Vous la prendrez en tendu ou en arqué ?
La modalité de saisie des prises est l’objet de débats souvent agités. La position arquée, en dépit des risques de blessure plus importants qu’elle présente, est utilisée de manière spontanée par beaucoup de grimpeurs, mais est-elle la plus efficace ?
Beaucoup d’études, depuis une quinzaine d’année se sont penchées sur les différences entre les préhensions arqué ou tendu, du point de vue des forces exercées. Cependant, l’appareillage utilisé ne permettait d’examiner que l’action d’un doigt unique (parfois 4) et seulement dans un plan vertical et pour une seule épaisseur de prise.
L’étude d’Arif Mithat Amca, Laurent Vigouroux, Serdar Aritan et Éric Berton, (Universités d’Ankara et Aix-Marseille), publiée en 2012 dans le Journal of Sports Sciences, présente une avancée déterminante en ce domaine. En effet, les chercheurs y abordent la question des interactions qui existent entre posture des doigts et profondeur de prise. En outre, elle offre une vision plus systémique de la préhension, puisque c’est bien l’action des 4 doigts, auxquels s’ajoute (ou non) le pouce qui est évaluée.
Ce qui est particulièrement intéressant dans cette expérimentation, c’est que ce ne sont plus seulement des forces verticales qui sont mesurées, mais aussi les efforts exercés dans une direction antéro-postérieure. C’est donc bien des hypothèses sur les stratégies mises en œuvre par les grimpeurs en fonction de la profondeur des prises, mais aussi de la position du corps ou du mouvement à venir qui nous sont livrées.
Le modèle expérimental
Les participants à cette étude étaient tous des bons grimpeurs, entraînés, évoluant en moyenne dans du 7c/7c+. Ils ont tour à tour réalisé le test sur 4 épaisseurs de prises (de 1 à 4 cm), en usant pour chacune trois postures digitales : en arqué avec le pouce, en semi-arqué (sans le pouce) et en tendu.
Pour ce faire, ils étaient placés en position debout devant le système de mesure, la main dominante positionnée sur une réglette. Leur avant-bras était vertical et le coude à hauteur de l’épaule.
Le test proprement dit consistait à exercer dans un premier temps une force maximale dans un plan vertical (du haut vers le bas). Puis, dès que cette valeur était atteinte (au bout de 3-4 secondes), il était demandé aux grimpeurs de faire évoluer la direction de la traction vers un axe antéro-postérieur (de tirer vers l’arrière en d’autres termes) ; il leur était alors possible de modifier l’angle de l’avant-bras par rapport à la verticale, sans cependant bouger le tronc ou le bas du corps.
Les résultats
Les forces verticales
Les niveaux de force les plus élevés diffèrent en fonction de la profondeur de la prise et de la technique : ils augmentent entre la prise de 1 cm et celle de 2 cm ; Et pour ces deux épaisseurs de prises, la position arquée permet d’atteindre les valeurs les plus élevées par rapport au semi-arqué et au tendu (lesquelles ne diffèrent pas l’une de l’autre). L’action du pouce est là déterminante et permet d’exercer environ 20 % de force supplémentaire.
L’analyse statistique révèle aussi un effet variable de la profondeur en fonction de la préhension choisie : pour les positions en arqué et semi-arqué, c’est sur la prise de 3 cm que les plus hautes valeurs sont atteintes ; et lorsque les efforts sont réalisés en tendu, c’est sur la prise de 4 cm que l’on observe les plus hautes valeurs.
Par ailleurs, concernant la position en tendu, les résultats révèlent une augmentation régulière des forces exercées en rapport avec la profondeur de la prise (et donc la surface de contact avec la prise). Pour les postures en arqué et semi-arqué, l’évolution de la force est en forme de cloche ayant un pic autour de 3 cm.
Les forces antéro-postérieures
En moyenne les forces exercées augmentent en fonction de la profondeur des prises. Et des interactions significatives sont observées entre technique de préhension et profondeur de prise : ainsi, les forces les plus élevées sont constatées en arqué sur la réglette de 2 cm, en semi-arqué sur celle de 3 cm, en tendu sur la prise la plus épaisse.
Sur la prise la plus petite, c’est la position en arquée qui permet de développer la force la plus importante. Ce rapport tend à s’inverser au fur et à mesure que la prise devient plus épaisse, mais n’est pas statistiquement significatif.
Que retenir ?
Pour ce qui est des forces dirigées verticalement, le choix du grimpeur d’utiliser une préhension ou l’autre ne semble pas dépendre en premier lieu de facteurs biomécaniques, mais semble plutôt résulter d’une stratégie visant à optimiser la surface de contact et l’interaction avec la prise. Si la position arquée est celle qui permet de réaliser l’interface la plus efficace sur les prises les plus fines, il n’en va plus de même lorsque l’épaisseur augmente : il devient alors de plus en plus difficile d’adopter les positions en arqué ; et parallèlement, la position en tendu offre une surface de contact de plus en plus grande.
Concernant maintenant les forces dirigées selon un axe antéro-postérieur, déterminantes dans le maintien de l’équilibre du grimpeur, car elles permettent de régler la position du tronc par rapport au support, il ne semble pas qu’une préhension soit vraiment meilleure qu’une autre.
Cependant, les positions articulaires et les angulations de l’avant-bras avec la verticale diffèrent selon que le grimpeur arque ou est en tendu : Lorsque les grimpeurs sont en tendu, les avant-bras restent quasiment verticaux, alors que de fortes angulations sont mesurées dans le cas où les grimpeurs sont en arqué.
Cette dernière position semble donc plus avantageuse : en arquant, et ce sans que l’interaction entre doigts et prise soit modifiée, le grimpeur dispose d’une liberté de mouvement du poignet et de l’avant-bras, précieuse quand il s’agit d’ajuster sa posture ou de réaliser un mouvement de grande amplitude (avec la main d’appui sous le niveau des épaules par exemple). Enfin, l’extension du poignet qui accompagne ce déplacement de l’avant bras augmente la longueur des muscles fléchisseurs des doigts ce qui, sur le plan biomécanique, augmente leur efficacité.
En conclusion
Les résultats de cette étude ne concernent que des prises plates de 1 à 4 cm. Il faudra réaliser le même type de protocole sur d’autres formes de prises, par exemple crochetantes ou en pince.
Néanmoins, grâce aux résultats obtenus ici, il devient possible de modéliser l’évolution les interactions entre type de préhension et profondeur de prise. Ce qui pourrait permettre par exemple à des fabricants de prise de caractériser précisément les « niveaux de difficulté » des prises à l’intérieur d’une gamme ou à des entraîneurs de mieux cerner les qualités des athlètes, puis ajuster plus finement les intensités d’entraînement. On pourrait aussi envisager de déterminer la préhension la plus efficace en fonction du type de prise.
Pour aller plus loin
Demandez l’article original (en Anglais), en contactant Laurent Vigouroux : laurent.vigouroux[at]univ-amu.fr
ouh pointu l’article mais très intéressant !
si on peut bientôt côter par modélisation alors ça peut simplifier les éternels débats autour du + où du ++
super boulot olivier