Les cotations en escalade : science exacte ou vaste fumisterie ?
Les cotations… Éternel débat ! Sans revenir en détail sur les différentes échelles de cotations en vigueur à travers le monde, La Fabrique verticale vous propose quelques éléments de compréhension pour choisir en connaissance de cause la difficulté des voies où vous vous lancez. Car tout l’enjeu est là, opter pour des lignes qui correspondent à votre niveau et dans lesquelles vous trouverez plaisir et stimulation !
Les cotations en escalade servent à estimer la difficulté des passages, accessoirement à se comparer aux autres grimpeurs. En salle, elles sont indiquées au pied des voies par des petites étiquettes (ou figurées par des codes couleur, lorsqu’il s’agit de blocs). À l’extérieur, on les retrouve compilées dans les topos des sites, à côté des noms de voies.
Nous avons tous besoin des cotations, ne serait-ce que pour évaluer nos progrès à l’échelle du temps. C’est stimulant, cela constitue des repères ! Comme un chrono pour un sprinter. Attention cependant à ne pas faire une fixette sur les chiffres, car ça peut vite devenir sclérosant et faire perdre de vue l’essentiel… Attention aussi à envisager avec mesure les cotations annoncées, car bien souvent il s’agit plus d’estimations que de vérités absolues.
Comment sont fixées les cotations ?
Selon les disciplines (bloc, falaise, artif) et les pays (France, Etats-Unis, Australie, Grande-Bretagne, etc), il existe plusieurs échelles de cotation. Pour plus d’informations sur ces différents systèmes et sur la manière dont ils se sont mis en place, nous vous renvoyons à cet article, bien complet. Mais ce qu’il faut surtout retenir, en définitive, c’est que (quelle que soit l’échelle), la cotation est donnée par le premier répétiteur de la voie, parfois par l’équipeur. C’est donc, par définition, une donnée subjective.
On peut se tromper, de bonne foi, en établissant une cotation (comment faire encore la différence entre un 5b et un 5c, quand on fait du 8c ?). On peut aussi être tenté de surévaluer une voie (combien de 9a discount sont ainsi établis pour satisfaire les médias et les sponsors ? combien de 8a “faciles” rentrés sur les scorecards de 8a.nu ?). On peut aussi sciemment sous-évaluer une voie pour ne pas laisser aux répétiteurs la possibilité (voire la joie malsaine) de décoter.
Autre aspect intéressant, c’est que, contrairement à d’autres disciplines (le kayak par exemple), les échelles de cotation en escalade sont ouvertes vers le haut. Chaque nouvelle voie plus difficile se voit donc attribuer un chiffre et une lettre de plus en plus élevée (9a, 9b, 9b+…). Ce qui est propice à susciter l’emballement ! En kayak, quand une nouvelle difficulté apparaît, elle garde la cotation maximale (classe VI) et ce sont toutes les autres rivières d’un niveau inférieur qui sont décotées. On y réfléchit peut-être plus à deux fois avant de faire des effets d’annonce ?
Pourquoi les cotations en salle ne correspondent pas aux cotations en extérieur ?
Vous l’avez déjà sûrement expérimenté. Vous randonnez habituellement dans une cotation à la salle et surprise, lorsque vous décidez d’aller dehors, à cotation égale, vous vous retrouvez soudain en difficulté. Comment expliquer ce décalage ? Deux phénomènes sont à l’œuvre : d’une part, la plus grande complexité de l’escalade en extérieur et d’autre part la dimension parfois un peu démagogique des cotations en salle.
La complexité de l’escalade en extérieur s’explique aisément. La lecture est rendue plus difficile par l’absence de prises de couleur. Tout est potentiellement une prise. Il faut discriminer ce qui est réellement utilisable. Les prises de pied sont également plus petites, plus difficiles à charger et donc à utiliser. Les prises de main ressortent moins du support (à part pour les colonnettes et autres concrétions). Elles sont en creux, dans la masse, parfois cachées. Enfin, les points sont plus espacés, ce qui en théorie ne change rien à la cotation, mais en pratique, peut être très limitant !
Optez toujours pour un demi cran au-dessous de ce que vous essayez habituellement en salle lorsque vous arrivez dehors : donnez-vous le temps de vous adapter !
Les cotations en salle peuvent également avoir une dimension quelque peu démagogique ou à tout le moins commerciale. Ce qui explique que l’on est parfois surpris par la difficulté des cotations dès qu’on remet le nez dehors au printemps. Pour ne pas froisser la clientèle, il arrive en effet que les ouvreurs ou les gérants des salles décident d’adopter une échelle de cotations plutôt gentille. Les grimpeurs enchainent des cotations élevées pour eux, c’est bon pour l’égo ! Et si c’est bon pour l’égo, c’est bon pour le business, car un client content, c’est un client qui revient. CQFD.
Les cotations, un système à géométrie variable
Si vous êtes habitués à voyager ou à changer fréquemment de spots, vous avez dû remarquer également que les cotations sont plus ou moins faciles selon les zones géographiques. Là encore, il y a souvent une logique commerciale sous-jacente. Quand un équipeur tient aussi le gite tout proche de la falaise, il a tout intérêt à ce que les grimpeurs viennent (et surtout reviennent grimper) sur sa falaise. Là encore, des cotations souples et des croix faciles à faire, c’est la garantie d’avoir du passage !
A contrario, dans des zones historiquement à forte densité de grimpeurs, vous pouvez rencontrer des cotations qui vont vous sembler sévères. Cela s’explique par le grand nombre de passages et d’enchainements dans une voie, qui va avoir pour effet de galvauder la difficulté et donc de tasser un peu les cotations. Pas de panique ! Mais il vaut mieux le savoir avant, sinon, on peut prendre un coup au moral…
Du bon usage des cotations
On le voit bien, la cotation est loin d’être une science exacte. C’est juste une proposition de l’ouvreur (et des différents répétiteurs), qui par nature s’avère approximative. Elle ne doit pas être tenue pour parole d’évangile mais au contraire être interprétée, réfléchie, discutée. En comparant entre elles les voies que vous avez déjà faites, vous pourrez petit à petit construire votre propre système référentiel et prendre plus de recul par rapport aux cotations annoncées.
N’hésitez pas, si vous tenez un carnet de croix, à réévaluer à la hausse ou à la baisse, la cotation des voies que vous faites, en fonction des ressentis que vous avez. Selon votre morphologie et vos qualités propres, une voie pourra en effet vous sembler plus facile ou plus difficile que ce qu’annonce le topo. Notez la cotation annoncée par le topo, ainsi que la cotation perçue. Vous affinerez ainsi votre connaissance de l’activité et serez plus en phase avec le rocher !
D’une manière générale, lorsque vous lisez un topo et choisissez une voie ou un bloc à essayer, prenez un peu de recul par rapport à la cotation annoncée. Réfléchissez plus en termes de fourchette, pour avoir une idée globale de la difficulté, avec des nuances à apporter par la suite, lorsque vous aurez enchainé la voie. Essayez aussi de grimper à l’aventure, sans regarder le topo, en vous affranchissant des cotations et en vous faisant votre propre avis. C’est très formateur car ça demande à évaluer du bas la difficulté potentielle de la ligne et à s’y adapter en grimpant !
Et au passage, vous verrez (en vérifiant par la suite dans le topo) que vous ferez ainsi parfois des croix inattendues ! Jolie surprise 😉 Comme quoi, la cotation peut avoir aussi un effet inhibiteur dans la performance… C’est qu’il y a des barrières psychologiques difficiles à franchir ! Chaque cran (passage du 5sup au 6a, du 6c+ au 7a, du 7c+ au 8a, du 8c+ au 9a) demande à la fois de progresser physiquement et techniquement, mais aussi d’aller au-delà de nos limites inconscientes. Et ce n’est pas toujours le plus facile !
Alors, pour reprendre quelques maximes de notre ami Christophe Bichet : “Je me lance et je teste !”, “La cotation n’existe pas, alors je fais comme s’il n’y en avait pas !”
Crédit photo : Éric Chaxel
Pffff…. de toutes façons c’est morpho !!
Et c’est bien connu à Bleau : « Gilles cote raide » (https://bleau.info/avonest/18912.html : en hommage à un de nos ouvreurs préférés, Gilles Cottray).
;o)