Pour ou contre le tridoigt tendu ?
Très populaire, le tridoigt tendu est une préhension parfois utilisée de manière quasi systématique par les grimpeurs. C’est une position main ouverte, facilement reconnaissable, avec le petit doigt rétracté. L’utilisation des seuls index, majeur et annulaire, permet de tirer bien dans l’axe, sans basculer le poignet. Pour autant, développe-t-on autant de force qu’avec les 4 doigts ? Et est-ce potentiellement plus traumatisant ? Éléments de réponse.
Le tridoigt tendu est une préhension classique en escalade, tant en salle qu’en extérieur. Il arrive que certains grimpeurs saisissent la majeure partie des prises de cette manière. Généralement, ceux qui affectionnent le plus cette préhension en justifient l’automatisation par la longueur de leur petit doigt, qui serait jugée nettement inférieure à la moyenne. Qu’en est-il vraiment ?
En réalité, la longueur de l’auriculaire est considérée comme normale si son extrémité arrive juste à la hauteur de la jonction entre la phalangette et la phalangine de l’annulaire. Ce qui est le cas de beaucoup de grimpeurs qui grimpent pourtant principalement en tridoigt tendu. Alors, comment expliquer le recours quasi systématique à cette préhension ? Et est-ce potentiellement traumatisant ? Y a t il des avantages en termes de tenue de prise ?
Tridoigt tendu vs “tendu 4 doigts”
La première raison qui fait préférer le tridoigt tendu à la préhension dite “tendu 4 doigts” est tout simplement la commodité. En effet, le “tendu 4 doigts” demande à poser les doigts précisément sur la prise, en basculant très légèrement le poignet pour compenser le décalage entre la longueur du petit doigt et celle des autres doigts de la main. De ce fait, le coude, fléchi, s’écarte très légèrement. Au passage, on perd aussi un peu d’allonge.
De plus, pour optimiser la préhension, on est amené à plier le majeur et l’annulaire. Puisqu’ils sont naturellement plus longs. On se retrouve donc presque en semi arqué, tandis que l’index et le petit doigt restent tendus. Bref, c’est parfois perçu comme complexe à réaliser quand on arrive vite sur une prise. D’où une tendance générale à privilégier le tridoigt ou le semi-arqué.
Enfin, il existe un dernier cas de figure, où le grimpeur partait plein de bonnes intentions, décidé à placer méticuleusement les 4 doigts en tendu sur la prise. Mais, allez savoir pourquoi, le petit doigt a “sauté”, semblant visiblement vouloir suivre sa propre destinée 😉 N’hésitez à nous faire part de vos retours d’expérience !
Tridoigt tendu : une préhension à privilégier ou à exclure ?
La question mérite d’être posée. Car en toute logique, on devrait pouvoir développer plus de force en agissant avec 4 doigts qu’avec 3. C’est en tout cas ce que démontre la littérature scientifique. Une récente étude menée par des chercheurs suédois et publiée en 2024 dans International Journal of Sports Physiology and Performance (1) s’est intéressé à la fiabilité des tests de force des doigts en isométrie, dans 6 techniques de préhension courantes, pour l’évaluation de l’aptitude à l’escalade en bloc chez les hommes.
Ainsi, les chercheurs ont mesuré la force maximale unilatérale, en tridoigts, semi-arqué, arqué, plats à 35° et pinces de deux de largeur différente, cherchant à mettre en évidence l’indicateur de performance le plus pertinent. Au cours de l’étude, ils ont donc évalué la force développée sur chacune de ces préhensions et les ont comparé avec le niveau de performance en bloc chez deux groupes distincts (grimpeurs avancés et grimpeurs experts).
Sans surprise, la force développée en tridoigts est légèrement inférieure à celle développée en semi arqué. Et ce quelque soit le groupe. Les résultats de cette étude sont d’ailleurs comparables à ceux établis précédemment par les chercheurs Torr et al (2) et ou Balas et al. (3). Mais l’étude conclut aussi que les mesures en tridoigts et en semi-arqué restent les indicateurs les plus intéressants pour évaluer la force des fléchisseurs des doigts spécifique à l’escalade, les mesures sur les autres préhensions étant moins probantes.
Les Pour et les Contre du tridoigt tendu
On peut s’interroger, donc, sur le pourquoi du comment de l’utilisation du tridoigt tendu en escalade et son usage systématique par certains grimpeurs. Meilleure friction ? Probable. Meilleure ergonomie ? Sans doute, selon la forme de la prise et son inclaison. Moins de stress sur les poulies ? Ça reste à démontrer…
À vrai dire, l’intérêt principal du tridoigts tendu réside sans doute dans la possibilité offerte de garder le bras tendu et de se placer directement sous la prise, les doigts parfaitement dans l’axe, en jouant sur la friction plus que sur le serrage. Un peu comme on le fait sous un plat. Et qui dit moins de serrage dit aussi économie. Le tridoigts tendu pourrait donc permettre donc de réduire la fatigue locale au niveau des avant-bras.
En revanche, comme c’est une préhension qui joue sur la friction, elle est sans nul doute moins secure qu’une saisie en semi-arqué et a fortiori en arqué. Cela s’avère particulièrement vrai si la prise suivante est éloignée et qu’il s’agit de descendre le blocage en passant en triceps au-dessus de la prise…
Quid de la blessure ?
La préhension en tridoigt est aussi potentiellement traumatisante. Puisque seulement 3 doigts entrent en jeu, par rapport à une préhension en tendu 4 doigts ou en semi-arqué, où tous les doigts sont posés sur la prise. L’annulaire est plus sollicité. Surtout dans le cas de prises verticales ou obliques, où les doigts vont venir s’empiler sur l’annulaire. La prévalence des blessures de ce doigt est d’ailleurs plus importante lors de la préhension en tridoigts.
Comme ce doigt est aussi le plus fragile et le plus souvent impliqué dans les ruptures de poulie, il est donc important d’avoir conscience de la charge plus importante mise sur l’annulaire, si vous choisissez d’utiliser cette préhension. De plus, la rétractation du petit doigt dans la paume de la main peut aussi générer des blessures de type déchirure des muscles lombricaux, comme observées parfois avec les monodoigt. Voilà pour la traumatologie…
Bref, il ne s’agit pas de s’interdire la préhension en tridoigts. Mais plutôt de l’utiliser en conscience. Varier les types de préhension est d’une façon générale une bonne attitude à avoir. Tout d’abord du point de vue de la performance, pour permettre une meilleure adaptation à la forme des prises et une réduction de la fatigue. Mais aussi dans une logique prophylactique, de prévention des blessures.
Biblio
- Balas J, Mrskoč J, Panáčková M, Nick D. Sport-specific finger flexor strength assessment using electronic scales in sport climbers. Sports Technol. 2014;7:151–158
- Torr O, Randall T, Knowles R, Giles D, Atkins S. Reliability and validity of a method for the assessment of sport rock climbers’ isometric finger strength. J Strength Cond Res. 2022;36(8):2277–2282