle du jeu. “ Les petits, comme les grimpeurs de vitesse asiatiques, ont besoin d’une grande fréquence. Ils sont très rapides à chaque mouvement. Mais l’accélération est plus fluctuante. Les grands peuvent se déplacer de manière plus régulière mais doivent faire de plus grands mouvements. Les deux stratégies sont sujettes aux erreurs. Cependant, le style plus en fréquence pourrait être encore plus sujet aux erreurs. Car il comporte plus de points de contact par seconde”.
Vitesse : que dit la science ?
Plusieurs études scientifiques viennent d’ailleurs confirmer les analyses faites par ces entraineurs, qui montrent l’importance des membres inférieurs dans l’escalade de vitesse (1, 2). De fortes corrélations ont été confirmées entre la hauteur du saut en contre-mouvement ou du saut vertical et le niveau de performance sur un mur d’escalade (3). Et il a été constaté que les mouvements dynamiques au cours de la voie d’escalade présentaient un modèle de mouvement et un profil force-vitesse très similaire à celui du squat jump.
Dans la courbe force-vitesse caractérisant ces “grimpeurs-sprinteurs”, la composante vitesse pourrait d’ailleurs avoir plus d’importance que la force proprement dite (4). Tout ceci tend à confirmer la thèse selon laquelle il existerait un profil caractéristique pour ces grimpeurs, principalement axé sur les qualités de vitesse. Sans grande surprise !
Bibliographie
- (1) 2019. The Significance of Selected Tests Characterizing Motor Potential in Achieving High Results in Speed Climbing. Krawczyk, M, Ozimek, M, Rokowski, R, Pociecha, M, Draga, P. Journal of Kinesiology and Exercise Sciences 2019; 29 (88): 63-72.
- (2) 2014. Somatic traits and motor skill abilities in top-class professional speed climbers compared to recreational climbers. Krawczyk, M, Ozimek, M. Journal of Kinesiology and Exercise Sciences 2014 ; 25(66):25-32
- (3) 2024. Road to Paris 2024: force-velocity profile in different speed climbers’ abilities. Muñoz de la Cruz, V, Rodrigo Carranza, V, González Ravé J. Biol Sport. 2024;41(2):131–137.
- (4) 2020. The force, velocity, and power of the lower limbs as determinants of speed climbing efficiency. Krawczyk, M, Ozimek, M, Pociecha, M, Draga, P. Trends in Sport Sciences 2020; 27(4): 219-224.
Photos Lena Drapella pour l’IFSC, Jakarta, 2023