Vers une reouverture des salles : quelles sont les problématiques ?
Au même titre que les bars, les restaurants, les cinémas, les théâtres, les grands musées ou encore les clubs de fitness, les salles d’escalade restent – pour l’heure – fermées au public. Et on a peu de visibilité sur la suite même si les voyants semblent repasser au vert… Va-t-on vers une reouverture prochaine des salles d’escalade en France ? Est-ce souhaitable ? Sous quelles conditions ? La Fabrique verticale fait le point.
En Suisse et en Allemagne, les salles d’escalade ont commencé à rouvrir. Mais il faut garder en tête que, chez eux, la situation sanitaire n’a jamais été aussi critique qu’en France. Ce qui explique sans doute une reouverture des salles plus précoce. Néanmoins, celle-ci reste soumise à des conditions d’accès très strictes imposées par les autorités.
En fait, la priorité reste, en toute logique, de protéger le public. La relance économique de la branche passe, semble-t-il, au second plan. D’ailleurs, devant la complexité des mesures à mettre en place et les implications en termes de rentabilité que la nécessité de limiter la fréquentation génère, plusieurs salles ont fait – par conséquent – le choix de ne pas rouvrir immédiatement après la levée des interdictions.
Reouverture des salles : qu’en est-il en Italie ?
Chez nos voisins italiens, qui – eux – ont été très lourdement impactés par la Covid-19, la réouverture des salles est en marche depuis le 25 mai. Mais là encore sous conditions strictes (prise de température et masques obligatoires en particulier, même pour grimper), avec des disparités selon les régions et sous réserve que le virus ne se réactive pas…
Pourtant, en dépit des mesures prises qui semblent plutôt de nature à rassurer, cela ne va pas sans susciter des interrogations dans le milieu de l’escalade transalpin… « Car le risque est d’ouvrir pour un mois, et ensuite de devoir tout refermer pour 6 mois », craint Angelo Seneci (organisateur du Rock Master Festival d’Arco et patron de l’entreprise de murs et de prises d’escalade Sintroc).
En France, quand concrètement ?
En France, les gestionnaires de salles et les patrons de réseaux ont peu de visibilité pour l’instant quant à une date potentielle de reouverture . Le 02 juin, comme ce qui est pressenti pour les bars et les restaurants ? Le 1er juillet ? À la rentrée de septembre ? C’est la grande inconnue. Les conditions d’une éventuelle réouverture restent elles aussi floues (nombre de personnes autorisées simultanément ? Reprise des cours collectifs ? Maintien ou non du chômage partiel en cas de report ?).
En terme de calendrier, en théorie, ce pourrait très bien être en même temps que les bars et les restaurants. Mais en fait, rien n’est moins sûr. Car le poids économique de ce type de structures (qu’on peut rapprocher des salles de fitness, de badminton ou de squash) n’est pas le même que celui de la restauration. Les enjeux financiers non plus, ni la taille des lobbies pouvant faire basculer la décision d’un côté ou de l’autre.
Ce qui est possible, c’est que les salles d’escalade commencent par rouvrir leurs espaces bars et restaurations dans un premier temps. Quand le gouvernement en aura fait l’annonce (ce qui ne saurait tarder). Et attendent de voir pour la suite. Sous réserve de plus que la jauge de public acceptée couvre les charges d’exploitation. Et bien sûr que cette reouverture ne leur fasse pas perdre leur droit à bénéficier des aides pour le reste de l’activité.
Quelles sont les problématiques qui vont se poser pour la reouverture des salles en France ?
En France, donc, difficile de savoir quand cette réouverture va être effective. Et si c’est souhaitable. D’une part, on n’a pas énormément de visibilité sur les premiers effets du déconfinement. Même si la crainte d’une 2e vague semble s’estomper (tout en continuant à diviser les épidémiologistes). D’autre part, cela va dépendre des annonces gouvernementales qui elles-mêmes détermineront la feuille de route des gestionnaires de salles pour la reouverture. Car concrètement, cela risque de poser de nombreux problèmes, qu’il faudra anticiper.
Tout d’abord, ils sont liés à la désinfection et à la gestion des flux de circulation dans les espaces communs (vestiaires, accès, bars, zones de matelas…) qui seront soumis à des réglementations gouvernementales qu’on ne connait pas encore. Quant à la gestion des prises et du matériel à disposition (dégaines, moulinettes, enrouleurs pour les salles de voie ; bacs à magnésie et brosses télescopiques pour les salles de blocs), chaque réseau réfléchit à ses propres protocoles.
Enfin, la question de la distanciation physique va être cruciale. Car les réseaux de salles français, et en particulier les salles de bloc, drainaient chaque jour, avant la Covid-19, des centaines voire des milliers de personnes. Et le maillage, tel qu’il est organisé actuellement, fait apparaître une forte densité de salles dans les grosses agglomérations. Lieux de tous les dangers. Notamment en région parisienne qui a été très impactée par le virus.
Les règles sanitaires qui ont été décidées pour la reprise de l’escalade en extérieur sont-elles transposables indoor, en cas de reouverture des salles ?
En théorie, oui. Le Ministère des Sports a donné ses grandes lignes pour la pratique de l’escalade en extérieur, dans un cadre bien défini, comme nous vous l’annoncions récemment. Quoiqu’on ait pu lire ici ou là sur les conditions de cette reprise, le cadre fixé par le gouvernement nous a paru plutôt censé. Notamment :
- Désinfection régulière des mains au gel hydroalcoolique (attention, la magnésie liquide ne se substitue en aucun cas à un gel hydroalcoolique en dépit de ce que l’on continue à lire ou à entendre)
- Respect de la distanciation physique entre les grimpeurs (1,5m au sol entre 2 grimpeurs, 5 m entre deux cordées)
- Limitation du nombre de pratiquants par secteur (10 au max)
- Port du masque en cas de regroupement au pied des voies ou des blocs
Quoi de plus logique ? En clair, on a commencé à lever le confinement. Pour autant, il ne faut pas oublier que le virus circule toujours. Ce n’est pas la fête à Neuneu. Même si pendant le week-end de l’Ascension, on a pu observer ici ou là une forme de relâchement. On peut (ou non) percevoir ces recommandations comme une restriction de nos libertés. Mais l’objectif est surtout de pratiquer intelligemment. Et d’opter pour une gestion du risque qui soit raisonnée. C’est ce qui permet d’éviter une réactivation de la Covid-19.
En cas de reouverture des salles, comment faire respecter les règles de distanciation physique ?
Tout d’abord, la première piste serait déjà de limiter le nombre de grimpeurs simultanément présents à la salle. Ce qui va forcément avoir des implications d’un point de vue économique. De plus, cela sous-entend, d’un point de vue organisationnel, de fonctionner sur réservations. Pour éviter que tous les grimpeurs munis d’un abonnement se présentent en même temps à la salle. Et soient refoulés une fois le nombre critique atteint.
Ensuite, la deuxième piste serait d’espacer les grimpeurs, une fois qu’ils seraient entrés à la salle. C’est ce que les Suisses ont mis en place. La consigne est de laisser toujours une ligne d’escalade libre (ligne de dégaines) entre chaque cordée. Et de maintenir une distance de 2 m avec les autres grimpeurs, sauf lors du partner check.
Enfin, pour l’escalade de bloc, en Suisse toujours, il faut prendre garde à ce que pas plus de 5 personnes ne se trouvent simultanément dans la même zone délimitée au sol. Pour les gestionnaires des salles, cela nécessite évidemment de délimiter ces zones sur les tapis. Et probablement d’avoir une densité moindre de blocs par secteur, là encore pour limiter – de fait – la concentration.
Quid de la désinfection des prises et des EPI ?
C’est sans doute là où les recommandations du Ministère, telles qu’elles sont sorties pour la pratique en extérieur des amateurs, risquent d’être compliquées à mettre en œuvre pour les gestionnaires de salles. S’il est relativement facile pour un grimpeur du dimanche de mettre sa corde en quarantaine 72h, comme le préconisent de nombreux fabricants, c’est difficilement envisageable pour une salle d’escalade…
Sans parler de l’autre solution proposée, laver sa corde à 65°C, la faire sécher à l’abri des UV, et la changer tous les 10 lavages… Car cela impliquerait des coûts prohibitifs ! Ce qui se dessine donc, quand on discute avec les patrons de salles, c’est de demander à la clientèle de se désinfecter les mains entre chaque voie et avant d’assurer son partenaire, au gel hydroalcoolique (et pas seulement à la magnésie liquide, dont l’alcool s’évapore immédiatement…).
Par ailleurs, la désinfection des prises et des dégaines ne sera probablement pas non plus à l’ordre du jour. C’est en tout cas le point de vue de la plupart des gestionnaires de salles avec lesquels La Fabrique verticale a pu échanger à ce sujet. En effet, concrètement, ce serait impossible à mettre en place. Car il faudrait le faire entre chaque passage de grimpeur, pour être vraiment cohérent…
Peut-on imaginer le recours à un « green pass » pour permettre l’accès aux salles ?
On sait que l’INSEP a rouvert ses portes à un petit nombre d’athlètes de haut-niveau, triés sur le volet, depuis le 18 mai. Et avec un protocole sanitaire très strict. En fait, ils sont moins d’une centaine, toutes disciplines confondues, contre 800 habituellement. Et tous négatifs au test PRC. Le sésame, pour retrouver les installations dans le cadre de la préparation olympique.
Une telle mesure serait-elle applicable dans des salles privées ? Est-elle même souhaitable ? En effet, la fiabilité des tests sérologiques semble démontrée (23 ont reçu leur homologation). Toutefois des incertitudes demeurent sur l’immunité développée par la population et sa durée. De plus, comment vérifier qu’un grimpeur testé négatif à un instant T, et donc autorisé à pratiquer à la salle, n’aura pas contracté pas le virus dans les heures qui ont suivi le test ?
On pourrait imaginer prendre la température des pratiquants, comme c’est préconisé en Italie et présenté dans le document mis en ligne par la FASI : « Le pratiquant pourra être soumis à la mesure de la température corporelle lors de l’accès à la salle. Si cette température est supérieure à 37,5 °, l’accès aux installations sportives ne sera pas autorisé. » Mais concrètement, cela pose aussi des problèmes d’organisation !
Rappeler juste que les mesures sanitaires servent aussi à protéger les travailleurs eux-mêmes (dans les salles d’escalade aussi) et pas seulement le public, et que leur santé doit être prioritaire y compris sur une relance économique avec toutes ses dérives possibles et bien connues.