Sécurité : la routine est-elle nécessaire en escalade ?
Une fois n’est pas coutume, c’est d’un accident survenu il y a quelques jours en grande voie que nous souhaitons vous parler. Accident que ses protagonistes ont souhaité porter à notre connaissance, afin de partager cette expérience avec d’autres grimpeurs. Expérience qui pose la question du lien entre routine et sécurité en escalade.
On vous rassure tout de suite. Aucune motivation morbide ici, d’autant que l’accident se termine sans gravité. Mais cet événement constitue une bonne matière à réflexion, une piqûre de rappel, qu’il nous semblait intéressante à partager avant l’été…
Un accident, sans gravité…
Le témoignage de Bernard* commence ainsi :
« Cela se passe en dixième longueur de la voie que nous avions choisi de parcourir ce week-end là. Un itinéraire de type « montagne », avec un équipement normalement espacé pour un itinéraire de ce type (± 6 mètres entre chaque point), mais cependant béton.
Il est à une trentaine de mètres environ au-dessus de moi dans une dalle quand une zippette inattendue le fait chuter. Là tout s’enchaîne très (trop) vite. Je serre le mauvais brin de corde (au-dessus du frein), qui me brûle la main. Je tente dans un mauvais réflexe de l’attraper de l’autre main, avec le même résultat !
Finalement, un éclair de lucidité me fait attraper le bon brin de corde en dessous du frein et stopper la chute de mon ami… À quelques centimètres d’une vire, et après une vingtaine de mètres de chute !
Résultat des courses : Quelques égratignures (« seulement »), et un bleu sur la fesse pour lui (merci le casque et le sac à dos…). De belles cloques sur les deux mains pour moi qui qui mettront quelques jours à se soigner. »
… Mais pas un accident sans conséquences
Quand on visualise le déroulement des évènements, cela fait un peu froid dans le dos. Et on imagine bien les conséquences psychologiques aussi pour l’assureur.
Bernard poursuit : « Suite à cet accident, je m’en suis énormément voulu ! Je n’arrêtais pas de culpabiliser. Et je me suis dit que j’allais tout arrêter et raccrocher les chaussons. Je ne comprenais pas ce qui avait pu se passer. Je grimpe depuis plus de 6 ans, souvent en falaise et en grande voie. Je suis à l’aise dans le 6ème degré. J’ai la sensation de maîtriser les aspects liés à la chute et à l’assurage. Puisque je vole régulièrement et suis tout aussi régulièrement amené à enrayer des chutes. Et surtout, surtout, je suis un maniaque de la sécurité ! »
Il y a toujours une leçon
Après quelques jours de réflexion, Bernard a identifié la cause première de cet accident. « Juste » un petit changement de routine.
« Selon moi, tout est parti d’une d’une négligence vraiment bête à propos d’un point auquel je n’avais jamais prêté attention : le sens des mains qui tiennent la corde. Je m’explique : La configuration et l’organisation du relais auquel j’étais ont fait que je me suis retrouvé pour des raisons pratiques à assurer mon collègue en donnant du mou de la main droite et en tenant la corde de vie de la main gauche. Or, je ne fais habituellement jamais ça. J’assure toujours avec ma main droite sur la corde de vie. La coordination n’était certes pas parfaite pour donner le mou ainsi. Mais pour moi, il n’y avait aucun souci puisque j’avais toujours le brin de vie en main (gauche…) et que j’étais en permanence attentif…
Sauf que lors de la chute, au moment de bloquer la corde, mon corps a réagi par un acte réflexe et non pas réfléchi. Et a fait ce qu’il a toujours eu l’habitude de faire dans cette situation : serrer la main droite !
Mais là, ça n’a plus marché… La suite, vous la connaissez. »
Le changement de routine. Voilà donc semble-t-il la principale leçon de cet accident.
Certains pourraient arguer que la routine elle-même est à l’origine d’accidents. Pour n’évoquer que les accidents de la route, on sait qu’une bonne partie de ceux-ci se produisent sur des trajets parcourus de nombreuses fois. Et d’ailleurs proche des lieux d’habitation.
De fait, ce qui provoquent ces accidents n’est pas la routine elle-même, mais la façon dont sont effectuées les actions. De façon automatique, mais sans que les acteurs soient concentrés dessus, sans conscience !
En escalade, la routine est donc plutôt notre meilleure amie. Mais elle peut devenir notre pire ennemie dès qu’on exécute des actions à enjeu vital en étant distrait. Ou lorsqu’on ne les effectue pas en pleine conscience.
Pour revenir à l’accident et prolonger la réflexion de Bernard, on peut tout de même émettre l’hypothèse que le mode de réalisation du relais lui-même est la cause originelle. Et que, si Bernard est conduit à refaire cette voie, nul doute qu’il s’organisera pour fabriquer un relais qui lui permettra d’assurer comme d’habitude, main droite sur la corde de vie.
Ainsi, c’est peut-être à la fois un manque d’adaptation (fabriquer le relais comme d’habitude) et un changement de routine (assurer main gauche en bas) qui, conjugués, ont conduits à cette mésaventure.
Pour aller plus loin
L’intérêt d’une telle leçon est qu’elle nous conduit à réfléchir et à revenir sur nos propres pratiques, afin de les améliorer.
Par exemple, concernant les relais en grande voie, il est intéressant de connaître différents modes opératoires. Relais fixe ou mobile, triangulation ou système SAR. Chacun trouve son utilité en fonction de la situation.
Sur le matériel lui-même, il est aussi essentiel d’avoir une check list minimale ou basique. Et de la faire évoluer selon le type de voies dans lequel on s’engage.
Enfin, sur les manœuvres elles-mêmes (assurage, réalisation des relais, aide au partenaire en difficulté), connaître ne suffit pas. N’hésitons pas à les réviser régulièrement en pied de falaise ou sur le mur. Elles reviendront plus facilement lorsqu’on en aura vraiment besoin.
*Ce type de mésaventure pouvant arriver à tout le monde, nous avons délibérément choisi d’utiliser un prénom d’emprunt. Ceci afin de préserver la tranquillité du narrateur. Merci en tout cas à toi, Bernard, pour ta confiance !
Pour échange d’anecdotes… une qui m’est arrivée un jour: j’assurais à droite comme toujours en ce qui me concerne, et avais une vache double sur mon pontet dont les deux extrémités étaient attachées à mon porte accessoires sur mon flan droit… (Étant en pied de voie je n’avais aucune raison d’être vaché)
Et bien je me suis retrouvé, par inadvertance, avec dans la main droite… Non pas la corde d’assurage, mais un des brins de ma vache ! Quelques secondes certes… Mais c’est suffisamment grave pour que désormais j’accroche systématiquement mes brins de vache sur mon flan gauche…