La gestion des attentes en escalade

escalade en falaise

Lorsque nous débutons une nouvelle collaboration avec une grimpeuse ou un grimpeur qui souhaite s’entraîner avec la Fabrique Verticale, nous faisons souvent le constat que les attentes de sa part sont énormes. Attentes vis-à-vis de nous bien sûr mais surtout attentes en escalade. Un lieu commun est de dire que les attentes sont un poison pour tout grimpeur (ou autre sportif) qui s’entraîne. Pourtant est-ce si simple que cela ? Et faut-il rejeter toute attente ? Penchons-nous donc sur les expectatives en escalade.

Les expectatives quésaco ?

Comment définir les attentes ? Pour résumer, on peut dire que ce sont toutes les pensées sur le résultat, la cotation, le classement que nous pensons DEVOIR atteindre. Ces pensées se forgent sur nos observations, comme par exemple ce que nous réussissons, là, aujourd’hui durant notre séance de bloc, ou le temps de suspension à notre réglette fétiche de 10 mm. Des facteurs concrets. Mais ces attentes prennent le plus souvent leurs racines dans nos rêves ou désirs les plus profonds, nos fantasmes. Autant d’espaces qui n’existent pas. Qui n’ont aucun lien avec ce qui constitue NOTRE réalité.

Comment naissent les attentes ?

Plusieurs facteurs contribuent à générer des attentes.

Le premier est en lien avec notre expérience. Quand on commence à grimper, qu’on commence à y consacrer du temps, on progresse alors rapidement. Le 5 est rapidement une cotation reléguée au rang de la médiocrité. Et on passe du 6a au 6b sans trop forcer. On se prend au jeu, et on commence s’investir, à introduire même un peu de préparation physique, pourquoi pas. On tient de mieux en mieux les prises et pourtant on a des difficultés à franchir le cap du 6c. Et plus on monte les premiers échelons rapidement, plus les attentes vont arriver précocement. Sauf que dès que notre courbe de progression commence à s’infléchir, il devient très difficile d’accepter que notre évolution réelle n’est pas celle que l’on fantasmait.

Et puis, dans ce processus, un élément pernicieux va intervenir. C’est l’entourage. C’est nos collègues qui nous voient devenir de plus en plus fort physiquement, réussir les blocs ou les voies plus rapidement qu’eux et qui, bienveillants qu’ils sont, vont s’attendre à ce que l’on perfe rapidement et projeter cela sur nous. Leurs attentes ne sont pas forcément les nôtres mais vont facilement le devenir. Elles deviennent alors poison.

« Les attentes des autres alimentent nos fantasmes et augmentent la pression »

Pourquoi les attentes sont un poison

Vous l’avez compris les expectatives englobent les pensées sur des performances physiques, sur des croix à faire. Mais elles vont aussi plus loin, et entraînent sur le chemin de la reconnaissance : décrocher un sponsor, être sélectionné dans une équipe, gagner des titres… Autant de pensées qui attirent vers un futur qui n’existe pas – encore – et qui ont l’inconvénient majeur de nous distraire de ce sur quoi on devrait se concentrer, ICI et MAINTENANT !

Sans parler bien-sûr de la pression qu’elles exercent sur nous et perturbent même notre escalade. Combien ne se sont jamais « regardé » grimper lors de leur voie d’échauffement, avant d’aller faire le run pour la croix ; et analysé le moindre signe, même le plus anecdotique, jusqu’à se mettre à grimper n’importe comment ?

Comment mieux contrôler nos attentes ?

Une première piste consiste à se construire des objectifs qui soient en phase avec NOTRE réalité.

Qu’on travaille (ou qu’on cherche du travail), qu’on soit étudiant, qu’on ait une vie de famille, on est conduit à partager notre temps d’escalade avec d’autres types d’occupations toutes aussi essentielles. En tout cas, à la différence de grimpeurs pros dont la seule tâche est de s’entraîner, nous devons composer et accepter que certains progrès mettent plus de temps à survenir. Adam Ondra lui-même a dû reconsidérer sa pratique et composer, depuis qu’il est devenu papa ! Ainsi, pour la majeure partie d’entre nous, c’est l’emploi du temps « civil » qui dicte l’emploi du temps « escalade ».

Une seconde piste est de prendre conscience de l’impact que peuvent avoir les réseaux sociaux sur nos aspirations. Puis de le réduire. De par leur nature, les réseaux sociaux renforcent notre tendance à nous observer et à scruter ce que font les autres. Difficile, en scrollant sur IG de ne pas être sensible à l’étalage de performances, parfois présentées d’une manière qui tend à occulter tout le travail sous-jacent et surtout les revers qui ont jalonné le parcours. Difficile de ne pas s’assimiler, s’enflammer et se sentir pousser des ailes. Il s’agit par conséquent de remettre ce que l’on voit en perspective : ce que nous « offrent » les réseaux sociaux, ce sont des « réalités » dont la forme est décidée par celles et ceux qui les publient.

Ne pas supprimer les attentes…

Contrôler nos attentes ne veut cependant pas dire qu’il faut les supprimer ! Car si on ne rêve plus, alors à quoi bon ? À quoi bon se prendre la tête avec l’entraînement ? À quoi bon optimiser son temps de pratique ? À quoi bon réfléchir aux moyens pour progresser ? On voit bien que c’est tout aussi contre-productif.

… Mais domestiquer nos rêves

Avoir des attentes, c’est en quelque sorte se mettre en tension mentale vis-à-vis d’une envie, d’un objectif. Et cela devient un moteur à partir du moment où on en accepte les limites. Ainsi la patience devient une vertu cardinale. Progresser exige un certain temps qui peut s’avérer plus long que celui qu’on souhaiterait. Et atteindre notre objectif prendra peut-être plus de temps que prévu. Croire en soi et en ce qu’on fait, jour après jour, séance après séance est un autre pilier. Dès lors qu’on s’engage sur le chemin de l’entraînement, que l’on s’y tient, il y aura un résultat.

« L’excellence n’est pas un acte, mais une habitude »

Aristote

Il faut certes s’attendre à des difficultés, des phases de stagnation, voire de régression. Mais chacun de ces événement, s’il est interprété comme étant une opportunité d’apprendre, deviendra positif. Par-dessus tout, c’est le processus et non pas le résultat qui doit être l’objet de notre attention au quotidien. Pour réaliser une performance en escalade, il faut avant tout BIEN grimper. Et ce BIEN grimper est le résultat de toute la concentration qu’on porte, lors de nos séances, à l’amélioration des différents paramètres constitutifs de la performance future, et seulement cela.

Accepter une part de chaos

Une de notre particularité en tant qu’êtres humains, est de nous projeter dans l’avenir. Il est naturel pour nous d’avoir des projets, d’anticiper et donc d’avoir des attentes. Il paraît évident que de grandes performances ne sont accessibles que par une préparation et un entraînement soigneusement planifiés. Pour autant, et en tant qu’entraîneurs nous y sommes confrontés en permanence, on a beau prévoir le plan le plus précis, il y a aura toujours un facteur qui suit son propre plan. C’est la vie ! Relativisons donc nos attentes !

 

 

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