Escalade. Le pouvoir de la force… à tout âge !
En escalade, la force est une composante incontournable de la performance. Tout un chacun, dans la quête de son prochain bloc ou voie, peut le vérifier facilement. Elle n’est pas la seule bien sûr. Ce qui permet de comprendre pourquoi, en escalade, il est possible de performer jusqu’à un âge relativement avancé. Néanmoins tout grimpeur vieillissant se trouve confronté à une cruelle réalité physiologique. Zoom sur la force… à tout âge !
Avec l’âge, la force maximale a la fâcheuse tendance à diminuer. Plusieurs interrogations surviennent alors. Peut-on ralentir, voire enrayer ce processus inexorable ? Peut-on espérer, avec un entraînement approprié, conserver tant soit peu les niveaux de force qui faisaient notre fierté ? Ou faut-il reporter nos efforts sur les autres facteurs à entraîner et jouer sur d’autres qualités ? Autant que questions que nous vous proposons d’aborder aujourd’hui.
Évolution de la force avec l’âge
La diminution de la masse musculaire (ou sarcopénie) avec l’âge est un phénomène très bien décrit pour la population générale. Elle démarre dès la troisième décennie. A partir de l’âge de 40 ans, certaines études évaluent à ± 5 % la perte de masse musculaire tous les 10 ans. Avec une accélération au-delà de la 60ème année. Cette évolution touche davantage les muscles des membres inférieurs. Et elle est en lien avec la baisse d’activité physique. Bien sûr, ce phénomène représente un enjeu du point de vue de la santé générale. Puisqu’à terme, la diminution de la force conduit à une perte d’autonomie.
Chez nombre grimpeurs, cette diminution de la force est aussi ressentie. Et son caractère inéluctable, quoique ralenti dans les populations sportives (cela a bien été montré aussi), peut être très décourageant. On trouve donc sur le web de doctes recommandations à arrêter de faire du bloc, réorienter sa pratique. Ou bien se tourner en particulier vers de l’escalade dans des profils moins raides, plus techniques…
Tout cela semble être frappé au sceau du bon sens. Il y a pourtant lieu de rester plus optimiste, surtout lorsqu’on considère l’étude menée par Gabriel Nasri Marzuca-Nassr et ses collaborateurs, publiée en 2023 dans la revue « International Journal of Sport Nutrition ans Exercise Metabolism ».
Force : Peut-on encore progresser à un âge avancé ?
L’état des connaissances
Plusieurs études l’ont montré. Chez des personnes déjà âgées, (entre 65 et 75 ans), un entraînement approprié conduit à une hypertrophie et une augmentation de la force. Pour ce qui est des personnes encore plus âgées (plus de 80 ans), la plupart des études concluent quant à elles à une réponse musculaire « émoussée » à l’entraînement. On peut attribuer cette moins bonne adaptation à plusieurs causes : enzymatiques, nerveuses, hormonales ou encore inflammatoires. L’intérêt majeur de l’ étude menée par Nasri Marzuca-Nassr est qu’elle étudie les réponses à l’entraînement pour des populations très âgées. Et qu’elle compare celles-ci aux réponses observées pour des populations plus jeunes. Ce qui n’avait pas été fait jusque-là.
Le protocole élaboré par l’équipe de chercheurs a conduit 2 groupes de personnes, âgées respectivement de 65 à 75 ans, et de plus de 85 ans à s’entraîner 3 fois par semaine pendant 12 semaines. Les exercices ciblaient l’ensemble du corps. Les intensités d’exercice évoluant de 60 à 80 % de la force maximale volontaire (1RM) au cours du protocole.
Influence de l’entraînement de la force chez les personnes âgées
À l’issue de cette période intense, voici ce qu’ont constaté les chercheurs. Certes, les personnes de plus de 85 ans présentent toujours des volumes musculaires moindres que celles de 65-75 ans, et des performances inférieures. Mais dans les deux populations on observe une augmentation du diamètre du quadriceps, et plus globalement une augmentation de la force du bas et du haut du corps. Sans qu’il y ait de différence d’adaptation entre les deux populations !
Sur l’amélioration de la force, il y a des grandes différences interindividuelles, dont témoignent les écarts types. Et des différences sur les progrès des différents groupes musculaires. Les progrès sont beaucoup plus marqués au niveau des membres inférieurs (jusqu’à 50 %) que pour la force de préhension ou de tirage (respectivement 4,4 et 23 % dans la population la plus âgée). Pour expliquer les progrès, et les différences observées avec les résultats d’études précédentes, les chercheurs mettent en avant le volume et l’intensité du travail réalisé. En l’occurrence dans cette étude, les personnes se sont entraînées pendant 12 semaines, à raison de 3 séances hebdomadaires, sur des exercices dont l’intensité se situait entre 60 et 80 % de la force maximale volontaire !
Déclin de la force : est-ce que les sportifs sont protégés ?
On trouve des éléments de réponse dans l’article de Latella C et ses collaborateurs : Athletes to Determine Strength Adaptations Across Ages in Males and Females: A Longitudinal Growth Modelling Approach, paru en 2023 dans la revue Sports Med. Elle est intéressante à plusieurs titres : c’est une analyse rétrospective et longitudinale qui a analysé un très grand nombre de données, concernant des athlètes des deux sexes et de différents âges. Athlètes qui de surcroît s’entraînent plusieurs fois par semaine. Tout ceci confère à l’étude une grande puissance statistique. Autre facteur intéressant. Cette étude concerne un sport de force, comme l’est l’escalade. Certes les finalités du power lifting et de l’escalade sont différentes. Les morphologies des athlètes aussi. (Quoique, de plus en plus, on puisse observer des specimens assez « massifs » sur les tapis de salles de bloc ;-)).
Ce qui est montré c’est que, certes, les progrès s’atténuent avec le temps. Ceci est dû à des facteurs en lien avec l’âge. Mais aussi on doit prendre en compte la spécificité de la pratique physique considérée. En l’occurrence le nombre (diversité) de mouvements est très réduit en power lifting. Et il devient forcément de plus en plus difficile, au fur et à mesure que l’expérience et l’adaptation à ces mouvements augmente, de passer un palier supplémentaire. Sans doute plus qu’en escalade où, comme nous l’avons constaté, un grand nombre de facteurs interviennent, outre la force.
Mais l’étude montre surtout le rôle positif d’un entraînement continu de la force, quels que soit les âges. L’entraînement régulier de la force, pour autant qu’il ne soit pas a minima, est susceptible d’atténuer largement le déclin de la force lié à l’âge. C’est donc un encouragement à poursuivre dans cette voie au cours de nos entraînements.
Comment envisager l’entraînement de force en étant vieux ?
Réfléchir à sa pratique
Lorsqu’on regarde en détail l’évolution du tissu musculaire avec l’âge, on constate que ce sont d’abord les fibres rapides, les plus puissantes, qui sont affectées. Leur nombre et leur volume diminue. Et on peut même observer des switchs, c’est-à-dire la transformation de fibres rapides en fibres plus lentes. Rapporté à l’escalade, cela suggère qu’il peut tout de même être utile, l’âge avançant, de reconsidérer nos lieux et styles de pratique. Et peut-être de les faire évoluer. Pour les adeptes du bloc ou de voies ultra-courtes et puissantes, cela signifie en clair choisir des passages un peu plus longs (traversées) ou des voies sollicitant d’avantage l’endurance de force que la force explosive. Et puisque tous nos tissus vieillissent et pas seulement les muscles, il devient aussi nécessaire de s’interroger sur les préhensions et types de mouvements, afin de limiter les risques de blessures.
Enfin, il s’agit de ne pas bouleverser les formes d’entraînement ou de pratique que l’on a pu adopter pendant très longtemps. Pour une grimpeuse ou un grimpeur dont l’entraînement s’est effectué seulement en bloc ou en falaise pendant des décennies, l’adjonction de séances de renforcement musculaire « pur » ne peut s’envisager que de façon très progressive.
Comment planifier ?
A partir d’un certain âge, il peut devenir de plus en plus difficile de composer avec une vie de famille prenante, le travail ou encore d’autres centres d’intérêt ou la vie sociale tout simplement. L’enjeu est alors de parvenir à sacraliser des séances d’escalade ou d’entraînement. Elles seront peut-être moins fréquentes qu’auparavant, ou qu’on souhaiterait. Mais cette régularité sera un facteur précieux pour les progrès futurs.
A l’inverse, une erreur courante consiste à mettre le paquet dès que l’on a du temps de libre, pour rattraper le temps perdu. Malheureusement, cette stratégie génère des ruptures d’adaptation et se révèle être le plus court chemin vers la blessure, le meilleur moyen à coup sûr de perdre du temps. Dans cet effort de planification, on peut être aussi contraint par des horaires serrés, qui imposent des séances courtes. On se trouve alors confronté à une certaine forme de contradiction. Le travail de la force impose des échauffements relativement longs et soigneux. Et on sait qu’il ne suffira pas de faire 3 pompes ou 3 blocages en fin de séance pour progresser et pourtant on n’a que peu de temps.
Une manière habile de contourner cette difficulté nous est apportée par Laurent Vigouroux et Clément Lechaptois dans leur ouvrage « La force ». Il s’agit d’adopter un cadre de planification écologique, nommé en l’occurrence le « permis à points » dans lequel on va se fixer des objectifs d’exercices à réaliser, par semaine. Grâce au système de points, on contrôle facilement le travail réalisé et on peut l’adapter rapidement en fonction de ses niveaux de fatigue.
Cibler les qualités utiles à entraîner
Maintenir la force est essentiel, nous l’avons vu. Mais dans une perspective de progression, il est utile aussi de balayer un maximum des facteurs qui concourent à la performance en escalade, ceux qu’on a délaissé ou encore ceux dans lesquels on a encore une grande marge de progression.
- Parmi ceux-ci, la gestuelle est une source de progrès sous-estimée. Améliorer sa coordination, affiner ses sensations d’équilibre ou de déplacement, améliorer la précision dans les placements sont autant de pistes à continuer d’explorer et à pousser.
- Le travail de la mobilité passe aussi souvent au second plan. Or cette qualité aussi a tendance à dramatiquement se réduire avec l’âge si l’on y prête garde. Pourtant elle est essentielle car elle seule nous permet d’être capable d’exercer des niveaux de force élevés sur des appuis situés loin de l’axe du corps, ou dans des positions inhabituelles. En pratique, cela ne requiert pas un investissement en temps considérable : 3 à 4 séances d’étirements par semaine, ne serait-ce que 10 minutes, ciblant les deux « ceintures », épaules et bassin peuvent être suffisantes pour maintenir le niveau de mobilité.
- Sur le travail de la force elle-même, travailler sur les muscles antagonistes, sur des régions du corps jusqu’à présent peu sollicitées (parce qu’on avait donné la priorité aux avant-bras, bras et épaules), est aussi vecteur de progression.
- Enfin, et même si on sort de la sphère du physique, l’entraînement des facteurs mentaux, cognitifs, ne requiert pas d’énergie et recèle de bonnes perspectives de progrès. Mieux mémoriser et visualiser votre projet du moment par exemple vous fera gagner beaucoup de temps et d’énergie en vue de sa réalisation.
Modalités d’entraînement de la force
Sur la force elle-même, l’âge invite à reconsidérer les modalités de travail et les outils utilisés. Il est clair que le maintien du niveau de force, voire les progrès passent par un travail à une intensité suffisante, supérieure à 70 % de ses capacités maximales. Mais certains outils, ou certaines modalités devront sans doute prendre moins de place avec l’âge. Par exemple, il devient sans doute de moins en moins pertinent d’envisager les bonnes vieilles séances de pliométrie sur le pan Güllich. Mais, si on considère l’évolution de notre pratique (voire plus haut), est-ce bien judicieux de faire des jetés à 2 mains si on ne trouve pas ce type de mouvements dans les voies que l’on parcourt ?
Aspects hygiéniques
Enfin, le vieillissement a un impact sur des facteurs plus globaux, qu’il convient de prendre en compte. Le sommeil est susceptible d’évoluer : phases d’endormissement plus brèves, fractions de sommeil léger plus fréquentes, modifications de l’horloge biologique.
Par ailleurs, notre métabolisme se ralentit naturellement avec l’âge, ce qui s’accompagne généralement d’une redistribution tissulaire. A savoir une diminution du volume musculaire au profit de la masse grasse. Donc, si adopter une ascèse stricte n’a guère de sens, il s’agit tout de même de contrôler son alimentation afin de conserver un poids stable. Car chaque kilo supplémentaire à porter augmente aussi la contrainte mécanique sur les doigts et les risques de blessure.
Conclusion
Vanitas vanitatum et omnia vanitas
C’est ainsi que se conclue le livre de l’Ecclésiaste. Son auteur, après avoir exploré chaque aspect de la vie terrestre, aboutit à l’idée que tout est vanité et poursuite de vent. Chaque grimpeur qui vieillit se trouve face à une aporie : Comment se perpétuer en tant que grimpeur, comment continuer à appréhender une pratique tournée vers la performance alors que ses capacités se délitent ?
Si Chateaubriand trouve le dépassement de cette aporie dans la religion, il y a sans nul doute d’autres voies à explorer pour nous grimpeurs : Car tout d’abord, en dépit de l’évolution naturelle, on peut continuer à grimper longtemps et même à performer assez tard, si on a la santé. Par ailleurs, le concept de performance peut être redéfini et ne plus être réduit à la simple cotation. Enfin, et les études auxquelles nous avons faire référence dans cet article en attestent, l’entraînement de force, à condition d’adapter les séances à l’évolution de ses capacités de récupération, peut permettre de progresser encore, et par conséquent reste le meilleur rempart contre le vieillissement.