Grimpeurs, souffrez-vous d’addiction ?
Que ressentez-vous lorsque vous ne pouvez pas grimper durant un certain temps, à cause du travail, d’une blessure ou de la météo ? Est-ce que votre comportement change ? Êtes-vous de mauvaise humeur ? Et trouvez-vous une activité de substitution ? Bref, manifestez-vous un état de manque, signe d’une addiction à l’escalade ?
Évoquer l’addiction pour qualifier notre attachement à l’escalade peut paraître de prime abord un peu exagéré. A fortiori si on parle à des non pratiquants. Il semble pourtant que ce ne soit pas le cas. En tout cas, si on se réfère à cette récente étude menée par l’équipe de Robert M. Heirene et publiée en juin 2016 dans la revue Journal of Behavioral Addictions.
Qu’est-ce que l’addiction ?
Jusqu’à il y a peu ce terme était exclusivement utilisé pour qualifier la dépendance à des substances pharmacologiques. Aujourd’hui il est aussi utilisé pour définir des comportements excessifs. Par exemple, la pratique des jeux d’argent ou en réseau sur internet, la consommation compulsive, ou des pratiques sexuelles particulières.
Et bien qu’il y ait toujours débat, nombre de travaux ont mis en évidence la ressemblance entre des personnes dépendantes de drogues et celles montrant des troubles comportementaux. Il existe bien des similitudes entre les addictions à des drogues ou des pratiques que ce soit sur le plan psychologique ou comportemental. Et, les techniques d’imagerie l’ont montré. Ce sont les mêmes régions du cerveau qui sont stimulées par les drogues ou la participation effrénée à des jeux d’argent !
Concrètement, les symptômes suivants caractérisent une addiction : la manifestation d’un besoin impérieux, la notion de rechute ou un état de manque qui s’exprime à différents degrés.
Et l’escalade dans tout ça ?
Les scientifiques se sont déjà pas mal intéressés aux sports dits extrêmes, pour tenter d’expliquer ce qui motivait les pratiquants. Et le fait est que chez ceux qui font du free ride, du base jump ou de la chute libre, on a pu noter, au travers de témoignages, une proximité avec les personnes souffrant d’addiction à des drogues. Le vocabulaire employé pour décrire des sensations, états, sentiments est en particulier similaire.
Mais cela va plus loin ! Les sportifs extrêmes répondent bien à une majorité des critères qui encadrent la notion d’addiction. En cas de privation, ils développent un état de manque, terme générique qui désigne les séquelles induits par la privation de drogue : désir intense et urgent de la substance ou pratique qui va déclencher un « trip », désintérêt pour toute autre activité ou la vie courante (anhédonie), tristesse ou état dépressif en période d’abstinence.
Robert M. Hereine et ses collaborateurs ont donc choisi à leur tour de tester l’hypothèse suivante chez des grimpeurs : la pratique de l’escalade, une activité qualifiée d’extrême, peut-elle aussi conduire à l’apparition de symptômes témoignant d’une addiction ?
Plus précisément, il s’agissait, au moyen d’entretiens semi-dirigés, de vérifier que le concept de manque, habituellement utilisé dans le champ des dépendances aux drogues, pouvait aussi s’appliquer aux manifestations psychologiques chez des grimpeurs.
Les résultats
Ce sont deux groupes de grimpeurs britanniques qui se sont prêtés à cette étude, répartis en deux groupes en fonction de leur niveau de pratique : les pratiquants moyens évoluaient entre le 6a et le 7b+ ; les experts se situaient dans des niveaux supérieurs à 7c. Tous avaient une pratique variée, incluant de l’escalade indoor (bloc ou voie) et sur sites naturels (bloc, voies sportives ou trad.).
Après transcription, codage et classement des réponses en trois groupes principaux (anhédonie, besoin impérieux de pratiquer, état de manque), puis en sous catégories, voici en résumé ce qui ressortait des entretiens :
Lorsqu’ils étaient confrontés à une abstinence forcée, tous les grimpeurs, quel que soit leur niveau, faisaient l’expérience de l’anhédonie. Et si une activité sportive de substitution était envisagée, celle-ci ne devait pas être de nature à interférer avec l’escalade, c’est à dire que sa pratique ne devait pas nuire au potentiel de performance pour l’escalade (par exemple, les activités pouvant conduire à une prise de poids étaient évitées).
L’escalade passait avant toute chose pour les participants de l’étude dont l’emploi du temps était dans la mesure du possible organisé afin de pouvoir suffisamment pratiquer. Et lorsqu’ils de pouvaient pas grimper, ils se reportaient sur des vidéos, magazines, sites internet dédiés qui entretenaient leur motivation. Cet aspect était d’ailleurs plus marqué chez les experts.
Voir d’autres grimper alors qu’eux mêmes ne pouvaient le faire développait chez les participants à l’étude un sentiment de jalousie.
Enfin, pour tous les grimpeurs interrogés, les périodes d’abstinence étaient associées à de la frustration, des manifestations de mauvaise humeur de tristesse voire de dépression. Ceux-ci associaient étroitement leur état émotionnel à la présence de stimulus associés à l’escalade, se sentant « invincibles », « excités » par le fait de grimper. Encore une fois, c’est chez les grimpeurs les plus investis dans leur pratique (groupe expert) que ce constat était le plus marqué.
L’analyse
Tous les grimpeurs passionnés ne sont sans doute pas surpris par ces résultats.
Ce que montre cette étude, c’est que les stimulus apportés par l’escalade sont suffisamment puissants pour que, lorsqu’il y a abstinence forcée, soient générées des réactions semblables à celles dont souffrent des personnes dépendantes à des substances chimiques.
Et plus les grimpeurs étaient engagés depuis longtemps dans la pratiques, grimpaient régulièrement, plus cette dépendance est marquée.
Nous rajouterons qu’il y a sans doute un effet du type de pratique à prendre en considération, ce que n’ont pas fait les auteurs de l’étude. Les grimpeurs interrogés, britanniques, pratiquaient pour une grande partie d’entre eux le bloc et l’escalade traditionnelle, qui comportent une forte dose d’engagement. On peut donc émettre l’hypothèse que l’impact des stimulus liés à l’escalade est encore plus élevée chez ces grimpeurs que chez des pratiquants dont la pratique se cantonne à des environnements aseptisés (salle ou falaises sportives).
Il y a bien sûr besoin de confirmer ces conclusions et hypothèses. Cette étude ouvre toutefois à des perspectives intéressantes sur l’utilisation de l’escalade à des fins thérapeutiques chez des personnes dépendantes à des toxiques, avec l’hypothèse que les stimulus provenant de l’escalade pourraient se substituer à ceux recherchés dans l’usage des drogues.
À suivre donc.
Merci à Fred Noé pour le lien de l’article
Source
Heirene RM, Shearer D, Roderique-Davies G, Mellalieu SD (2016) : Addiction in extreme sports : An exploration of withdrawal states in rock climbers. Journal of Behavioral Addictions, 5, 2, 332-341.
Je me reconnais bien dans cet excellent article !
Merci
Pour rebondir sur:
« Il y a bien sûr besoin de confirmer ces conclusions et hypothèses. Cette étude ouvre toutefois à des perspectives intéressantes sur l’utilisation de l’escalade à des fins thérapeutiques chez des personnes dépendantes à des toxiques, avec l’hypothèse que les stimulus provenant de l’escalade pourraient se substituer à ceux recherchés dans l’usage des drogues. »
De très forts grimpeurs dont je ne citerai pas les noms sont aussi dépendants à des toxiques..
Oui, suite à un accident de la route, je me suis retrouvé allongé et là j’ai vraiment ressenti le Manque
Des bouffées de chaleur, essoufflements etc
Maintenant, après une période de « repos » forcée de type blessure ou autres je suis irritable et un autre sport ne compense pas
Lorsque l’on me demande si je suis passionné je réponds non « piqué «
Très bel article!
J’ai arrêté le tabac sensiblement au même moment où j’ai commencé à grimper.
Résultats:
– Aujourd’hui la clope me dégoûte.
– J’ai besoin d’aller grimper tous les jours!
CQFD, hypothèse validée dans mon cas!
merci à vous !