Généalogies du vide #1 : des Américains à Chamonix
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Généalogies du vide est une nouvelle rubrique proposée sur La Fabrique verticale. Nous y parlons des grimpeurs qui ont marqué l’histoire et l’évolution de l’escalade. Dans ce premier opus, il est question de la folie américaine qui s’empara des Alpes, au début des années 1960. Du Yosemite à Chamonix : une traversée de l’Atlantique déterminante pour les parois du Mont-Blanc. Une rubrique animée par Guillaume Guémas, de la chaîne YouTube Style Alpin.
Généalogies du vide #1. Une révolution philosophique et matérielle. C’est comme cela que l’on pourrait décrire les quelques années de folie américaine qui s’emparèrent des Alpes et de Chamonix particulièrement, au début des années 1960. Des grimpeurs venus du Yosemite vont ouvrir de grands itinéraires de montagne, grâce à leurs pitons d’un genre nouveau et à leur éthique stricte.
Gary Hemming s’établit à Grenoble dès 1960. Devenu un grimpeur assidu des Calanques, ainsi qu’un alpiniste de haut niveau, il correspond alors régulièrement avec Yvon Chouinard, futur fondateur de Chouinard Equipment (devenu Black Diamond) et de Patagonia. Cet expert du matériel est en avance sur son temps. Il forge à la main des pitons révolutionnaires. En alliage d’acier et de chrome-molybdène, ils conviennent au dur granit du Yosemite (et donc aussi à celui du massif du Mont-Blanc). Et peuvent facilement être réutilisés lors de longues ascensions.
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Du Yosemite à Chamonix
Hemming lui décrit régulièrement les problèmes rencontrés dans les Alpes et les besoins techniques que ceux-ci posent. Le danger est partout. Les bivouacs sont moins confortables qu’en Californie. Il faut aller vite pour passer entre les orages ou averses, porter souvent un sac lourd… En 1962, la légende du Yosemite Royal Robbins est de passage à Chamonix. Gary Hemming, qui envisage l’ouverture d’une voie directe dans la Face Ouest des Drus, et qui n’a jamais grimpé avec son compatriote malgré une admiration sans borne pour le pionnier du Half Dome, lui propose de faire cordée commune.
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La Directe américaine aux Drus est un pur produit de l’escalade Yosemitique à la sauce Robbins. Un usage parfait et sans excès des pitons et des moyens de progression, en essayant d’avoir le moins d’impact possible sur la voie. L’expérience des bivouacs en parois, des surplombs et des fissures joue un rôle déterminant. Les Américains sont dans leur élément.
En 1963, c’est la Face Sud de l’Aiguille du Fou qui tombera aux mains de ces alpinistes peu conventionnels. John Harlin, militaire de carrière au sein de l’US Air Force, est basé en Allemagne. D’ailleurs c’est lui qui avait convaincu Gary Hemming de s’installer en Europe. Très souvent encordés car leur alchimie en montagne est exceptionnelle, leurs forts tempéraments respectifs les poussent régulièrement à vouloir s’entretuer. Ambiance !
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Hemming, Harlin, Chouinard, Robbins et cie
Puis, Tom Frost, fidèle compagnon de Robbins dans le Yosemite, et co-développeur du matériel avec Chouinard, se joint à eux. Il amène dans ses bagages ces fameux pitons réutilisables à lames fines, idéaux pour les fissures subtiles, qui seront cruciaux pour l’ascension. C’est une autre voie rocheuse de très grande envergure qui est gravie grâce à l’agilité en escalade libre des Américains. Mais aussi grâce à leur usage d’un matériel d’avant-garde, encore introuvable en Europe.
Et si les voies sont encore gravies en artificiel, du moins pour les passages les plus difficiles, les Américains, et notamment Robbins, apportent une vision novatrice. Car la manière de gravir la voie compte plus que de faire le sommet ou que de forcer le passage d’une directissime. Cela contribuera à semer les graines de l’escalade libre dans les grandes parois alpines. À suivre 😉
Journaliste indépendant et créateur de la chaîne Youtube Style Alpin, dédiée à l’histoire de l’alpinisme, Guillaume Gunémas est passionné par l’histoire des sports outdoor. “J’aime rendre la lumière aux récits parfois oubliés et aux grandes heures de la conquête des cimes !”
Photos (crédits @Tom Frost- Wikimédia commons)
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