Douleurs au coude du grimpeur : le rôle de l’épaule

Et si votre épicondylite ou vos douleurs aux coudes ou aux épaules étaient en lien avec la dynamique de vos omoplates ? Parmi les conseils les plus poncés à l’usage des débutants en escalade, il y a le sempiternel : « grimpe bras tendus », « tends tes bras, Reste bien bas ! » (Spécial dédicace shakira).
Pour quiconque a un peu d’expérience, il va de soi que grimper à bras carrés en permanence n’est pas la façon la plus économique de se déplacer à la verticale. Pour autant, cette injonction : « tends tes bras », quoique recelant un fond de bon sens, peut ne pas être sans conséquences, à long terme, sur le bon fonctionnement de l’épaule et du bras lorsque nous grimpons. Et, de façon sournoise, pourvoyeuse de blessures, surtout si elle est appliquée au pied de la lettre ! Afin de mieux comprendre pourquoi, examinons les principes de fonctionnement de l’épaule !
L’épaule : une région très mobile… et instable !
Les raisons de la mobilité
L’épaule est une des régions les plus mobiles du corps. Et on comprend très vite pourquoi dès qu’on observe sa structure anatomique. La racine du bras tout d’abord est « écartée » de l’axe du corps, grâce notamment à la clavicule qui joue en quelque sorte le rôle d’étai. Cela donne plus de débattement au niveau de l’articulation. D’autre part, l’articulation entre le bras et l’omoplate se fait via une cavité très peu profonde. On est très loin de l’emboîtement du fémur dans le bassin !
L’omoplate enfin, qui est un os en suspension dans le dos, est aussi mobile. Elle « accompagne » les mouvements du bras et contribue à augmenter leur amplitude.Au final, cet ensemble qu’on appelle ceinture scapulaire (omoplate + clavicule), n’est rattaché au squelette axial que par une articulation (entre la clavicule et le sternum), dont la surface est inférieure à celle d’une pièce d’1 €. Et ne reste en position que grâce à la contribution de plusieurs muscles.
Contrôler l’instabilité
Cette grande mobilité a donc un prix : il faut que « l’appareillage » musculaire assure une certaine stabilité à ce complexe articulaire, tout en étant capable de produire des niveaux de force très élevés, pour tracter, bloquer, compresser… Ce qui se fait grâce à une fine synergie.
Schématiquement on peut distinguer trois grands groupes de muscles, entourant l’épaule :
- Des « gros » muscles tendus entre le tronc et le bras et qui permettent de mobiliser celui-ci : le biceps ou le triceps, le deltoïde, le grand dorsal…
- Des muscles, situés au plus près de l’articulation entre bras et omoplate, parfois peu volumineux, et dont la fonction est à la fois quantitative et qualitative. Ils participent à la mobilisation du bras en particulier dans les mouvements de rotation. Mais aussi (et surtout) contribuent à ce que le bon positionnement de la tête de l’humérus dans sa cavité soit assuré. Ces muscles, connus sous le nom de coiffe des rotateurs sont, le supra- et infra-épineux, le petit rond et le sous scapulaire. Vont intervenir aussi les chefs longs du biceps et du triceps, qui s’insèrent sur l’omoplate.
- Enfin, des muscles du thorax ou dos, tendus entre l’omoplate et le rachis (côtes, colonne vertébrale). Et qui ont pour fonction de mobiliser puis stabiliser l’omoplate lorsqu’un mouvement et un effort sont exercés par le bras. Ces muscles sont les rhomboïdes, le trapèze ou encore le grand dentelé.
Une indispensable synergie
Bref ! quand nous saisissons une prise pour tracter dessus, il est fondamental qu’une synergie efficace se mette à l’œuvre entre les muscles qui mobilisent le bras et ceux qui stabilisent l’omoplate. Car si celle-ci n’est pas bien positionnée et surtout fixée au moment où on tracte, alors c’est elle qui va monter, avant même que le corps ne bouge. En d’autres termes, lorsque nous grimpons, l’action des stabilisateurs de l’omoplate est essentielle. En fixant celle-ci, ils permettent aux muscles des bras de se contracter sur un point d’appui solide et donc d’être plus efficaces !
Quand cette synergie ne fonctionne pas, lorsque des grandes forces sont requises, l’épaule se positionne alors de façon non fonctionnelle. Ce qui entraîne davantage d’efforts au niveau du bras, et génère parfois des mouvements compensatoires au niveau du coude avec une sursollicitation des muscles du poignet… Avec comme conséquence des blessures potentielles, qui surviennent à la longue, au niveau de l’épaule, mais aussi du coude !
Le trapèze, un muscle clé !
Avec les rhomboïdes et le dentelé antérieur (serratus pour les intimes), le trapèze est un élément central du dispositif de contrôle de l’omoplate. Il a donc été très observé par les anatomo-physiologistes.
Par exemple, Balas et ses collaborateurs ont publié en 2017 une étude dont l’objet était de quantifier les différents niveaux de sollicitation du trapèze, chez les grimpeurs, en fonction des formes de corps. Les chercheurs se sont ainsi penchés sur les positions adoptées lors des délayages ou de certaines postures d’équilibre « type ».
Plus précisément, Balas1 et son équipe se sont attachés à mettre en évidence les différences de sollicitation des muscles stabilisateurs de l’épaule dans deux situations contrôlées.
- 1 position adoptée « naturellement » ou spontanément
- 1 position contrôlée et « corrigée ».
Dans celle-ci, il était demandé aux grimpeurs de « tirer » l’épaule en bas et en arrière, de manière à rapprocher l’omoplate de la colonne vertébrale, tout en la verticalisant.

Trapèze : activation requise !
Le résultat marquant de l’étude a été de mettre en évidence des différences significatives dans l’activation des muscles stabilisateurs de l’omoplate, lors d’efforts statiques, en fonction de la position de l’épaule.
Ainsi, lorsqu’il était demandé aux grimpeurs d’adopter une position « corrigée », les faisceaux moyens et inférieurs du trapèze, essentiels pour fixer l’omoplate, présentaient des niveaux de contraction supérieurs. Et ceci était le plus marquant pour des positions de blocage 1 bras à 90° ou de récupération en dévers (modalités b) et d) sur la figure).
Autrement dit, dans les positions prises spontanément par les grimpeurs, avec relâchement « total » de l’épaule, et bien l’omoplate n’était pas fixée et avait tendance à remonter. Pas de problème en soi direz-vous ! Sauf si pour sortir de cette position, et démarrer un mouvement, on ne « pense pas » à réactiver le trapèze avant de chercher à fléchir le bras, pour tracter ou jeter…
Sinon…
Car alors, l’omoplate n’étant pas fixée, on perd beaucoup en efficacité lorsqu’on actionne les muscles du bras (qui prennent alors appui sur un élément « glissant »). C’est la conséquence immédiate. Et sur la durée, si cette mauvaise coordination est automatisée, le risque est alors de voir apparaître des pathologies de l’épaule, en raison d’une mauvaise mécanique scapulaire. Et à distance, à cause d’une sur sollicitation des muscles du poignet et du coude, pour compenser l’atonie des fixateurs de l’omoplate, des inflammations au niveau du coude ou du biceps.
Lien coude-épaule
Cette hypothèse selon laquelle il peut y avoir un lien entre un déséquilibre au niveau de la ceinture scapulaire (mauvaise cinétique de l’omoplate et déséquilibre musculaire) et l’apparition d’une épicondylite n’est pas nouvelle. Bhatt2 et ses collaborateurs la vérifient en 2013 par exemple. Et plus récemment l’étude publiée en 2023 par Céline Bouissou3 et Stéphane Mandigout la confirme à nouveau.
La faiblesse des faisceaux moyens et inférieurs du trapèze, déjà évoquée plus haut, est en cause. Mais, pas seulement. C’est toute la mécanique fine de l’épaule et le bon fonctionnement des synergies musculaires4 qui conditionnent la bonne santé de cette région et du membre supérieur.
Comment agir ?
Avant même que des douleurs surviennent, il est possible d’adopter des comportements vertueux, allant de la simple prise de conscience au renforcement musculaire ciblé en passant bien sûr par l’amélioration de notre mobilité.
Des exercices à faire chez vous
Voici quelques exemples de mouvements que vous pouvez intégrer à votre routine d’échauffement, ou même réaliser lors de séances dédiées. Ils sont organisés en 3 chapitres complémentaires. Vidéo et explications à voir ICI.
Mieux ressentir les déplacements de l’omoplate en fonction des positions du bras.

Apprendre à mobiliser activement l’omoplate, en conscience

Améliorer la fixation de la ceinture scapulaire

… Et en grimpant
La phase d’échauffement est particulièrement propice pour automatiser les bonnes coordinations au niveau scapulaire.
En effet, lorsque vous grimpez dans des voies très faciles, et que l’effort n’est pas trop soutenu, il est plus facile de mettre de la conscience sur les positionnements du corps et les mouvements réalisées, en l’occurrence au niveau de la région scapulaire.
Ainsi, le jeu va consister à démarrer chaque mouvement de traction à partir d’une position correcte de l’omoplate. En pratique, vous allez engager systématiquement le trapèze en tirant d’abord l’épaule en arrière, avant même toute action de fermeture du bras.
Et lors des délayages, vous allez vous amuser à passer de positions complètement relâchées de l’épaule, en dislocation, à des positions « corrigées » avec les épaules tirées en arrière.
Tout cela conduit à une gestuelle quelque peu caricaturale, bien-sûr. Que vous allez « oublier » une fois l’échauffement terminé. Mais l’idée sous-jacente est qu’en réalisant très régulièrement ces positionnements conscientisés, vous allez peu à peu les automatiser et améliorer la coordination naturelle des muscles de l’épaule. Pour une efficacité renforcée !
Pour aller plus loin
1 Baláš J, Duchačová A, Giles D, Kotalíková K, Pánek D and Draper N (2017) : Shoulder Muscle Activity in Sport Climbing in Naturally Chosen and Corrected Shoulder Positions. The Open Sports Sciences Journal 10, 107-113
2 Bhatt JB, Glaser R, Chavez A, Yung E (2013). Middle and lower trapezius strengthening for the management of lateral epicondylalgia: a case report. J Orthop Sports Phys Ther. 43, 11, 841‑7
3 Bouissou C, Mandigout S (2023) : Facteur d’association entre l’épicondylite latérale et la dyskinésie scapulaire. RSE2R n°1, 1-12
4 Borloz S, Graf V et Ziltener JL (2012) : Dyskinésie de l’omoplate. Revue médicale suisse, 367.