Escalade et environnement : Comprendre pour protéger

Le nombre des grimpeurs a explosé durant les deux dernières décades. Une bonne fraction de ces néo-pratiquants est certes cantonnée aux salles d’escalade. Cependant, la fréquentation des sites naturels a mécaniquement augmenté. Les conséquences de la pratique de l’escalade sur l’environnement ne peuvent donc plus être ignorées ou mises de côté.

La dégradation des abords, les déchets, feux et autres dépôts de papier hygiénique font partie des premières qui viennent à l’esprit. Du point de vue du naturaliste, les problématiques de cohabitation, en particulier grimpeurs / oiseaux sur les espaces rupestres sont globalement prises en considération. Mais il ne faut pas oublier la question de l’impact des grimpeurs sur le milieu lui-même et en particulier sur les espèces végétales.

La Fabrique Verticale vous propose aujourd’hui une brève revue de questions.

Escalade : quels dommages sur l’environnement ?

La question de l’impact des grimpeurs sur leur environnement n’est pas nouvelle. Pour ne prendre que quelques exemples, tous ceux qui arpentent blocs et falaises n’ont pu que constater les dégâts générés par l’abus de magnésie. Surtout par le non brossage systématique de celle-ci. Ils peuvent aussi déplorer l’usure des prises et l’apparition de la patine qui affectent leurs terrains de jeux.

Or, le terrain de jeu, pour grand qu’il soit n’est pas infini et la question se pose légitimement de savoir ce qu’il en sera pour les prochaines générations et s’il ne serait pas nécessaire d’adopter rapidement des modes de gestion à long terme.

Le grès de Red River Gorge

Comprendre pour mieux agir

Les milieux rupestres ont été naturellement des zones longtemps préservées des activités humaines, en raison de leur inaccessibilité. Ils sont donc connus pour habiter des espèces diverses, uniques et parfois rares.

Comprendre comment notre activité impacte ces espèces est donc le premier pas vers une pratique raisonnée dans laquelle les grimpeurs pourront continuer à jouir du plaisir d’évoluer dans un milieu « sauvage ».

Écorce ou grès ? Grès !!

Depuis une vingtaine d’année, de nombreuses études d’impacts ont été publiées dans des revues scientifiques. Parmi elles, plusieurs ciblent spécifiquement les espèces végétales.

Escalade et végétation

L’aménagement des falaises passe par une étape quasi incontournable d ‘assainissement et de nettoyage du rocher. Ce qui a forcément des conséquences sur les végétaux qui y croissent.

Un genévrier bien vivant à Saint-Guilhem

Ainsi, une étude de 2003, parue dans la revue Conservation Biology, a bien mis en évidence l’impact des grimpeurs sur la population de cèdres blancs (thuja occidentalis L.) sur les falaises se situant en bordure du Niagara. Les conséquences les plus marquées s’observant sur les spécimens les plus jeunes et plus âgés (parfois plus de 1000 ans) dont le nombre a décru significativement.

Il ne s’agit pas ici de stigmatiser sans discernement l’activité des grimpeurs et équipeurs. Il suffit d’observer la manière dont nombre de falaises sont équipées actuellement, en tout cas en France, proche de chez nous, pour constater combien la plupart du temps, les équipeurs font tout pour préserver les habitants séculaires des falaises. Les genévriers du Verdon ou d’ailleurs en sont la preuve vivante.

Relais tout confort !

Mais comme dit plus haut, l’augmentation de la fréquentation s’accompagne mécaniquement d’un impact plus fort sur le milieu.

Et toutes les espèces ne sont pas logées à la même enseigne. Ainsi, une étude menée sur la falaise bien connue de Chullila en Espagne, et publiée en 2018 dans la revue Applied Vegetation Science, montre que si une pratique de l’escalade modérée ne réduit pas forcément la présence des espèces « spécialisées », c’est-à-dire les plantes qui vivent spécifiquement sur le rocher, elle a néanmoins un impact sur la biodiversité de l’écosystème « falaise ». Car elle a un impact très fort sur les espèces « généralistes ».

Chulilla dans son écrin de falaises

Cette étude conclut in fine sur la nécessité de généraliser les études de suivi sur les falaises fréquentées par le plus grand nombre, afin de conserver au mieux les espèces sensibles.

Les grimpeurs et le lichen

Grimpeurs et lichen… une longue histoire qui ne va pas sans heurts, tant ce dernier est rendu responsable de bien des zippettes !

Parmi les études de suivi évoquées plus haut, il en est une, parue tout récemment, en décembre 2021 dans la revue Sustainability, qui intéressera plus particulièrement les bloqueurs fréquentant les sites de grès, à Fontainebleau, La Capelle ou Annot, pour ne citer qu’eux.

Cette étude s’est attachée à mesurer l’impact du passage des grimpeurs sur cette espèce bien mystérieuse, fusion symbiotique entre des champignons et des organismes photobiotiques, tels que les cyanobactéries ou les algues vertes.

Les lichens peuvent se développer sur des substrats ne comportant que peu, voire même pas du tout de nutriments, comme le rocher.

Suivi d’impact

Et pour celui-ci, en particulier s’il s’avère tendre et fragile comme l’est le grès, la présence de lichen est garante de sa solidité. Car les lichens assurent en quelque sorte l’étanchéité du rocher et en préviennent l’érosion. Ils peuvent également exsuder des agents chimiques d’altération, ce qui facilite la néoformation minérale et la préservation des sols.

Contrairement aux mousses, qui s’avèrent peu sensibles au passage des grimpeurs, les lichens, arrachés au rocher, souffrent bien de la fréquentation.

L’intérêt de cette étude est qu’elle a suivi l’évolution de l’impact des grimpeurs sur la couverture de lichens en fonction du nombre de passages. Et ce, en prenant comme base d’observation un bloc de grès qui n’avait jamais été grimpé auparavant.

Le bloc d’étude (CHF : prise main et pied ; HH : prise main ; FH 1&2 : prises pied) © Schweizer

Pendant une période de huit jours, ce bloc a reçu un « traitement », consistant à être grimpé 50 à 100 fois quotidiennement. Les deux grimpeurs qui se sont acquittés de cette tâche ont ainsi parcouru près de 500 fois le bloc d’étude.

Pour limiter les biais, ils n’ont pas fait usage de magnésie. Ils portaient cependant des chaussons classiques.

Le recueil des données a consisté à faire des photographies de 4 prises (2 prises de pieds, 1 de mains, et 1 utilisée conjointement par les mains et les pieds). Ces photographies ont été réalisées 14 fois, tous les 10 puis 50 passages.

Escalade et lichen : un effet notable

C’est assez logiquement les prises utilisées par les pieds qui subissent le plus la conséquence du passage.

Ce « traitement » a conduit à une réduction de la couverture en lichens. Très localisée aux environs immédiats des prises. Mais qui s’est accompagnée d’une abrasion importante du rocher !

Les prises après passage des grimpeurs. © Schweizer

Il apparaît aussi que le déclin le plus rapide de la couverture de lichens se situe lors des premières 50 à 100 ascensions. Puis, au fil du temps, la réduction de la couverture se stabilise, n’évoluant que lorsque les pieds s’écartent de la position idéale sur les prises.

Rappelons au passage, pour élargir la réflexion, que seuls deux grimpeurs ont effectué les 500 ascensions. Ils ont grimpé toujours de la même manière, avec une précision des gestes identique. Il faut bien imaginer que l’impact n’est plus le même dès lors que plusieurs catégories de grimpeurs, de niveaux et corpulences très divers patinent sur un même passage…

L’analyse de ces observations conduit les chercheurs à attribuer la cause principale de la chute de la couverture lichénique à l’abrasion du rocher, par la gomme des chaussons.

Il y aurait donc un double impact aux passages répétés : abrasion du rocher par les chaussons, entraînant l’arrachage des lichens, avec comme conséquence… une fragilité accrue à l’abrasion.

Une question reste posée : celle de la réimplantation potentielle des lichens lors des périodes d’inactivité…

Connaître et protéger

Ce ne sont là que quelques exemples de recherches ayant pour objet d’étude les effets de l’escalade sur son support naturel, le rocher et ses « habitants ».

Elles s’inscrivent dans une volonté positive : mieux appréhender les impacts pour mieux conserver nos sites. Et trouver un équilibre entre nécessité de conservation et fréquentation humaine.

Études source :

Schweizer A.M., Höschler L. and Steinbauer M.J. (2021) : The physical damage of climbing activity on sandstone lichen cover. Sustainability 13(24), pp. 1-9.

Kelly P.E. and Larson D.W. (2003) : Effects of Rock Climbing on Populations of Presettlement Eastern White Cedar (Thuja occidentalis) on Cliffs of the Niagara Escarpment, Canada. Conservation Biology 11, 5, pp. 1125-1132.

March-Salas M., Moreno-Moya M., Palomar G., Tejero-Ibarra P., Haeuser E. And Pertierra L.R. (2018) : An innovative vegetation survey design in Mediterranean cliffs shows evidence of higher tolerance of specialized rock plants to rock climbing activity. Applied Vegetation Science 21, 2, pp.289-297.

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