Barefoot et escalade : nous faut-il tous grimper pieds nus, comme Charles Albert ?
La semaine dernière, Charles Albert a défrayé la chronique en réalisant barefoot le deuxième 9A bloc au monde, No Kapote Only, à Fontainebleau. Il est ainsi le deuxième grimpeur à réussir un bloc de cette difficulté, après Nalle Hukkataival en Finlande. Cette performance ahurissante interroge, surtout pieds nus. Alors, faut-il tous grimper barefoot, comme Charles Albert ? Éléments de réponse.
Pour tous ceux qui suivent l’actualité de l’escalade, Charles est loin d’être un inconnu. Sa particularité ? Et bien il grimpe le plus clair de son temps barefoot ! Certes, pour originale qu’elle soit, cette démarche n’est pas nouvelle. Car les images de patrick Edlinger évoluant pieds nus au dessus des gorges du Verdon font partie de notre mémoire collective. Et beaucoup ont déjà grimpé de la sorte.
Mais Charles a consacré cette pratique au rang d’art en réussissant moult blocs de Fontainebleau dans le 8ème degré, avec notamment l’Alchimiste, un passage mythique de la forêt ouvert par Marc Le Menestrel il y a près de 20 ans et seulement répété depuis par Nalle Hukkataival ou Alban Levier. Et bien sûr aussi, l’incroyable performance annoncée la semaine passée, No Kapote only, réalisée barefoot, comme d’hab’ pour Charles. Et tant d’autres passages…
Impossible de dire aujourd’hui si Charles fera des émules et si son mode de pratique impactera durablement l’escalade de demain. Toutefois, son exemple suggère un certain nombre de questions que nous souhaitons partager avec vous :
- Grimper barefoot, c’est-à-dire pieds nus, serait-il plus efficace qu’en mettant des chaussons ?
-
Est-il vraiment intéressant ou utile de grimper barefoot ?
Tour d’horizon de la tendance barefoot
Comme souvent, on trouve des éléments de réponses en observant ce qui nous entoure. Et ce qui se fait dans d’autres activités. En course à pied par exemple, le débat fait actuellement rage entre les tenants des classiques baskets, qui embarquent toujours plus d’innovations technologiques et les partisans des chaussures minimalistes, dont la mode a été lancée par Vibram et ses Five fingers il y a déjà 10 ans.
Les travaux de recherche menés jusque ici tendent à montrer que le rendement lors de la course barefoot n’est pas forcément meilleur que lorsqu’on utilise des chaussures classiques. Et pour ce qui est des risques de blessure, il n’a fait au final que se déplacer. Ainsi, l’attaque de la foulée en barefoot se faisant non plus sur le talon mais le tiers avant du pied, les métatarses se trouvent être beaucoup plus sollicités…
Les bienfaits de la course pieds nus (à petite dose) ne se contredisent cependant pas ! Courir pieds nus a en effet des effets très bénéfiques sur la proprioception et la stabilité de la cheville.
Barefoot et sport
On commence aussi à se rendre compte de ceci dans des activités comme le football américain ou le baseball. Car dans ces disciplines, les joueurs, dont les chevilles sont soumises à de fortes contraintes, ont depuis longtemps l’habitude de jouer en strappant celles-ci systématiquement. Or, une récente étude montre un effet pervers de cette pratique. En effet plus de 95% des joueurs pros souffrent d’un manque de mobilité de cette articulation. Avec comme conséquence directe des blessures plus fréquentes au niveau des genoux, hanches, voire épaules.
La forte contention des pieds et chevilles a pour effet de contrarier le fonctionnement des muscles de la région, alors même que leur rôle dans la proprioception consciente et inconsciente est primordiale.
On assiste donc à une remédiation générale, et les coachs organisent de plus en plus des échauffements pieds nus. Ces deniers retrouvent leur tonicité, sont plus stables ; les joueurs se blessent moins et sont même plus explosifs !
Le pied réflexe
En chinois, l’étymologie du mot pied nous apprend que cette partie du corps est celle par laquelle notre santé est sauvegardée. Pour les Chinois toujours, le pied est une partie spirituelle du corps. Ils ont donc développé depuis plus de 5000 ans une technique de massage de la voûte plantaire qui repose sur le principe des méridiens internes utilisés en médecine. La réflexologie est ainsi toujours utilisée, a minima pour apporter du relâchement au corps et diminuer les tensions liées au stress.
Et l’escalade dans tout ça ?
À la question de l’efficacité de l’escalade pieds nus, nous serions tentés de répondre : « ça dépend » ! Et ce même si l’exemple d’Albert atteste que l’on peut grimper à très haut niveau pieds nus. Cela dépend en premier lieu de la résistance à la douleur. Car là, point d’intercalaire entre pied et prise qui répartit la pression sur tous les orteils.
Cela dépend aussi des prises. Nous n’avons pas la chance, comme certains primates d’avoir un pouce préhenseur au pied. Mais il nous est tout de même possible de « saisir » certaines prises avec nos orteils. Et cela peut même rendre certains passages plus faciles.
Pour exemple, Loïc Fossard, célèbre grimpeur alsacien, avait-il lors de la première répétition de TNT en 1998 (8b+, Palatinat, Allemagne) déchaussé son pied gauche. Ceci qui lui avait permis de mieux exploiter une prise en tiroir dans le crux, en toit. Il avait ensuite proposé une décôte de la voie à 8b.
Barefoot et sensations
Dans les dévers de nos salles où l’on trouve plus de grosses prises que sur les falaises verticales, il est aussi parfois plus facile de grimper sans chaussons. En effet, on « sent » mieux les prises. On les « enrobe » plus facilement et dans les mouvements dynamiques, on les contrôle plus longtemps avant que les pieds ne les quittent.
N’oublions pas que les pieds et les chevilles sont au départ de tous les mouvements, surtout en escalade
Quant à la question de l’intérêt, nous répondrons sans hésiter : oui !
De même qu’il est intéressant de grimper de temps à autre en basket (avec des objectifs très variables il est vrai), le fait de grimper pieds nus apporte beaucoup dans l’éducation sensitive des pieds.
Comme évoqué dans le paragraphe précédent, le fait de saisir des prises va aussi stimuler la mobilité de la cheville. Elle pourra même faciliter chez les débutants l’accès à certains principes mécaniques qui dictent notre pratique, comme les oppositions de forces, ou l’importance des jambes dans la propulsion, ne serait-ce parce qu’ils sentiront mieux les prises et auront alors plus confiance.
Le barefoot en pratique
Sans basculer totalement dans une pratique exclusive, vous gagnerez sans nul doute en sensations et en plaisir à développer un peu de connivence avec vos pieds.
Avant de grimper
Réveillez vos sensations par un massage manuel. Triturez vous doucement les pieds. Et sollicitez-en toutes les régions des talons aux orteils en appuyant avec les pouces. Pour cela, il est possible aussi d’utiliser une balle de tennis ou une boule d’auto-massage. Faites-là naviguer doucement en dosant la pression, pour stimuler les récepteurs sensitifs au toucher fin (pression légère), puis grossier (pression plus forte).
À l’échauffement
Faire une première voie ou quelques blocs pieds nus est un excellent moyen de finir de chauffer les pieds. Et ainsi de délier les chevilles. Vous constaterez alors que quand la forme des prises le permet, vous utiliserez efficacement des parties du pied un peu inhabituelles comme les plantes. Et celles-ci sont très efficaces lorsqu’il s’agit s’enserrer des colonnes ou des boules !
De même, pour agir sur des réglettes, vous serez peut-être amené à mettre le pied de profil, afin de répartir l’appui sur toute la colonne du pouce (phalanges et tête du métacarpe)…
Voilà de quoi vous amuser un peu ! Et améliorer la pose des pieds, ce qui devrait être la priorité de tous les grimpeurs 😉
Ah, au fait, lors des championnats de France de bloc en 2016, Charles Albert a grimpé en chaussons ; mais avec un modèle No Edge ! CQFD 😉
Photos Olivier Broussouloux et Neil Hart pour les photos de Charles Albert
Ayant grimpé avec Charles à deux reprises, je me permets soupçon: facile d’être fluide quand on est « rando »…;)
Certes, mais je connais quelques specimen qui même quand ils sont « rando », sont loin d’être fluides 😉
Le volet psychologique et social/sociétal de la grimpe pieds nus est un sujet intéressant qui n’est que très peu abordé dans cet article, c’est dommage.
La grimpe pieds nus correspond à l’essence même de la pratique, sans aucun artifice technologique. Pourtant, en même temps qu’on est émerveillé par les prouesses de Charles Albert, on considère les grimpeurs pieds nus comme des marginaux, des babas cools, des illuminés… Sans parler de l’ostracisation dont sont victimes les grimpeurs pieds nus, notamment pour des questions d’hygiène, alors que ceux qui critiquent sont les premiers à marcher pieds nus en salle ou à garder leurs chaussons aux toilettes.
Il est à noter que les germes plantaires pathogènes trouvent justement leur origine dans la macération des pieds dans les chaussons.
Il est bon également de rappeler que les chaussons sont obligatoires en compétition.
Il reste donc encore du chemin à parcourir pour que la grimpe pieds nus dépasse le cap de la marginalité et de l’effet de mode, et que ceux qui souhaitent s’y adonner puissent le faire en toute liberté !
Merci JB pour ton commentaire. Malheureusement je n’ai pas trouvé d’articles dans la littérature scientifique sur les champs que tu évoques et je n’ai pas désiré partir sur une discussion de comptoir, sans arguments solides et étayés je veux dire 🙂
Après, mis à part dans les salles – et encore, dans celles que nous avons visité à Paris encore récemment, il y avait à chaque fois quelques grimpeurs pieds nus – je ne vois pas grande barrière à la liberté qu’ont ceux qui le désirent de grimper de cette manière. Mais tu as sans doute des exemples en tête ?
Merci en tout cas pour cet éclairage 🙂
Avec un paragraphe sur la réflexologie (pseudoscience) on n’est pourtant pas très loin de la discussion de comptoir.
https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9flexologie
Je ne dis pas que c’est une erreur d’en parler. Je pense juste que j’aurais moi aussi apprécié lire dans l’article ce que jibiji a mis dans son commentaire.
dans les répétiteurs de l’alchimiste vous pouvez compléter avec lucas ménégati qui a aussi fait la croix il y a quelques semaines 🙂
et j’oubliais jimmy webb qui proposait une décote il me semble.
Oui, à 8B. Mais ça casse le mythe, alors chuuuuttttt… 😉
C’est un seul et même bloc mais la précision est d’importance : Charles (pieds nus) est le seul à avoir fait le bloc en sortant vers la gauche à l’identique de l’ouverture originale avant la destruction des prises. Tous les autres sont sortis ‘tout droit’.
Certes, mais seul Jimmy a décoté…
Ben, moi j’ai essayé dans la salle du club, et il y a trois catégories de personnes : celles que cela indiffère, celles que cela gêne un peu mais qui n’osent pas le dire, et celles qui vous envoient ouvertement balader, avançant des argument hygiéniques pas du tout démontrés.
Il n’existe malheureusement pas de produit « seconde peau » (les five fingers sont déjà beaucoup trop épais) pour se rapprocher de la sensation du pied nu pour bloquer cet effet repoussoir.
On est clairement dans l’irrationnel, je ne pense pas que les pieds soient plus ‘sales’ que les mains dans une salle de grimpe…
Le comportement de certains grimpeurs et l’obligation de chaussons en compète démontre d’abord que c’est un sujet relativement tabou, et surtout que la grimpe perd son statut de sport nature à part pour une activité cadrée, codifiée et aseptisée pour population urbaine. La rançon du succès d’une certaine manière !
Population urbaine qui, pour une partie du moins, n’aspire même plus à aller grimper dehors, voire même (et forcément), considère parfois que l’escalade à l’extérieur (en école d’escalade aseptisée), est dangereuse ! Pour les arguments pseudo hygiéniques, je te rejoins totalement : on est dans le délire le plus complet ! Peut-être l’expression d’un trauma enfoui, lié au cauchemars du pédiluve 🙂
Que les pieds ne soient pas sales en soi est un fait, mais que l’homme urbain reste les pieds enfermés dans des chaussures la plupart de son temps, et que de ce fait génère une odeur dite « de pieds » est aussi un fait. Ce phénomène est d’autant plus vrai chez le grimpeur : je veux bien manger mes propres chaussons si je rencontre un jour un grimpeur avec des chaussons qui sentent bon !
Donc personnellement, je pars du principe que la plupart des gens n’ont pas les pieds bien aérés (moi y compris), et je préfère ne pas avoir à mettre mes mains sur des prises ou des pieds nus sont passés avant, afin d’éviter le transfert de l’odeur dite « de pieds » à mes mains…
Entièrement d’accord mais comme tout le monde pense avoir un univers microbien digne de Mr Propre ! Mon avis est donc que c’est une activité à proscrire en salle mais surement bénéfique en extérieur dans un p’tit coin ou l’on peut redécouvrir pleinement le primate qui sommeille en nous 😉
Intéressant l’article.
J’ai une question rien à voir mais quel est ce pantalon jaune que tu utilises ?
Merci ! Le Kalymnos pant de La Sportiva : http://www.lasportiva.com/it/climbing/climbing-apparel-woman/search-for-layer/long-pants/details/categories/256/products/kalymnos-pant-w/?tt_products%5BbackPID%5D=3144&cHash=b9971a017bbdbd868225f8a009beab51#.VvTacim-NJM
après lecture de cet article, j’avais pris la bonne habitude de m’échauffer pieds nus à Block Out où je vais souvent, mais un ouvreur m’a gentiment invité à ne plus le faire parce que c’est « sale » …alors que les ouvreurs passent le plus clair de leur temps en basket sur les tapis, qu’ils utilisent aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur….
Je suis débutante et souffrant d’engelures je commençais les séances nus pieds. Échauffée, je pouvais supporter les chaussons. Mais au fil des séances j’oubliais de mettre les chaussons. J’adore la sensation. C’est très instinctif. En falaise, ce que je préfère c’est commencé nus pieds et j’ai les chaussons accrochés au baudrier si besoin.
Et la transmission de champignons, de verrues, de mauvaises odeurs et autres joies hygiéniques… ? Le risque de blessures aux orteils est aussi un frein au barefoot.
Pourquoi ces aspects ne sont pas abordés dans cet article ?
Salut Raphaël
merci pour votre commentaire.
Évidemment les aspects que vous évoquez, relatifs à l’hygiène, sont pertinents !
Mais dans cet article, nous nous sommes intéressé à l’escalade pieds nus, du point de vue de la gestuelle et des performances.
Notons juste que dans les salles actuellement, la plupart du temps cette forme de pratique est proscrite, ce qui règle la question : chacun garde donc ses champignons, verrues… dans ses chaussons et accessoirement les dépose sur les tapis de réception, dans toutes les zones de circulation, dans les vestiaires lorsqu’il circule pieds nus, entre deux blocs 😉 Quant à l’hygiène des mains… vous connaissez sans doute les études qui ont été faites sur les cacahuètes que l’on trouve parfois en libre consommation (de moins en moins souvent j’en conviens), à disposition sur les zincs de bars…
Pour ce qui est de la traumatologie des orteils, c’est aussi un sujet très intéressant : le fait est que pour l’instant, nous manquons de recul pour traiter cette question, étant donné le peu de pratiquants 🙂
Bonne grimpe à vous
En Bohème, pays des tours de grès, l’éthique dite saxon impose l’assurance sur nœuds coincés, une distance minimum entre les points d’assurance métalliques, interdit la magnésie et demande de grimper pieds nus. Le plus connu des portes étendards de cette pratique de ce côté de l’Europe est le célèbre Bernd Arnold. Ainsi il existe des région où cette pratique fait partie totalement des sources et de l’histoire de l’escalade.
Pour les grimpeurs osant encore mettre les pieds à Bleau (attention c’est dangereux !!! :D) enchainer des circuits pieds nus est un réel plaisir ! Je me souviens avoir enchainé les 4 circuits jaunes de Beauvais (~150 blocs) comme ça et c’était une très bonne expérience 🙂
m’ouai … la grimpe pied nu en salle ça reste bien glauque pour ceux qui passent derrière, vive les champignons, les verrues plantaires et autre saloperies…