Grimpeurs. Comment dealer avec les douleurs chroniques ?

Beaucoup de grimpeurs passionnés, au même titre que beaucoup de sportifs, doivent composer avec la douleur. Il y a plusieurs types de douleurs. Mais la douleur chronique, quoique souvent supportable peut sur le long terme gâcher tout le plaisir de la pratique et entraîner son arrêt définitif. Si les vieux grimpeurs sont concernés en premier chef, il ne faut surtout pas oublier que les jeunes, voire très jeunes, sont aussi confrontés à ce type de douleur.
Comment prévenir les douleurs ? Comment remédier aux douleurs chroniques ? L’escalade peut-elle jouer un rôle bénéfique à l’égard de la douleur ? Autant de questions que nous abordons dans cet article.
Il y a douleur et douleur
Quand on pense douleur, on l’associe inévitablement à la blessure. Ce n’est pourtant pas si simple et pour bien cerner ce mécanisme, il s’agit de bien distinguer les différentes formes de douleur.
Les douleurs liées à la pratique sportive elle-même.
Ce sont des douleurs qui apparaissent en cours de séance, et qu’on peut qualifier de « normales ». Elles concernent le plus souvent les muscles qui sont sollicités. Ce sont des sensations de brûlure, comme les grosses bouteilles que l’on ressent en haut des voies. Elles sont liées le plus souvent à des mécanismes de congestion et d’acidification des muscles, en lien avec l’effort. Plus rarement, les douleurs peuvent toucher des zones articulaires particulièrement mobilisées. Ceux qui font de la course à pied sur de longues distances n’ont sans doute pas de mal à visualiser certaines négociations qu’ils ont eu à mener avec leurs genoux.
Elles sont donc considérées comme « normales » dès lors qu’elles cessent, une fois que la pratique physique s’arrête. Et elles peuvent même être source de plaisir. Car elles sont à l’origine de stimuli dirigés vers le système nerveux central, plus précisément les zones du plaisir et provoquent la sécrétion de Béta-endorphines. Neuromédiateurs à action analgésique et euphorisante.
Les douleurs aigües, consécutives d’une blessure
Beaucoup moins euphorisantes sont les douleurs qui résultent d’un traumatisme touchant l’appareil locomoteur. Doigts, épaules, dos, genoux… Pour ce type de douleurs, la poursuite ou l’arrêt de l’escalade dépend évidemment de la gravité des lésions.

Les douleurs chroniques
Le plus souvent, Elles sont le résultat de modifications dégénératives au niveau des articulations (chondropathies, arthrose…). Avec comme causes premières une surcharge de l’appareil musculo-squelettique, de blessures chroniques comme des tendinopathies. Au-delà de la sphère sportive, les douleurs chroniques constituent un problème de santé publique.

La douleur chronique, un problème complexe
La douleur chronique est définie comme une douleur qui persiste pendant 12 semaines ou plus et qui, dans son intensité, transcende la simple gêne physique. Elle se manifeste de différentes manières : élancement persistant, sensation de coup de poignard ou douleur lancinante. Dans le monde, c’est sans doute la plus grande cause de handicap.
Cette douleur chronique est associée à un vieillissement plus rapide. En atteste un marqueur biologique situé au niveau des télomères. Chez les personnes souffrant de douleurs chroniques, il a été mis en évidence un raccourcissement des télomères, identique à celui observé lors de pathologies inflammatoires chroniques.
Causes et mécanismes
La douleur est le plus souvent causée par des médiateurs inflammatoires formés suite à une inflammation locale qui perdure. De fait, chez les sportifs, les origines de la douleur chronique sont multiples. Cela va des blessures de surmenage et des déséquilibres musculaires aux lésions nerveuses en passant par des conditions inflammatoires. Le stress répétitif sur certaines parties spécifiques du corps, des temps de récupération inadéquats sont en cause.
Ce qui complique, c’est que certaines douleurs demeurent mal expliquées par des « simples » lésions tissulaires. Il faut alors réfléchir en élargissant au contexte.
Enfin, le stress lié à un contexte de performance ou de compétition peut exacerber la situation, conduisant à un cycle de douleur et de blessure qui peut être difficile à briser. Par ailleurs, la détresse émotionnelle, l’anxiété, la pensée catastrophique et la peur liée à la douleur, ont été identifiés à des facteurs aggravants. Qui sont autant d’obstacles à une récupération durable et au retour à la pratique sportive.

Quel impact ?
La douleur chronique ne limite pas seulement la capacité à pratiquer assidument, à s’entraîner ou même à participer à des compétitions. Elle affecte également la santé mentale, la motivation générale ou la capacité à se concentrer. La frustration de ne pas être au meilleur de sa forme peut entraîner une baisse du bien-être mental, et même une perte d’identité, ce qui complique encore le processus de rétablissement.
Qui est concerné par les douleurs chroniques ?
À la lecture de ce qui précède, on perçoit d’emblée que les personnes âgées en général, les grimpeurs ou athlètes d’un certain âge sont les publics les plus exposés. De même, il semble que les femmes soient plus exposées.
Mais ce n’est tout !
Car les douleurs chroniques, d’origine musculo-squelettiques deviennent de plus en plus communes depuis une vingtaine d’année chez les jeunes athlètes, tous sports confondus.
Jeunes grimpeurs et douleurs chroniques
Par exemple, une étude menée en 2013 par le docteur Schöffl et ses collaborateurs1 avait mis en évidence, que chez les jeunes grimpeurs fortement investis dans l’activité, près de 70 % des blessures étaient dues à une surcharge. Et parmi les différentes blessures, l’équipe de chercheurs pointaient plus particulièrement les fractures épiphysaires des doigts. Ces blessures étant la conséquence de traumatismes répétés, cela plaçait de fait les jeunes grimpeurs touchés dans la catégorie « blessure/douleur chronique ». Cette tendance a été confirmée par d’autres équipe, comme on peut le lire dans cet article. Pour ces sportifs, la douleur chronique n’est pas seulement un symptôme. Elle devient un formidable obstacle à la performance, affectant la force, l’agilité et l’endurance.

La prise en charge de la douleur chronique
Le traitement de la douleur chronique s’avère plutôt complexe. Car il doit intégrer plusieurs dimensions, biologique, psychologique et sociale. Et l’approche médicamenteuse doit être complétée par d’autres types de prise en charge.
L’activité physique : un allié contre la douleur
Dans le monde scientifique, il y a un certain consensus sur le fait que dire que la pratique physique a des effets positifs directs (diminution des symptômes) ou indirects (amélioration de la qualité de vie) sur la douleur chronique. Ces bienfaits sont assez bien résumés dans l’ouvrage collectif La douleur en mouvement, dirigé par Pierre Beaulieu et paru aux PUM en 2013.
La pratique sportive joue aussi un rôle primordial, de par son impact sur l’estime de soi, comme l’ont montré Hsu et ses collaborateurs dans une étude de 20212, menée sur de jeunes athlètes. Le fait de rester engagé dans son sport est associé à une diminution de la détresse liée à la douleur et même à une amélioration fonctionnelle, par comparaison à ce qui se produit chez les personnes cessant de faire du sport.

Adaptation de la pratique
Il va sans dire que les conditions de réalisation de l’exercice physique doivent s’adapter aux contraintes imposées par la douleur. La réduction du volume de pratique et de son intensité sont les deux facteurs systématiquement mis en avant. Auxquels s’ajoutent des stratégies proactives à visées préventives :
- Respect des exercices d’échauffement et intégration de pratiques de récupération, dont la portée prophylactique a été mainte fois démontrée
- Entretien de la mobilité articulaire et de la souplesse
- Pratique du renforcement musculaire à des fins prophylactiques (et non pas seulement de développement) : travail des muscles antagonistes
Méthodes d’entraînement alternatives
En 1966 au Japon, Y Sato expérimente le renforcement musculaire sous compression. Il constate que cette modalité d’entraînement, dans des conditions d’ischémie musculaire, quoiqu’étant effectuée à basse intensité, conduisait néanmoins à une hypertrophie. La méthode Kaatsu était née, avec alors comme vocation d’optimiser la rééducation des sportifs suite à une immobilisation. Assez logiquement, depuis environ 30 ans, les disciplines de force explorent les possibilités de cette forme entraînement sous ischémie. Et on note un regain d’intérêt ces dernières années.
Pourquoi l’évoquer ici ? Et bien parce que, comme l’expliquent Fukuda et ses collaborateurs dans leur revue de littérature publiée en 20243, l’entraînement par Kaatsu augmente la force et la masse musculaire, même avec des charges légères. Mais aussi – et surtout – soulage la douleur et recule les seuils de douleur, grâce à l’hypoalgésie induite par l’exercice. Ainsi, chez des patients souffrant de douleurs chroniques on peut tout à fait envisager des interventions selon cette modalité, pas seulement sur du court terme mais pourquoi pas sur des périodes prolongées. Cette possibilité fait l’objets d’études actuellement.

Et l’escalade dans tout ça ?
L’escalade, un bon sport pour traiter les douleurs
Les lombalgies constituent la majeure partie des douleurs chroniques relevées dans la population générale. La sédentarité, et les conditions travail sont les premiers facteurs explicatifs. Étant donné la popularité croissante de l’escalade et sans doute parce que c’est une activité où le pratiquant est en partie « suspendu » à ses bras, certaines études se sont attachées à évaluer l’intérêt de l’escalade sur des patients souffrant de lombalgies chroniques.
Et le résultat s’est avéré globalement positif, si on fait référence à l’étude de Martina Schinhan et de ses collaborateurs, publiée en 2016 dans la revue Clinical Journal of Sport Medicine 4. Par comparaison à une population contrôle, les patients ayant pratiqué l’escalade sur une période de 8 semaines, réalisant 10 séances, ont montré une évolution significative de leurs symptômes : réduction de l’indice d’invalidité, augmentation de la mobilité, et réduction de la taille et de la protrusion des disques vertébraux.
Ces résultats ont naturellement conduit les chercheurs à conclure que l’escalade pouvait être une option thérapeutique efficace, et moins coûteuse que des traitements médicamenteux pour les personnes souffrant de lombalgie. A fortiori parce que cette pratique, plutôt excitante, était susceptible de conduire à une meilleure adhésion des patients par comparaison à des thérapies « traditionnelles ».

L’escalade. Oui mais…
Tout n’est pas si simple. Car l’escalade pratiquée à haute dose impose des charges au système musculo-squelettique et au rachis qui ne sont pas sans conséquences. En premier lieu les chutes répétées sur la corde (quand mal dynamisées) et surtout sur les tapis pour les bloqueurs. Mais aussi des postures non physiologiques et une très forte activation des muscles spinaux lombaires et du carré des lombes qui peuvent entraîner des contraintes en rotation et compression des disques intervertébraux.
Sans parler bien-sûr des aspects posturaux, en particulier de l’augmentation de la cyphose thoracique que l’on peut – trop – souvent observer et qui détermine des répartitions inégales des forces dans cette région. Ainsi, l’étude menée sur des jeunes (U16 – U20) compétiteurs italiens par Attilio Carraro et ses collaborateurs, et parue fin 20235, révèle que sur les 180 athlètes observés, 74,4 % de ceux-ci (filles et garçons confondus) mentionnaient des douleurs lombaires qui, quoique modérées (plus gênantes chez les U20), étaient bien installées. Ces résultats sont très légèrement inférieurs de ceux obtenus chez d’autres catégories de sportifs, gymnastes ou skieurs. Et conduisent les auteurs à conclure que certaines capacités physiques mobilisées spécifiquement en escalade, comme la mobilité, la coordination, pourraient avoir un rôle protecteur.
Pour conclure
De tout ce qui précède, il ressort clairement que la pratique sportive, peut être un moyen efficace de lutte contre les douleurs chroniques. À certaines conditions toutefois. Les activités à dominante aérobie, d’intensité modérée, paraissent plus indiquées. Il en va de même pour l’escalade, dans une dimension « loisir ».
Pour ce qui est des grimpeurs investis profondément dans la pratique, c’est un peu différent. La compétition avec son évolution vers les mouvements très dynamiques et retors sur le plan physique n’est pas la seule en cause. Les falaisistes sont aussi soumis à des contraintes très fortes.
L’enjeu est dans ce cas d’adopter des stratégies préventives et/ou réparatrices. Le renforcement des groupes musculaires assurant le contrôle et le soutien des deux ceintures (pelvienne et scapulaire), l’amélioration de la mobilité et les pratiques d’auto-grandissement font partie de l’arsenal ! Et pour les plus âgés, la poursuite d’une pratique régulière, même dans des difficultés – apparemment – très modestes, apparaît toujours comme la solution la meilleure !
Références
1 Schöffl, V., Burtscher, E., & Coscia, F. (2013). Injuries and medical incidences during the IFSC 2012 Climbing World Cup Series. Med Sport, 17(4), 168-170. DOI: 10.5604/17342260.1081272
2 Hsu, C., Loecher, N., Park A.L., Simons, L.E. (2021). Chronic Pain in Young Athletes.
The Impact of Athletic Identity on Pain-related Distress and Functioning. The Clinical Journal of Pain 37(3), 219-225. DOI: 10.1097/AJP.0000000000000917
3 Fukuda T., Ishizaka H., Sato Y., Toyoda S., Nakajima T. (2024). KAATSU Training and Pain Relief. International Journal of KAATSU Training Research 20(1), 1-9. DOI: 10.3806/ijktr.20.1
4 Schinhan M., Neubauer B., Pieber K., Gruber M., Kainberger F., Castellucci C., Olischar B., Maruna A., Windhager R., Sabeti-Aschraf M. (2016). Climbing Has a Positive Impact on Low Back Pain: A Prospective Randomized Controlled Trial. Clin J Sport Med 26(3):199-205. doi: 10.1097/JSM.0000000000000238.
5 Carraro A., Gilic B., Bertolo R., Albergoni A., Sarto F., Roklicer R., Sarto D. (2023). Lower back pain in young climbers: a retrospective cross-sectional study. Frontiers in Sports and Active Living. DOI 10.3389/fspor.2023.1328811