Instagram : l’escalade à l’heure des réseaux sociaux

escalade à l'heure d' instagram

Aujourd’hui passage obligé pour tout athlète sponsorisé, la communication sur Instagram et les réseaux sociaux a modifié durablement l’image des grimpeurs. Et indirectement, à travers eux, de l’activité. À l’heure où l’escalade se diversifie en une multitude d’approches, de lieux et de pratiques, de grands stéréotypes ont fait leur apparition, finalement bien éloignés de l’escalade telle que la vivent 99% des grimpeurs. Décryptage.

Comment les grimpeurs professionnels utilisent-ils Instagram et les réseaux sociaux ? Comment s’emparent-ils de ces nouveaux modes de communication, où la nécessaire mise en scène de soi et de ses performances n’échappe pas à une certaine forme d’hubris ? Quels usages sont-ils plus ou moins contraints d’en faire, sous la pression implicite des marques ? Quels sont les grands stéréotypes en usage et comment se déclinent-ils selon l’âge et le genre ?

Si ces questions interrogent les grimpeurs de longue date que nous sommes, la vision tronquée de l’activité qui se dégage d’Instagram intéresse aussi les chercheurs en anthropologie et en sociologie du sport. Et en particulier une équipe d’universitaires toulousaines constituée de Florence Bourneton, de Lucie Forte et de Valérie Bonnet. Dans un article intitulé “Du loisir à la professionnalisation : l’évolution du travail numérique des grimpeurs et grimpeuses de haut-niveau sur Instagram”, elles décryptent ces phénomènes.

Janja Garnbret climbing
La grimpeuse slovène Janja Garnbret mêle habilement la figure de la championne à celle de la star courtisée par les marques et les stylistes

Quels usages d’Instagram font les grimpeurs et grimpeuses pros ?

“Du loisir à la professionnalisation : l’évolution du travail numérique des grimpeurs et grimpeuses de haut-niveau sur Instagram” explore la façon dont les athlètes utilisent les réseaux sociaux et en particulier Instagram pour leur promotion. La Fabrique verticale l’a lu avec beaucoup d’intérêt. Et a souhaité approfondir le sujet avec une des chercheuses qui a mené ces travaux, Florence Bourneton.

Contexte de l’étude

L’escalade étant une discipline relativement récente avec peu de soutien financier public ou privé, les grimpeurs de haut-niveau doivent développer plusieurs compétences. Et en particulier s’inscrire dans une logique de “double performance” : à la fois sportive et médiatique. Dans ce contexte, Instagram est actuellement un outil essentiel pour construire leur identité numérique et valoriser leurs performances afin d’obtenir des bénéfices matériels, financiers ou symboliques.

Escalade et réseaux sociaux : méthodologie

Le projet Instagrimp a été financé par le LabEX SMS de l’Université de Toulouse. L’étude repose sur une approche qualitative, incluant une enquête ethnographique et 18 entretiens semi-directifs avec des grimpeurs âgés de 15 à 32 ans, représentant différents stades d’une carrière et différents statuts (de l’espoir à l’élite). Elle repose également sur une observation en ligne des comptes Instagram publics de 71 sportifs de haut-niveau.

L’objectif était de recueillir des informations sur leur activité de publication (fréquence, contenu) et l’évolution de cette dernière depuis la création de leur compte privé et/ou public. L’article met ainsi en lumière une évolution progressive des usages d’Instagram en fonction de l’âge et de l’expérience.

compte instagram jakob schubert
Comme la plupart des grimpeurs professionnels, Jakob Schubert a appris à maîtriser son image

Principales conclusions

Chez les plus jeunes (15-20 ans) : L’utilisation des réseaux sociaux est d’abord récréative et ludique. Les jeunes grimpeurs, souvent encore soutenus financièrement par leurs parents, publient de manière spontanée pour le plaisir ou pour partager des moments de leur vie sportive et de leurs résultats. L’objectif est principalement de se divertir et de communiquer. Leur utilisation est encore intuitive, sans stratégie de communication élaborée. À l’instar de tous les jeunes de leur âge, eux-aussi “digital natives”.

Chez les grimpeurs plus âgés (26-32 ans) : L’usage devient plus réfléchi, rationnel et stratégique. La publication sur la plateforme est vue comme un travail numérique nécessaire à la négociation de contrats de sponsoring et à l’obtention d’une rémunération. Leur valeur marchande est directement liée à leur capacité à performer médiatiquement, avec des indicateurs comme le nombre de “likes” et de “followers”. Ils peuvent y consacrer plusieurs heures par jour.

Lire l’article en intégralité

instagram escalade à l'heure des reseaux sociaux
L’escalade à l’heure des réseaux sociaux, c’est aussi l’outdoor, la vanlife et parfois aussi la chambre d’écho des préoccupations environnementales

Des tensions sociales observées par La Fabrique verticale

L’article révèle que l’intensification de l’activité numérique à des fins commerciales peut parfois être perçue de manière ambiguë au sein du milieu de l’escalade. Car cette marchandisation des performances est considérée comme dévalorisant les valeurs traditionnelles du sport. Par ailleurs, des grimpeurs qui obtiennent une visibilité numérique jugée disproportionnée par rapport à leur niveau sportif ne manquent pas d’être critiqués par leurs pairs.

On observe de plus en plus fréquemment un découplage entre niveau de performance et médiatisation. Instagram étant le lieu de l’auto-proclamation par excellence, le “faire-savoir” l’emporte sur le “savoir-faire”. Dit de façon plus triviale, certaines grimpeuses ou grimpeurs, certes bons pratiquants mais qu’on pourrait aisément qualifier de seconds voire de troisièmes couteaux, sont plus visibles que d’autres, dont les performances sont pourtant bien supérieures.

Il est vrai qu’aujourd’hui, les performances ne sont plus vraiment médiées par un travail journalistique. On est passé au DIY. Les athlètes postent eux-mêmes leurs photos ou leurs vidéos. Ce sont eux qui les légendent. Plus personne ne semble donc là pour hiérarchiser l’info. Car les médias d’actualité spécialisés se bornent justement le plus souvent à puiser à la source pour trouver de l’info. C’est-à-dire les comptes Instagram des dits grimpeurs. C’est le serpent qui se mord la queue. Et c’est bien connu, c’est dans la queue qu’est le venin, dans celle du scorpion en tout cas. In cauda venenum.

Quand les performances ne suivent pas, les grimpeuses à la plastique avantageuse ont toujours la possibilité de prendre le créneau influenceuse
Quand les performances ne suivent pas, les grimpeuses à la plastique avantageuse ont toujours la possibilité de prendre le créneau influenceuse

Les grands topoï de la communication sur Instagram

À notre sens, l’accélération induite par les réseaux sociaux mène petit à petit à une uniformisation et un appauvrissement de l’image de l’escalade. Tout semble se valoir, tout est mis sur le même plan et seuls surnagent ceux qui ont beaucoup de followers… De plus, chacun s’inspirant plus ou moins des autres pour formater ses posts, selon les codes communicationnels en vigueur, on n’échappe pas à l’émergence et à l’installation d’un certain nombre de stéréotypes. Ce qu’on pourrait appeler les grands topoï de la communication sur Instagram.

Citons pêle mêle de la blessure à la résilience, de la contre-performance au podium, du défrichage à la réalisation d’un projet… Ou encore le carnet de croix bien rempli d’un compétiteur faisant une razzia en extérieur, les réflexions écologiques du grimpeur à vélo, le post qui dénonce pour la énième fois l’anorexie, les états d’âme du fort grimpeur après sa carrière de haut-niveau, la vie quotidienne de la grimpeuse pro pendant sa grossesse ou en post partum… Mais bien souvent, il s’agit tout simplement, de la séance d’entrainement a muerte ou de la coordo qui va bien.

escalade de bloc sur instagram
Les posts classiques d’Instagram, de la coordo à la séance de kilter

Instagram au service de l’escalade ?

Dire que ces stéréotypes reflètent l’évolution de la pratique dans sa globalité semble quelque peu exagéré. Et la fabrique de l’identité relève parfois un peu du bricolage. Même si en avançant en âge, les grimpeurs montent en compétence. Telle que la formatent les réseaux sociaux et indirectement les responsables marketing des marques qui rémunèrent les athlètes en fonction du nombre de likes et de followers, l’image qui s’en dégage manque singulièrement d’authenticité.

Et des problèmes de santé mentale en découlent inévitablement. Du burn out au complexe de l’imposteur, en passant par les bad buzz et les accusations d’achats de followers… Ainsi va la vie des grimpeurs professionnels qui n’échappent pas à une forme d’injonction à la norme. Comme tout bon influenceur qui se respecte 😉

Un accompagnement psychologique et une formation aux bons usages du numérique seraient sans doute nécessaires. Du reste, les entretiens issus de l’étude universitaire présentée révèlent unanimement la faiblesse des ressources offertes aux sportifs de haut-niveau par le mouvement sportif fédéral dans ce domaine… Les grimpeurs adoptant en définitive une approche intuitive, autodidacte, des normes de visibilité et de valorisation imposées par les plateformes numériques.

 

Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.