Existe-t-il un gène de l’escalade ?
On connaît tous la bosse des maths, cette idée farfelue du 19e siècle selon laquelle les capacités en mathématiques seraient déterminées par une zone définie dans le cerveau. Mais existe-t-il de la même manière un gène qui prédisposerait à la pratique de l’escalade ? Aussi surprenant que ça puisse paraître, des scientifiques se sont posés récemment la question. Et le résultat ne l’est pas moins !
Et si les performances en escalade, c’était juste une histoire de gène ? On pourrait gloser longtemps sur le mythe de l’avantage génétique en sport. Le grand public prête ainsi à certains athlètes africains, en particulier aux Kenyans, des prédispositions innées pour le marathon, réelles ou supposées d’ailleurs. Alors pourquoi pas en escalade ?
Pourtant, même si cette théorie est parfois battue en brèche faute d’études suffisamment étayées, il reste que la génétique a investi le monde du sport. De plus en plus de travaux s’intéressent aux gènes impliqués dans la performance sportive. Des études ont été menées dans les sports historiques type natation ou athlétisme. Mais aussi dans des disciplines plus jeunes, telles que l’escalade.
Gène et escalade : quelle est la part d’inné et d’acquis ?
Depuis son entrée parmi les disciplines olympiques aux JO de Tokyo 2020, l’escalade n’a cessé de gagner en popularité. D’un sport pratiqué par quelques happy few en falaise il y a encore quelques années, l’escalade est devenue un sport de plus en plus urbain. À ce jour, plus de 25 millions de pratiquants sont recensés à travers le monde. Principalement en salle.
La plupart de ces néo-grimpeurs pratiquent, bien sûr, pour le plaisir. Et tous n’atteindront pas le haut niveau. Tout simplement parce qu’ils n’ont pas forcément le temps ni l’envie de s’entrainer. Mais surtout parce que, comme dans bon nombre de sports, le patrimoine génétique et la morphologie déterminent en grande partie les capacités à réaliser de grandes performances. C’est d’ailleurs ce qu’explique David Epstein, dans son ouvrage, Le Gène du Sport.
“Tout comme les galaxies dérivant à toute allure, les morphotypes requis pour réussir dans un sport donné s’écartent de plus en plus vite les uns des autres vers leurs angles solitaires respectifs de haute spécialisation, au sein de l’univers du physique athlétique”. En d’autres termes, tous les corps ne sont pas faits pour le haut-niveau. Car le patrimoine génétique de chacun détermine dès la naissance la capacité à être performant dans tel ou tel sport. L’escalade n’échappe pas à la règle.
Le gène ACTN3 au service de la performance
Ainsi, parmi les 170 gènes identifiés par les chercheurs, un revient régulièrement sur le devant de la scène. Il s’agit de l’ACTN3, présent sur le chromosome 11. Il est souvent défini comme le gène du sport. Et plus précisément comme celui de la force et de l’explosivité. Car il pourrait jouer un rôle dans la construction et la répartition des fibres musculaires. En effet, ce gène fournit des instructions pour construire une protéine, l’alpha-actinine 3. Celle-ci est très abondante dans les fibres musculaires à contraction rapide et s’avère déterminante lors d’un effort rapide comme le sprint.
Bien que le gène ACTN3 fasse partie de l’ADN de chacun, tout le monde ne dispose pas de la même version. Il existe en effet 2 variants : R et X. Or les recherches ont montré que seuls les individus possédant le gène de type R produisent l’alpha-actinine-3. Partant de ce constat, plusieurs études ont analysé le profil génétique des grimpeurs. Et les résultats d’une méta-analyse menée sur trois cohortes de grimpeurs (autrichiens, polonais et russes) ont ainsi montré que la fréquence du variant R dans le gène ACTN3 était significativement plus élevée chez les grimpeurs. En particulier chez les bloqueurs et les spécialistes de vitesse.
Comme Obelix, tombé dans la marmite de potion magique ?
Bien sûr, comme le précisent les auteurs de cette étude, des études de réplication supplémentaires et des études fonctionnelles sont nécessaires pour confirmer ces résultats. Mais cela semble confirmer l’hypothèse d’une prédisposition de certains individus à la pratique de disciplines demandant force et explosivité. Comme le bloc ou la vitesse en escalade.
D’ailleurs, quand on observe les qualités d’explosivité d’athlètes comme les frères Mawem, on n’a aucun mal à imaginer qu’ils sont tombés dans la marmite de la force quand ils étaient petits. Comme Obelix ! Et on ne serait pas surpris d’appendre qu’ils sont porteurs du gène ACTN3, comme beaucoup de grimpeurs japonais en bloc ou indonésiens en vitesse. Reste que ces prédispositions ne font pas tout et que pour percer à haut-niveau, il faut aussi et surtout beaucoup s’entrainer !
Bibliographie
- Le Gène du sport, David Epstein, Édition Talent Sport, 2013
- Morphology, enzyme activities and buffer capacity in leg muscles of Kenyan and Scandinavian runners. Saltin B., Kim C.K., Terrados N., Larsen H., Svedenhag J., Rolf C.J., Medicine & Science in Sports, 5 (4), 222–230, 1995.
- More than a ‘speed gene’: ACTN3 R577X genotype, trainability, muscle damage, and the risk for injuries. Del Coso et al. Eur J Appl Phys 119: 49-60, 2019.
- ACTN3 genotype in professional sport climbers. Ginszt M, Michalak-Wojnowska M, Gawda P, et al. J Strength Cond Res 32: 1311–1315, 2018.
Photos IFSC et Getty images