Méditation de pleine conscience : une clé pour la préparation mentale en escalade ?

Grimpeur vole en falaise

Pendant longtemps, beaucoup d’athlètes ont pu négliger la préparation mentale dans leur entraînement. Cette stratégie vis-à-vis de la préparation mentale était bien sûr variable en fonction des sportifs ou des disciplines. Et l’un des écueils à l’intégration de techniques de préparation mentale à l’entraînement a sans doute été une vision péjorative eu égard à des pratiques aux fondements plus ou moins ésotériques, donc magiques.

Pourtant, le mental, qui regroupe aussi bien des aspects psychologiques que cognitifs fait bien partie des facteurs qui influencent la performance. Tous les « pères » des théories de l’entraînement (Matveiev, Weineck, Platonov et j’en passe), l’ont établi il y a déjà bien longtemps. Et cela n’a jamais été remis en cause.

Et pour cause ! Il n’y a qu’à observer ce qui fait basculer du côté de la victoire ou de la défaite.

Bien sûr il y a les paramètres physiques ou techniques qui entrent en jeu. Mais comment expliquer l’émergence de ce micro doute au moment de jeter sur la prise finale qui fait prendre la mauvaise décision, ce dialogue interne qui surgit à partir du moment où on s’éloigne de la dernière dégaine et qui fait serrer un peu trop les prises. Cette boule au ventre qui ne décoince pas au moment de démarrer la voie ou qui fait douter à la moindre difficulté. Ce manque de lucidité alors que l’intensité physique est à son maximum qui nous empêche de prendre conscience qu’on ne saisit pas bien la prise… et qui conduit à la blessure. Et que dire de la difficulté à se concentrer alors qu’il y a du bruit autour…

Bref, la ligne est parfois très ténue entre la réussite et l’échec. Et chacun sait bien que plus on va vers le haut niveau, plus chaque détail peut faire la différence…

Pour revenir à la préparation mentale, l’évolution des techniques d’imagerie cérébrale met à présent bien en évidence les conséquences de l’application de certaines techniques, comme par exemple la visualisation, l’auto-suggestion, l’hypnose, la relaxation, sur le fonctionnement cérébral.

L’usage des techniques de préparation mentale s’est donc généralisé à haut niveau. Et depuis quelques années, déborde de la sphère sportive, avec des objectifs divers : mieux répondre à la pression professionnelle, résister à un contexte social et/ou professionnel toujours plus stressant ou tout simplement mieux vivre. La mode du développement personnel est aussi passée par là.

Les techniques de préparation mentale classiques

Le discours scientifique définit bien les contours de l’entraînement mental. Ainsi, on peut citer la définition qu’en ont fait Weinberg & Gould (2007) : « L’entraînement des aptitudes psychologiques fait référence à la pratique systématique et cohérente d’habiletés mentales ou psychologiques dans le but d’améliorer la performance, d’accroître le plaisir ou d’obtenir une plus grande satisfaction personnelle dans le sport et l’activité physique ».

Pour autant, des flous ont pu persister sur les termes. Par exemple, comme le relèvent Birrer et Morgan (2009), les expressions « aptitudes psychologiques » ou « techniques mentales » ont été utilisées parfois de façon interchangeable.

Il semble admis aujourd’hui que par « aptitudes psychologiques », on entend ce qui doit être amélioré par l’entraînement (par exemple la confiance en soi ou la capacité à se concentrer). Et par « techniques mentales » des procédures mises en œuvre pour atteindre tel résultat, par exemple l’imagerie mentale ou l’auto-suggestion.

L’imagerie, la fixation d’objectifs, l’auto-suggestion et la relaxation sont les 4 techniques de base qui sont utilisées de façon prédominante en sport. Elles sont complétées par d’autres formes d’intervention, multimodales, combinaisons issues de ces techniques de base.

relaxation séance de groupe - préparation mentale
Séance de relaxation – Yoga au fil de soi

Les limites de ces approches traditionnelles

Une des clés de tout entraînement, c’est qu’il doit être conçu en fonction d’objectifs bien définis. Qu’il réponde aux spécificités de la discipline et que, à tout le moins, il soit adapté aux caractéristiques et au niveau du sportif.

L’efficacité des techniques traditionnelles de préparation mentale est très souvent mise en avant. Pour autant, et ce bien qu’il y ait eu énormément de publications sur ce sujet, il s’avère que très peu de recherches apportent des preuves consistantes (d’un point de vue scientifique) de liens entre les expériences cognitives ou affectives et l’amélioration des performances.

À cela plusieurs raisons. Cela peut être la présence d’incohérences théoriques de certaines approches. Ou des lacunes dans les protocoles expérimentaux eux-mêmes (non prise en compte des caractéristiques des sujets…). Soit encore une méconnaissance des demandes psychologiques des disciplines elles-mêmes dont découlent des erreurs dans les techniques choisies.

Pour expliquer la portée limitée des approches traditionnelles, il est aussi fait mention de la théorie des ironies, proposée par Wegner en 1994. Tout se passerait comme si, les sportifs, en tentant de contrôler leurs émotions, leurs pensées, portaient plus d’attention à celles-ci… Qui deviendraient alors plus accessibles à leur conscience dans les moments de surcharge cognitive ou émotionnelle, de stress élevé. Cela demanderait alors aux sportifs un surcroît d’efforts pour contrôler leurs processus mentaux, au prix d’une moins bonne efficacité pour accomplir par ailleurs leur tâche sportive.

Ceci étant dit, tout n’est pas si noir. Même si les techniques dites traditionnelles apparaissent moins efficaces que ne le laissent entendre leurs défenseurs les plus ardents, elles peuvent néanmoins avoir un apport qui peut s’avérer décisif.

Intérêt des approches traditionnelles pour l’escalade

La revue de littérature réalisée par Birrer et Morgan, en 2010, est intéressante pour nous grimpeurs. Les chercheurs se sont en effet focalisés sur l’usage et l’intérêt des approches traditionnelles de préparation mentale dans un cadre bien précis : celui des activités physiques caractérisées par une haute intensité.

Certes, les activités évoquées dans l’article (course sur 800 ou 1500 m, natation, aviron ou canoë-Kayak), sont différentes de l’escalade. Mais elles ont en commun la durée des efforts relativement réduite, l’intensité énergétique énorme, et une pression mentale importante. Sur ce dernier aspect, on notera que la pression mentale en escalade présente différentes facettes : pression liée au résultat bien sûr. Mais aussi pression mentale liée au danger (subjectif ou objectif).

Ce qui est intéressant dans cet article, c’est que les auteurs suggèrent que les techniques classiques de préparation mentale peuvent agir efficacement, dans les sports à haute intensité énergétique, sur l’estime de soi, le développement personnel et les compétences de vie, la capacité à réguler son niveau d’excitation, les compétences volitives ou motivationnelles et l’optimisation de la récupération.

pranayama et préparation mentale
Séquence Pranayama – Yoga au fil de soi

Préparation mentale et méditation de pleine conscience

Depuis une dizaine d’année, les interventions basées sur la pleine conscience et l’acceptation prennent une place de plus en plus grande dans la préparation des sportifs. Ces techniques, plus couramment désignées par l’acronyme MABI (pour Midfulness and Acceptance Based Intervention), n’ont pas forcément vocation à supplanter les approches évoquées plus haut, mais plutôt à compléter l’arsenal des possibles.

À la différence des techniques traditionnelles, les MABI ne visent à contrôler ou modifier les expériences internes (peur, excitation, doute, distraction…), chez – entre autres – les sportifs. Ces derniers sont plutôt conduits à « seulement » prendre conscience de telles manifestations, à les accepter sans jugement. Puis à porter à nouveau leur attention vers la tâche sportive qu’ils sont en train d’accomplir.

Les formes d’intervention

Depuis une quinzaine d’années, plusieurs types de programmes de type MABI existent, à destination des sportifs. Ils ont été élaborés à partir de programmes initialement utilisés en clinique.

Sans entrer dans les détails (vous pourrez les retrouver dans cet article), les protocoles s’étalent sur une durée allant de 6 à 12 semaines.

Les séances sont généralement en groupe et sont complétées par des séquences individuelles. Par exemple, 1 à 2 séances collectives hebdomadaires de 60 minutes en moyenne, complétées par une pratique individuelle quotidienne (10 à 15 minutes en moyenne), guidée ou non.

méditation de pleine conscience et préparation mentale
Méditation, séance en groupe – Yoga au fil de soi

Un exemple : Le programme PCP

Le programme PCP (Pleine Conscience pour la Performance) a par exemple été conçu en 2009, par Bernier et ses collaborateurs.

Typiquement adapté aux spécificités du sport, il a pour effet d’améliorer l’attention dans toutes les situations à enjeu, tout en favorisant l’acceptation des distractions potentielles.

Il dure 6 semaines et comporte 2 séances hebdomadaires. Fait intéressant, une des deux séances prend place au moment d’une séance d’entraînement « classique ». Cela permet d’intégrer des exercices de pleins conscience adaptés à la spécificité sportive.

De la pratique quotidienne (environ 10 minutes) guidée en audio, complète ces deux séances.

Plusieurs publications tendent à montrer l’efficacité de ce programme, à des degrés divers, chez des sportifs comme les golfeurs ou escrimeurs.

Mais sa validation complète passera par une application à d’autres disciplines, dans un cadre contrôlé.

Par ailleurs, et cela est valable pour l’ensemble des MABI, on connaît encore peu les processus ou mécanismes à l’œuvre lors de ce type d’entraînement.

On peut cependant évoquer différentes hypothèses. Les MABI pourraient par exemple améliorer la capacité à accepter les états internes désagréables. Ou à mieux contrôler l’attention en opérant un décentrage mental (observer un état interne, puis le considérer simplement comme un état transitoire). Une autre hypothèse est que les MABI agiraient en diminuant les phénomènes de rumination. Dans ce cas, l’athlète devient capable de lâcher prise vis-à-vis d’un événement interne perturbant ou désagréable, pour recentrer son attention sur sa tâche principale.

méditation de pleine conscience
Méditation – Yoga au fil de soi

Comment évaluer l’efficacité des MABI ?

Comme suggéré plus haut, le champ scientifique en lien avec les MABI est en pleine évolution.

Dans leur revue de littérature, Manel Ben Salha et Jean Fournier ne font donc pas l’impasse sur les outils scientifiques à disposition en vue d’obtenir des renseignements valides sur l’impact des programmes de type MABI.

Quelle que soit leur forme (questionnaire, mesure de la pleine conscience en sport), l’enjeu est grand. Il s’agit bien de montrer que si effet il y a, suite à l’application d’un MABI, ceux-ci sont bien liés aux interventions de pleine conscience et pas à d’autres facteurs.

À suivre donc !

Sources bibliographiques

Ben Salha M., Fournier J. (2021) : Les interventions basées sur la pleine conscience et l’acceptation en sport : une revue de littérature. Revue STAPS 2021/0, Prépublication.

Birrer D. & Morgan G. (2010) : Psychological skills training as a way to enhance an athlete’s performance in high-intensity sports. Scand J Med Sci Sports 2010: 20 (Suppl. 2), 78–87

Pineschi de Mello G. (2019) : Mise en place et évaluation d’un programme d’entraînement à la pleine conscience auprès de jeunes golfeurs d’élite. Thèse de doctorat, Université de Laval, Québec.

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