Pietro Dal Pra, un grimpeur concepteur

C’est au printemps dernier que nous avons rencontré Pietro Dal Pra, au siège social de la société La Sportiva, à Zianno di Fiemme, en plein cœur de Dolomites. L’air était frisquet, le ciel limpide ! Celui qui œuvre au développement des chaussons de la marque italienne n’était pas peu fier de nous faire visiter les lieux. Et d’exposer, avec enthousiasme, la philosophie à l’œuvre derrière chacune de ses conceptions !

Pietro Dal Pra est un grimpeur de longue date. Il a traîné ses chaussons un peu partout, de la Patagonie au Yosemite, en passant par la Sardaigne ou le Verdon. Il a débuté tout gamin dans les Dolomites avec son père, en 1983, avant de passer le diplôme de Guide de Haute-Montagne et de voler de ses propres ailes. Autour des années 2000, il a plusieurs fois marqué la scène internationale de l’escalade par des réalisations express et inspirées.

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En 1999, par exemple, il s’est offert, et en seulement 3 essais, la mythique Silbersgeier (8b, 7c+, 8a+, 7a+, 8b/b+, 7c+), une grande voie ouverte par Beat Kammerlander quelques années plus tôt sur le calcaire lisse et technique du Rätikon. Autant dire que le grimpeur transalpin a une petite idée de ce que veut dire “poser les pieds” ! Ce n’est donc pas surprenant de le retrouver, quelques années plus tard, à la conception des chaussons La Sportiva. Avec évidemment à l’esprit une certaine idée des exigences auxquelles un modèle doit répondre, en terme de sensations, de tenue de pied, de confort ou d’adhérence…

Les chaussons, une histoire de famille !

La Sportiva, ça reste artisanal et familial, raconte Pietro en souriant, tandis que nous traversons les locaux, naviguant du showroom aux hangars de stockage des matières premières. Même si la société a grandi ces dernières années et qu’elle est maintenant leader à l’international, tout est monté à la main ici, en Italie, sur nos chaînes de production. Le marché est énorme mais c’est important de conserver cette qualité”. Une manière de perpétuer une grande tradition dans la famille Delladio !

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L’arrière-grand-père, Narciso, cordonnier de son état, a fabriqué dès 1928 ses premières chaussures de montagne dans sa petite échoppe, développant un système de laçage innovant qui fit longtemps référence en la matière. Par la suite, son fils, Francesco, rejoint la compagnie et développa dans les années 50 des chaussures de ski en cuir, pour un marché qui devenait de plus en plus technique. La troisième génération entra dans l’affaire en introduisant ses premiers chaussons d’escalade, légers et souples, en avance sur leur époque. Une véritable histoire de famille, donc !

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Aujourd’hui, la réalité du marché impose d’avoir toujours une longueur d’avance sur la concurrence, une donnée qui n’échappe pas à Pietro. “Tu ne fais pas un chausson pour toi, tu ne fais pas le chausson de tes rêves, explique, volubile, le grimpeur italien. Tu dois répondre aux besoins du plus grand nombre. Il y a une sorte d’alchimie qui doit s’opérer, un mélange de culture et de connaissance de l’activité à prendre en compte pour avoir une chance de produire un modèle qui devienne phare. L’image, le marketing, le nom du modèle interviennent aussi bien sûr. Mais en fin de compte, c’est le marché qui dicte sa loi.”

Les chaussons, un travail d’équipe !

“C’est un travail d’équipe, de toutes façons, la conception d’un chausson. Un grimpeur ne fait pas un modèle”, précise Pietro, en guise de clin d’œil à ses deux compères du département Recherche & Développement de La Sportiva, Lucas et Matteo. Là encore, la tradition se perpétue. Matteo Jellici est le fils du designer et concepteur de tous les modèles historiques de la marque, celui qui a œuvré main dans la main avec Heinz Mariacher lors de l’élaboration des fameux Kendo par exemple, encore dans la mémoire de nombreux grimpeurs.

Pour mettre au point un modèle comme le Genius, le dernier né de la ligne No Edge, pas moins de 60 prototypes ont été produits et testés par les trois larrons, dans le plus grand secret, car la concurrence n’est jamais bien loin et les enjeux économiques demeurent importants. C’est le fruit d’allers retours permanents entre le département R&D et le terrain.

Les prototypes sont toujours masqués, déguisés dans les coloris d’autres modèles de la marque, nous explique Pietro, avant d’être testés sur des spots secrets, de préférence !

“Il y a toujours des petites adaptations à faire, des choses qui ont besoin d’être modifiées. Cela demande de l’expérience. Après, tout est question de compromis. Il y a toujours un équilibre à trouver dans la conception d’un modèle. Quand on arrive à la fin du processus de développement, nous faisons tester le chausson à des grimpeurs qui ont des pieds et des styles de grimpe très différents. Et nous nous faisons notre idée en filtrant leurs retours”. Bref c’est un brassage d’idées permanent !

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Pietro est heureux qu’on lui ait fait confiance chez La Sportiva, quand il a poussé cette gamme NoEdge, bien que le premier modèle produit, la ballerine Speedster, n’ait pas connu le succès commercial escompté. Le patron de La Sportiva, Lorenzo Delladio, chambre encore gentiment Pietro sur le peu de modèles finalement vendus, si l’on compare aux best sellers de la marque que sont les Miura ou les Katana !

“Moi, c’est un modèle que j’adore, je ne grimpe qu’avec ça, s’enthousiasme Pietro, c’est super intuitif, ton pied englobe les prises, c’est dément !”. Pouvoir poursuivre dans la même lignée, avec les Futura et les Genius, a donc été à la fois une grande surprise et une belle opportunité pour Pietro, l’occasion de montrer que le concept était pertinent. Et aujourd’hui le marché lui donne finalement raison, avec un démarrage très prometteur du Genius.

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Pas de réponses

  1. 18 septembre 2018

    […] naturel que de partir à la rencontre d’un des artisans du succès de la marque italienne. Après Pietro Dal Pra, de chez La Sportiva, La Fabrique verticale donne la parole à un autre grand designer de chaussons […]

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