Quand Simond fait sa révolution
Forte de son rachat par Wichard en 2004 puis par Decathlon en 2008, l’entreprise Simond n’en finit pas de surprendre. Depuis 2020, elle a investi un nouveau camp de base à l’entrée de Chamonix. Un bâtiment de 3800m2 qui héberge tous les espaces nécessaires à son développement. La Fabrique verticale est entrée dans le Saint des Saints, là où sont fabriqués et conçus tous les équipements métalliques. Et développés tous les autres EPI et produits de la marque.
Bruno Legras affiche un large sourire. Il faut dire que le tout nouveau dirigeant de la marque Simond a de quoi être fier. Il nous accueille dans une usine flambant neuve de près de 4000 m2. Un vaisseau de verre et d’acier, dont seule émerge – telle une vigie – une tour de chute. C’est là que sont testés tous les prototypes et produits finis afin de garantir une sécurité optimale pour les pratiques sur corde. Car le site abrite aussi le Safety Stitching, pôle de compétence sur les EPI textiles (corde, harnais, longes, dégaines).
Ce nouveau site, installé à l’aplomb de l’Aiguille du midi, a nécessité un investissement évalué à plusieurs millions d’euros. Mais le jeu en vaut la chandelle. L’entreprise 4.0 allie architecture moderne et espaces de travail tertiaires et industriels pionniers. Pour les équipes, elle offre des vues imprenables sur le Massif. Elle intensifie aussi les échanges avec la communauté montagne. Puisqu’elle intègre des espaces de coworking et accueille des start-up locales : Altai, Fatmap et Mountainpath.
Un nouveau camp de base pour Simond
Stratégiquement situé à l’entrée de Chamonix, dans le rond-point qui mène au tunnel du Mont-Blanc, ce “bâtiment trapu” – dixit Bruno Legras – a tout pour résister aux avalanches. Et aux contraintes du marché, a-t-on envie d’ajouter. Du reste, le cabinet d’architecture qui a œuvré sur le projet, Patriarche, a relevé de nombreux défis techniques et climatiques pour qu’il s’intègre parfaitement au paysage alpin qui le domine.
Autre challenge et non des moindres : réunir en un même centre névralgique tous les services indispensables à l’ascension de Simond. Depuis le design, l’ingénierie, l’innovation, jusqu’au prototypage, laboratoire d’essai et production métal, en passant par le showroom, le magasin d’usine et la plateforme logistique… De quoi faire perdurer un savoir-faire qui remonte tout de même au XIXème siècle.
Simond, un acteur de l’histoire
Clairement tourné vers l’avenir avec ce nouveau camp de base à Chamonix, Simond n’en oublie pas pour autant son héritage et les générations d’artisans qui se sont succédées en son sein. Des forgerons, d’abord fabricants de cloches, sonnettes et sonnailles, mais surtout passionnés de montagne, des cristalliers, qui ont inventé, développé et produit les premiers outils pour explorer le massif du Mont-Blanc.
Un musée à l’entrée du bâtiment leur est d’ailleurs dédié, qui témoigne de l’ancrage historique de la marque chamoniarde. Il souligne toutes les étapes franchies depuis le 1er piolet forgé par Adolphe Simond en 1871. Plus de 300 objets y sont réunis, dont le fameux pull de Rebuffat ou les chaussures de Lachenal après l’ascension de l’Annapurna, un patrimoine unique qui retrace l’histoire de l’alpinisme à travers celle de la marque. Fabuleux !
Exit le COVID
Ce tout nouvel outil de production, qui aurait dû être inauguré en 2020 si une fameuse pandémie n’était pas passée par là, accueille aujourd’hui 60 collaborateurs. Contre 25 salariés dans l’ancienne usine des Houches. 50% d’hommes, 50 % de femmes, la parité parfaite ! Pour l’essentiel, ce sont des vrais pratiquants, des passionnés, avec souvent une double casquette : moniteur de ski ou d’escalade, guide ou aspirant guide en plus de leur formation initiale d’ingénieur, concepteur, commercial, designer ou opérateur.
Depuis son rapprochement avec Decathlon, les univers se sont élargis et l’entreprise conçoit des produits pour toutes les pratiques verticales. C’est-à-dire aussi bien pour l’escalade que pour l’alpinisme, la cascade de glace, la via ferrata, le canyoning ou la slackline… Avec plus de 400 références produit à la clef : les classiques casques, chaussons d’escalade, cordes, sacs à dos, piolets, crampons, mousquetons, assureurs, etc. Mais parfois aussi des produits de niche, comme la perche télescopique Easyclip, que nous avons testée récemment. Autant dire que les cerveaux turbinent !
Une philosophie, s’adapter aux défis de chacun
Ça tombe bien, le nouveau plateau dédié à la création, la conception et le design permet de developper les produits selon une philosophie chère à la marque. C’est-à-dire en partant des besoins des pratiquants. Et surtout s’adaptant aux défis de chacun. Ainsi, pour ne prendre que l’exemple du chausson Vertika qui sort cette saison, le premier chausson avec témoin d’usure pour signaler au pratiquant quand il doit faire ressemeler ses chaussons, plus de 20 prototypes ont été nécessaires. Tout un travail sur la morphologie a été mené, avec des milliers de scans de pieds, pour s’adapter le mieux possible.
Comme l’explique Jean-Charles Laügt, chef de produit escalade chez Simond, l’entrée dans les nouveaux locaux a permis de réelles avancées en terme de conception et a nourri la créativité des équipes. “Nous sommes maintenant en capacité de prototyper un chausson en un seul après-midi”. C’est un gain de temps considérable. Le potentiel d’innovation est totalement maximisé. Et cela permet aussi de se challenger en termes de faisabilité et de réduction des coûts.
Cette approche autorise aussi le lancement immédiat et simultané de la phase des tests, pour faire remonter au plus vite les ressentis des utilisateurs. Il faut garder en tête qu’à chaque itération, c’est-à-dire à chaque nouveau prototype de chausson, un test terrain est effectué par un panel de 15 à 20 grimpeurs par pointure. Ce qui permet d’avoir un modèle parfaitement adapté à la morphologie du pied de chacun. On n’en a pas toujours conscience mais de l’idée de départ jusqu’au chausson abouti, il s’écoule quasiment 3 ans.
Le développement durable au cœur des préoccupations
Simond s’engageant de plus en plus à concevoir, produire et inciter à consommer responsable – par exemple en mettant en place un service de ressemelage -, le passage par la modernisation de l’outil de fabrication s’imposait. Car il fallait accroître la part de production locale. Ainsi, fin 2020, on estime à 70 % des produits Simond qui sont à la fois fabriqués et vendus en Europe. Les piolets, crampons et mousquetons sont historiquement faits à Chamonix. Les cordes à Lille, dans l’usine de Cousin Trestec. Les chaussons en Roumanie, après avoir été imaginés à Chamonix.
Par ailleurs, l’optimisation des process de fabrication a aussi un impact non négligeable sur l’environnement. C’est ce que nous a expliqué Claire Cipriani, au département design de la marque. “Comme on n’a qu’UN produit qui répond à UN usage, nous avons une reflexion poussée sur la cible et une exigence qui nous conduit à faire en sorte que nos produits durent dans le temps”. Une démarche qui oblige à faire des compromis en termes de design, de réduire le colorama par exemple. “C’est un peu l’objectif, de faire moins, mais mieux”.
Cela passe ainsi par l’optimisation des patronages en vue d’économiser les chutes et les pertes de matière, dans une logique de “minimal waste”. Mais aussi par l’utilisation de matières issues de sources plus durables (polyester recyclé, coton biologique). Ou encore par l’intégration de process moins impactants. Par exemple la teinture dans la masse “Dope Dye”. Là encore un choix qui impose de renoncer à certains coloris, au profit d’une réduction de 36 % en terme d’impact écologique.
Le camp de base Simond reste en France
Quand nous avons plongé dans la partie production de l’usine chamoniarde – chaussures de sécurité aux pieds, ça va de soi – nous avons été bluffés par le changement d’échelle. En particulier par rapport à l’ancienne usine des Houches que nous avions visité en 2016. Simond a accru sa capacité de production de manière considérable. Certaines opérations répétitives ont été automatisées. Mais la dimension humaine perdure, avec une attention toute particulière portée au contrôle qualité et à l’assemblage.
Pour Simond, garder la fabrication des mousquetons et de toute la partie métal en France, c’était faire le choix de pérenniser son savoir-faire. La volonté était aussi de maintenir les emplois en France, en renforçant son implantation dans la Vallée de Chamonix. Car l’usine abrite certes des machines issues de la forge traditionnelle, déjà présentes aux Houches. Mais aussi de nouvelles machines d’usinage high tech, pourvues de fascinants bras robotisés à l’efficacité redoutable.
Ainsi, le déménagement a permis la modernisation des machines. Plus l’automatisation poussée des moyens de fabrication, contribuant à un gain de temps et à une amélioration de la production de 30 %. L’idée ? Mieux répondre à une demande en pleine croissance, avec l’essor de l’escalade. Pour mémoire, à l’époque où nous avions visité le site des Houches, 1000 mousquetons étaient produits chaque jour. Aujourd’hui, Simond en est à 1500.
Intéressant au moment où on reproche (à juste titre ? le manque de créativité française. Je pense à l’Italie qui a su garder ses petites entreprises souvent à vocation familiale, généralement concentrées dans un lieu géographique, les « districts ». Ces exploitations produisent un produit dans son intégralité ou chaque structure réalise une partie du produit, la proximité permettant d’assembler facilement le produit. Le Veneto et le Trentino/Alto-adige, excellent dans ce domaine. La Sportiva, Scarpa, Villers Triestina, Olympia, etc. fabriquent pour le monde entier du matériel d’escalade ou des vélos. C’est « le miracle vénitien » qui a permis à cette région autrefois très pauvre de pouvoir rivaliser avec la Lombardie et ses industries lourdes. Ainsi les lunettes Armani ou Ray-ban (et bien d’autres marques) que nous portons quotidiennement sont fabriquées dans la province de Belluno. Belle journée à vous, gare aux orages !