S’entraîner sur pan Güllich. Efficace ?

Pour progresser il faut s’entraîner. Et chacun conviendra que plus on s’entraîne plus on progresse. Un des corollaires de ce postulat est que plus les séances d’entraînement sont nombreuses (et donc rapprochées les unes des autres) et longues, alors plus notre progression sera rapide et importante. Le bon sens commun aurait tendance à nous faire facilement adhérer à ce principe. Et puis, on dispose de tellement d’outils, d’agrès que cela offre des possibilités infinies. Ce n’est pourtant pas si simple : En entraînement comme en cuisine, le résultat est en lien direct avec le dosage, l’équilibre des ingrédients. Mais aussi l’ordre d’incorporation et le timing.

Parmi les agrès les plus populaires, et que l’on retrouve désormais dans la plupart des salles, il y a le pan Güllich. Outil mythique utilisé par le non moins mythique Wolfgang pour réaliser la première ascension d’Action Directe. On a là un outil radical qui cependant n’est pas à la portée de tout un chacun et dont l’utilisation nécessite une approche tout en précautions. Alors est-il vraiment efficace, dans quelles conditions ? Voici quelques éléments d’appréciation qui nous sont apportées par une équipe de chercheurs norvégiens et américains, réunis autour de Nicolay Stien, de l’université de Sogndal, en Norvège.

Le principe expérimental

Le premier but de cette étude publiée cette année était de confirmer que la pratique du pan Güllich conduisait bien à des progrès sur certains paramètres de force et d’endurance de force. Progrès supérieurs à un entraînement qui ne comporterait pas de pan Güllich.

Si nous pouvions anticiper la réponse à cette question, il restait que celle-ci n’avait pas été présentée dans un cadre expérimental contrôlé. Mais les chercheurs sont allés plus loin. Ils ont manipulé les modalités de l’entraînement afin de déterminer si la répartition hebdomadaire des séances, ainsi que leur durée, pouvaient induire des différences sur les progrès réalisés.

Les sujets : des grimpeurs experts

Afin de réaliser l’expérimentation, les chercheurs ont réunis des grimpeurs que l’on peut qualifier d’experts. Ceux-ci avaient un niveau moyen de 7a+ à vue et 7c après travail et s’entraînaient de façon régulière, 3 à 4 fois par semaine. Ils étaient familiers du pan Güllich mais ne l’avaient pas utilisé de façon régulière depuis 6 mois (c’était une des conditions pour pouvoir participer à l’étude).

Pour l’étude, ces grimpeurs ont été soumis à un entraînement sur pan Güllich, sur une durée de 5 semaines. Le protocole était bien entendu standardisé. L’entraînement étant basé sur 4 exercices :

  • Un exercice de puissance : montée en 1-4-7-10.
  • Une séquence d’endurance de force : une main reste fixe, l’autre monte latte par latte le plus haut possible et redescend.
  • Un exercice explosif : jeter le plus haut possible, départ mains décalées.
  • Enfin, un autre exercice typique de force endurance, consistant à réaliser une série de 10 mouvements maximaux (correspondant à un 10 rm en musculation).

Pour chacun de ces exercices, les grimpeurs devaient utiliser les plus petites lattes possibles (25, 20 ou 15 mm) et déterminer l’amplitude des mouvements (en particulier pour l’exercice 4), afin d’être à leur limite à chaque fois. Et d’une séance à l’autre, ils pouvaient passer à des lattes plus fines s’ils en avaient la capacité.

Lors d’une séance, les exercices devaient être réalisés 4 fois, en prenant 2 à 3 minutes de récupération entre chacun.

Fréquence d’entraînement

Afin de tester leur hypothèse, les chercheurs ont divisé les grimpeurs en 3 groupes :

  • Un premier groupe (TG2) effectuait les 4 exercices lors de la même séance, 2 fois par semaine. Cela correspondait à environ 40 minutes d’entraînement, échauffement non compris.
  • Le deuxième groupe (TG4) n’effectuait que 2 exercices par session, mais réalisait 4 sessions par semaine. Le volume hebdomadaire était donc identique à celui du groupe TG2.
  • Le troisième groupe (CG), témoin, a poursuivi sa routine d’entraînement habituelle, avec comme seul impératif de ne pas faire de pan Güllich.

Les chercheurs ont apprécié les effets de ces modalités d’entraînement grâce à une batterie de tests. Ils ont été réalisés avant puis après la période de 5 semaines d’entraînement. Un test de force explosive (jeter le plus haut possible), un test de traction maximale, bras en position de blocage à 90°, sur réglette de 23 mm et sur le bac de la Beastmaker 1000 et un test de résistance (nombre maximal de mouvements sur le pan Güllich). Un test sur bloc complétait la batterie. Il consistait pour les grimpeurs à tenter de réaliser 2 blocs comptant respectivement 5 et 10 mouvements avec des contraintes temporelles (4 minutes par bloc, 3 minutes de récupération entre chaque bloc). La performance était mesurée en comptant le nombre de mouvements effectivement réussis (1 point par mouvement ; 15 points au max).

Le test de force en traction : situation expérimentale. © Nicolay Stien

Quels résultats ?

Groupes entraînement vs. groupe contrôle

Comme on pouvait s’y attendre, les grimpeurs des deux groupes ayant fait du pan Güllich  (TG2 et TG4) ont plus progressé que les grimpeurs du groupe témoin (CG). Et ce de façon statistiquement significative sur les tests de bloc, de traction sur bac, de jeté max et d’endurance de force. Leur vitesse de montée en force a aussi augmenté.

De façon conjointe, pour le test de traction sur réglette, ce sont les groupes TG2 et TG4 qui pont montré la plus grosse progression.

5 semaines d’entraînement sur pan Güllich, à raison de 80 minutes hebdomadaires, sont susceptibles d’améliorer la force des doigts, l’explosivité et l’endurance de force.

Groupe 2 séances vs. groupe 4 séances

En y regardant plus en détail la progression s’est faite dans des proportions différentes, selon que les grimpeurs réalisaient les 4 exercices lors d’une même séance, 2 fois par semaine ou alors qu’ils ne faisaient que 2 exercices par séance, répartis sur 4 séances hebdomadaire.

Ainsi, bien que la charge d’entraînement soit au final identique, seuls les grimpeurs du groupe CG2 ont amélioré leur performance sur le test de bloc par rapport au groupe témoin. D’un autre côté, seuls les grimpeurs du groupe CG4 ont amélioré leur vitesse de montée en force, toujours par rapport au groupe témoin.

Explications

Comme très souvent en science, l’interprétation des résultats conduit à la formulation de nouvelles hypothèses, plutôt qu’à des certitudes.

En l’occurrence, si les grimpeurs du groupe CG4 améliorent leur vitesse de montée en force c’est parce que, les séances étant plus courtes, ils parvenaient sans doute à rester explosifs, à maintenir une plus haute intensité, bref à produire un entraînement plus qualitatif, à même de favoriser l’amélioration de la vitesse de montée en force.

À l’inverse, pour les grimpeurs du groupe CG2, les sessions plus longues et fatigantes les auraient empêchés de maintenir des hautes vitesses de contraction sur la durée de chaque session.

Pour développer la vitesse de montée en force, mieux vaut des séances courtes et lors desquelles l’intensité des efforts est préservée, que des séances plus longues provoquant une accumulation de la fatigue.

Par ailleurs, certains résultats ont surpris les auteurs de cette étude. Ainsi, le lien entre les progrès sur le facteur « vitesse de montée en force » et la performance en bloc. Plusieurs études précédentes ont clairement mis en évidence cette relation.

Stien et ses collaborateurs s’attendaient donc à ce que les grimpeurs du groupe CG4, les seuls à avoir amélioré leur vitesse de montée en force, progressent plus que leurs collègues lors de l’épreuve de bloc.

Les résultats démentent cependant cette hypothèse, même si ce n’est que partiellement. Effectivement, seuls les grimpeurs du groupe CG2 ont démontré une progression statistiquement significative sur l’épreuve de bloc, par rapport aux autres groupes. Cependant, en proportion, les grimpeurs du groupe CG4 ont pourtant plus progressé que ceux du groupe CG2. Cette nuance paraîtra ténue ; mais elle existe bel et bien. Et elle est mise en évidence grâce à un concept statistique appelé taille d’effet.

On ne peut donc pas rejeter l’idée selon laquelle si on améliore notre vitesse de montée en force, cela n’aura pas d’effet sur la performance. Les auteurs évoquent ainsi plusieurs facteurs qui pourraient expliquer ce résultat inattendu. Probablement, le test de bloc conçu pour cette expérimentation n’était pas optimal pour mesurer des progressions sur les performances en bloc.

Les progrès dans le domaine de l’endurance de force ont été évalués grâce au test consistant à réaliser le plus grand nombre de mouvements possible sur le pan Güllich. Ils ont été bien conformes aux prévisions. Seuls les grimpeurs du groupe CG2 ont amélioré cette capacité. Pour expliquer ceci, les auteurs insistent sur le rôle qu’a pu jouer l’ordre des exercices dans les séances. Car en effet, l’exercice du 10 RM est typiquement un exercice d’endurance de force, dans lequel l’intensité de l’effort correspond peu ou prou à 70-75 % de la force maximale volontaire.

Le fait de placer cet exercice en fin de séance faisait que les grimpeurs du groupe CG2 l’abordaient toujours avec un fond de fatigue initial supérieur à ceux du groupe CG4.

Des séances plus longues, comportant des exercices typiques d’endurance de force en fin de session permettent de développer une plus grande tolérance à la fatigue.

Pour terminer, les résultats peu consistants lors des tests de traction sur réglette ou sur bac (pas de différence notable entre les groupes CG2 et CG4) mettent en avant une difficulté d’ordre méthodologique. En l’occurrence, le test mettait en jeu à la fois les muscles des doigts et ceux des bras et épaules. Ce qui rendait de fait plus difficile l’interprétation des résultats. Et surtout la mise en évidence de différences entre les 2 groupes ayant fait du pan Güllich plus improbable.

Reste néanmoins que comparativement aux grimpeurs du groupe témoin, chez les grimpeurs qui ont pratiqué le pan Güllich, il y a eu une amélioration de l’expression de la force dans une situation assez proche de la réalité de la pratique (tirer sur des prises). Et elle était plus marquée d’ailleurs dans le test « traction sur réglette » que celui de « traction sur bac ».

En conclusion

Cette étude est une des premières à investiguer le domaine de l’entraînement sur le pan Güllich.

Bien sûr les entraîneurs et grimpeurs eux-mêmes ont pu vérifier depuis des décennies l’intérêt de cet outil pour l’entraînement.

Encore fallait-il le quantifier : Stien et ses collaborateurs sont parvenu à constituer un cadre expérimental à même de mettre en évidence des progrès suite à un programme défini. Ils ont aussi montré comment la répartition des entraînements à l’échelle de la semaine, leur durée influençait la nature même des progrès.

Nul doute que rapidement de prochaines expériences, s’appuyant sur des grimpeurs de plus haut niveau, sur des protocoles d’entraînement différents, viendront compléter notre niveau de connaissance.

Mais d’ores et déjà, nous recueillons là des informations qui nous aident à mieux réfléchir notre entraînement.

Article source

Stien N, Pedersen H, Vereide VA, Saeterbakken AH, Hermans E, Kalland J, Schoenfeld BJ and Andersen V (2021) : Effects of Two vs. Four Weekly Campus Board Training Sessions on Bouldering Performance and Climbing-Specific Tests in Advanced and Elite Climbers. Journal of Sports Science and Medicine 20, 438-447

Pour aller plus loin

Aborder le pan Güllich en douceur

3 exercices sur le pan Güllich

Entraîner l’explosivité (vidéo)

Entraîner la force

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