Généalogies du vide #3 : Preuss et Mummery, destins croisés

Le premier a inventé l’alpinisme sportif et sans guide. Le second a posé les bases d’une éthique stricte sur le rocher. Alfred Mummery et Paul Preuss, chacun à leur manière, furent des précurseurs de la verticalité, dont les intuitions sont aujourd’hui toujours présentes dans notre façon de grimper. Ils sont au cœur de ces Généalogies du vide #3, une rubrique animée par Guillaume Guémas.

Mummery, c’est le chef de file de la génération post-âge d’or de l’alpinisme (1855-1865). Tous les sommets majeurs des Alpes déjà gravis par leurs voies normales, il fallait réinventer les défis et les exploits à réaliser en montagne. C’est le début de la chasse aux voies alternatives, plus dures, plus intéressantes… Et des sommets de moins de 4000 mètres, parfois délaissés par les premiers ascensionnistes anglais.

Mummery, l’alpinisme sans guide

D’abord accompagné du grand guide suisse Alexander Burgener, il fait la première de l’arête du Zmutt au Cervin. Puis laisse sa marque à l’Aiguille du Grépon en 1881 où une célèbre fissure porte désormais son nom. Puis, Mummery se passe progressivement des services de Burgener. Il grimpe seul en compagnie de ses amis Geoffrey Hastings et John Collie. Premières de la Dent du Requin, du col des Courtes et de la face Sud-Ouest de l’Aiguille du Plan sont alors accrochés à leur palmarès “sans-guide”.

L’ambition de Mummery, en montagne, ne connaît que peu de limites. À l’instar de son prédécesseur Edward Whymper. En 1895, il part s’attaquer au Nanga Parbat, dans la première tentative connue d’assaut d’un sommet de plus de 8000 mètres. Une expédition légère : Hastings, Collie et deux porteurs Gurkhas, dans la pure tradition des britanniques de l’ère victorienne, avides d’exploration et de grands voyages.

Paul Preuss, le précurseur du solo

Paul Preuss nait en Autriche en 1886. Rapidement attiré par la montagne, il grimpe souvent en solitaire, collectionnant en quelques années un nombre impressionnant d’ascensions dans les Alpes orientales, notamment sur la roche des Dolomites. Sa philosophie de grimpe est particulière, et ne manque pas surprendre, à l’époque.

Pour lui, les pitons et mousquetons ne doivent, même dans le seul but d’assurer sa sécurité, être utilisés que dans les cas d’urgence. Même la corde n’a que peu de grâce à ses yeux. Il entreprend donc régulièrement des ascensions en solo intégral, sans corde ni autre moyen d’assurance, précurseur de ce style qui fait encore débat aujourd’hui.

Une vision stricte qui ne l’empêche pas de s’illustrer dans les parois les plus difficiles de son époque, comme la face est du Campanile Basso, gravi de cette manière, en 1911. Et pour bien souligner sa déclaration de style, il désescalade l’intégralité de la voie, renonçant à la facilité du rappel !

Paul Preuss et Alfred Mummery, destins croisés

Alfred Mummery trouve la mort le 24 août 1895, en reconnaissance sur les flancs du Nanga Parbat et probablement emporté dans une avalanche. Paul Preuss meurt, lui, le 3 octobre 1913, après une chute de 300 mètres depuis la paroi nord du Mandlkogel. Un sommet des Alpes autrichiennes qu’il tentait de gravir en solo intégral. Preuss et Mummery se sont peut-être tous deux tués dans l’excès de leur imagination. À l’avant-garde d’un engagement et d’une vision de la montagne très en avance sur leur temps. Mais qui a marqué durablement l’histoire de l’alpinisme et ainsi inspiré plusieurs générations de grimpeurs.

Journaliste indépendant et créateur de la chaîne Youtube Style Alpin, dédiée à l’histoire de l’alpinisme, Guillaume Gunémas est passionné par l’histoire des sports outdoor. “J’aime rendre la lumière aux récits parfois oubliés et aux grandes heures de la conquête des cimes !”

Retrouvez les précédents articles de la rubrique Généalogies du vide #1 et #2